La généralisation du Service national universel est-elle une bonne idée ?
D’après une information révélée par Politis et confirmée par franceinfo, un rapport de l’Éducation nationale envisage de généraliser progressivement le SNU dès la rentrée prochaine. Le Service national universel, c’est l’un des grands projets d’Emmanuel Macron, annoncé pendant la campagne de 2017 et expérimenté dès 2019. L’idée est de proposer aux lycéens un "séjour de cohésion" de 12 jours, à mi-chemin entre éducation civique, activités sportives et encadrement militaire, éventuellement suivi d’une "période d’engagement" auprès de l’armée, des pompiers, des services publics, etc. Ce SNU, qui a lieu l’été sur la base du volontariat, pourrait désormais concerner tous les lycéens, en classe de seconde, durant le temps scolaire.
L'hypothèse d’une généralisation du SNU a été évoquée par Emmanuel Macron lui-même, lors de ses vœux pour 2023. Quand on écoute les membres du gouvernement, et singulièrement Sarah El Haïry, la secrétaire d'État chargée de la Jeunesse, trois expressions reviennent en boucle : créer de l’engagement, insuffler l’émancipation, favoriser la mixité sociale. Voilà quelles seraient les vertus du Service national universel.
Commençons par le plus simple : l’engagement. En remarquant tout de même qu’un engagement obligatoire, ce n’est plus un engagement. C’est une obligation, voire une corvée ! Si l’objectif est de faire du SNU un vecteur de l’engagement des jeunes, le simple fait de vouloir le généraliser est un non-sens. Ensuite, l’émancipation. C’est une belle valeur. Le seul problème, c’est que c’est aussi la mission d’une autre institution : l’école. Transmettre les valeurs civiques, le sens de la citoyenneté, c’est ce que fait d’ores et déjà l’école républicaine. Or, elle le fait en manquant cruellement de moyens – nous y reviendrons.
Quant à l’objectif de mixité sociale, c'est en réalité la première raison avancée pour justifier le SNU. Et tout le monde voit à quoi cela fait référence : la nostalgie du service militaire, et de son – indéniable – brassage social. Le vigneron du Bordelais, l’instituteur de Marseille et l’ouvrier de Montbéliard, ensemble, dans la même chambrée : voilà ce que nous voudrions retrouver. Avec tout de même une légère différence : le service militaire durait un an, contre 12 jours pour le SNU.
La mixité scolaire n'est presque plus assurée
À l’automne dernier, l’Éducation nationale avait été contrainte de rendre publics les indices de position sociale (IPS) des collèges. En gros : la sociologie des élèves de chaque établissement. Qu’a-t-on, alors, pu constater ? C’est simple : qu’il n’y a quasiment plus, en France, de mixité scolaire.
Sur les 100 collèges avec l’IPS le plus élevé, c’est-à-dire où les élèves sont les plus favorisés, 81 sont des établissements privés sous contrat. Dans l’enseignement privé, près de 60% des élèves sont issus de milieux favorisés ou très favorisés. Dans l’éducation prioritaire, plus de 60% des élèves viennent de milieux défavorisés. La sociologue Fabienne Fédérini est très claire : pour elle, c’est un séparatisme social. Camille Peugny, sociologue de l’éducation lui aussi, évoque même une authentique ségrégation scolaire.
Face à ce constat, que fait l’État ? Rien, ou presque. Que ce soit par manque de moyens, par manque de courage, ou parce que ce système leur convient, les gouvernements successifs n’ont jamais enrayé la fuite des élites vers le privé. Et maintenant, on nous explique que la solution pour compenser toute une scolarité d’absence de mixité sociale, ce sont 12 jours à défiler au pas en portant des casquettes ? Ce n’est pas sérieux.
Donner des moyens à l'école plutôt qu'au SNU
Parce qu'évidemment, tout cela a un coût. La commission des Finances du Sénat vient de sortir un rapport sur le Service national universel. Elle estime qu’en vitesse de croisière, le dispositif coûterait deux à trois milliards d’euros par an.
Une somme pareille pour 12 jours qui vont empiéter sur le rôle des lycées, mettre sous pression le temps scolaire, détourner une partie du personnel militaire de sa fonction première... Difficilement de voir ce qui pourrait justifier une telle dépense, si ce n’est des raisons d’idéologie ou de pure communication.
À la place, donner à l’école républicaine les moyens de remplir sa mission, s’attacher enfin à lutter sérieusement contre les inégalités : voilà, de mon point de vue, comment cet argent pourrait être mieux employé.
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