Macron et l’usine Whirlpool : l’Etat ne peut pas tout
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
A l’occasion de son déplacement à Amiens, le chef de l’Etat a rencontré, lundi 22 novembre, d’anciens salariés de l’usine Whirlpool, définitivement fermée après l’échec de deux repreneurs. Une situation politique compliquée, et un véritable défi rhétorique. Un chef de l’Etat peut-il avouer son impuissance ? C’est toute la question !
On se souvient que Whirlpool avait fait l’objet d’un duel très politique durant l’entre-deux tours 2017. Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’étaient tous les deux rendus sur place, pour s’engager à se battre afin de conserver les emplois. En 2019, le Chef de l’Etat était revenu après l’échec d’un premier repreneur, WN. Il disait alors ceci : "Je ne vous oublie pas et je n’oublie pas mes engagements. Et mes engagements aujourd’hui, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Donc, on va continuer de bosser."
Le constat d'échec
"On va continuer de bosser", donc, avec un deuxième repreneur, Ageco, liquidé à son tour en mars dernier. C’est donc le constat d’un échec industriel qu’était venu dresser Emmanuel Macron. Et donc on se demande : que dire, dans une telle situation ? Il y a un précédent qui a fait date. C’était en septembre 1999. Michelin venait d’annoncer plus de 1800 suppressions de postes en France. Voilà comment avait réagi le premier ministre, Lionel Jospin, au JT de France 2 : "Les salariés existent, y a des syndicats, y a une mobilisation, qui peut se mener. Donc je crois qu’i en faut pas attendre tout de l’Etat ou du gouvernement. Il faut aussi que se mobilisent à la fois l’option et les salariés de l’entreprise."
"Il ne faut pas attendre tout de l’Etat", un véritable aveu d’impuissance de la part d’un Premier ministre réduit à en appeler à la mobilisation des salariés. A l’époque, il avait été très critiqué, y compris au sein de sa propre majorité. De toutes évidences, en termes rhétoriques, un chef du gouvernement ne peut confesser sa propre incapacité à faire changer le monde.
La dilution des responsabilités
Est-ce que Emmanuel Macron a réussi à échapper à ce dilemme ? Oui ! Et il a mobilisé, pour cela, un habile procédé rhétorique : "La difficulté c’est qu’on a eu plusieurs expériences, si je puis utiliser ce mot pudiquement, avec des aventures qui ont déçu et marqué tout le monde. Et donc sur le site, il y a eu des reprises partielles d’activité qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux et des attentes. Qui ont beaucoup marqué les anciens salariés."
"On a eu plusieurs expériences avec des aventures qui ont déçues". L'utilisation de la troisième personne du singulier indéfini "on". "Il y a eu des reprises d’activité qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux" : utilisation de la tournure impersonnelle "il y a". Ces deux formulations ne sont pas dues au hasard : il s’agit des principaux outils grammaticaux permettant la dilution des responsabilités. Qui est le véritable sujet de l’action, c’est-à-dire, le responsable de la situation ? En entendant ces phrases, on ne peut pas le savoir.
Grâce à ce tour de passe-passe syntaxique, Emmanuel Macron parvient tout à la fois à évoquer le dossier, admettre qu’il a été un échec, donc, ne pas donner l’impression de s’en défausser, sans, pour autant, en prendre la responsabilité. Rhétoriquement, il est plus habile que Lionel Jospin.
Conjurer l’impression d’impuissance
Et pourtant, on l’entend prononcer la même phrase sur l’impuissance de l’Etat. C’est vrai, mais vous allez voir, l’effet produit est radicalement différent ! "L’Etat doit quoi ? De former les enfants, d’éduquer, de former et de donner la possibilité de rebondir tout au long de la vie. Mais l’Etat n’est pas tout dans la société. L’Etat ne se substitue pas ni à vos choix industriels ni à la vie économique. Et donc ce que nous devons et ce que nous faisons depuis le début, c’est en effet d’aider aux reprises et de former les personnes. Et après, il y a des expériences heureuses et des expériences malheureuse."
"L’Etat n’est pas tout dans la société"… mais il donne la possibilité de rebondir tout au long de la vie. Cela aussi, c’est habile. Emmanuel Macron confesse la même limite de l’Etat dans le domaine des dossiers industriels, mais il le lie immédiatement à un autre sujet : la protection sociale. Une manière de dire, au fond que certes, l’Etat ne peut pas tout, mais il n’abandonne jamais ses travailleurs. Une affirmation qui suffit pour conjurer l’impression d’impuissance, alors même que, notons-le : elle n’était pas moins vraie du temps de Lionel Jospin.
Voilà comment Emmanuel Macron parvient à s’extraire d’un dilemme rhétorique délicat. Reste, bien sûr, une réalité factuelle : en 2017, il s’était engagé à se battre pour sauver ces emplois industriels. Sans doute l’engagement à se battre a-t-il été tenu. Mais le combat, lui, hélas, est perdu.
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