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Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle : la rhétorique de la conspiration

Les deux candidats à la présidentielle ont tous les deux récemment affirmé que l'élection est "truquée" et qu'il existe un "système" anti-démocratique.

Article rédigé par franceinfo
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Clément Viktorovitch sur franceinfo, mercredi 30 mars 2022. (FRANCEINFO)

Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan ont des profils et des propositions très différentes mais ils se retrouvent sur un constat : pour eux, l’élection présidentielle est faussée. Ces deux candidats sont, pour lors, crédités d’un faible score dans les sondages d’intention de vote. Conséquence : jusque ce lundi, en vertu des règles de l’ARCOM, ils bénéficiaient d’un faible temps de parole dans les médias. Pour Jean Lassalle, pas de doute : c’est le signe que nous ne sommes plus vraiment en démocratie.

De la dénonciation à la machination

Dimanche, sur le plateau de Questions Politiques, pour franceinfo et France inter, le député des Pyrénées-Atlantiques, en appelait à la résistance : "Résister au système qui s'est substitué au merveilleux modèle démocratique. Résistons contre ce système féroce qui est une dictature molle".Des mots très forts, évidemment. Et pourtant, la semaine dernière, dans les 4 Vérités, sur France 2, Jean Lassalle allait encore plus loin : "La France vit l'une des campagnes les plus dévoyées de son histoire. Tout est faux. Je pense qu'un certain nombre de nos compatriotes ont apprécié que je dise un certain nombre de choses, que je les assume quitte à en payer le prix cher. On a quinze jours devant nous, je peux avoir un contre scandale pour me mettre plus bas que terre, ça peut se produire. Celui qui a dit la vérité doit être éxécuté".

Toute la campagne serait fausse. Ceux qui, comme lui, diraient la vérité risqueraient d’être visés par des affaires, afin de les faire taire. Vous le voyez, nous avons quitté le domaine de la dénonciation vague et vaporeuse, pour entrer de plein pied dans celui de la machination, voire, de la conspiration.

Nicolas Dupont-Aignan va-t-il aussi loin ? Sur la forme, non, le président de Debout la France n’est jamais aussi précis. Sur le fond en revanche, cela revient à peu près au même. Dimanche dans Questions Politiques, et mercredi matin sur franceinfo, il affirmait : "Les Français sentent très bien que tout est fait pour étouffer la campagne. C'est une élection truquée, c'est une élection d'une oligarchie, une élection qui vise à faire taire des gens qui pensent différemment. Je demande aux Français d'aller voter, de déjouer le piège de cette élection truquée, c'est à eux de la 'détruquer'. Je dis aux Français, réveillez-vous !" 

La théorie du "système" ou réification 

L’élection serait truquée, il faudrait se réveiller. Nous sommes exactement dans le même type de dénonciation : les Français seraient victimes d’une manipulation, qui les priverait d’une véritable élection. Ce type de discours peut difficilement être qualifié autrement que comme une rhétorique de la conspiration. Autant mettre les pieds dans le plat : quel crédit peut-on apporter à ce type de dénonciation ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre le procédé principal sur lequel reposent ces discours. L’un comme l’autre pivotent sur l’idée qu’il y aurait un "système" qui serait au commande. En science politique, c’est ce que l’on appelle de la réification d’objet social. La réification, c’est le fait de considérer comme une entité concrète et agissante ce qui relève, en réalité, de l’action séparée et non coordonnée d’un grand nombre d’individus. Quand on parle du "système", on imagine des individus dans l’ombre, manipulant efficacement tout l’appareil de l’État.

Temps de parole et équité

Les réalités sont beaucoup plus diffuses que cela. Il y a, en France, un grand nombre d’acteurs politiques, économiques, administratifs, médiatiques, qui ont du pouvoir, c’est vrai, et l’exercent pour faire prévaloir des intérêts divergents, qu’il s’agisse de leur intérêt personnel ou de leur vision personnelle de l’intérêt général. Le basculement dans le conspirationnisme, c’est le moment où l’on pense qu’il existe "un" système, coordonné, qui tire toutes les ficelles. Et c’est, me semble-t-il, ce qu’insinuent Jean Lasalle et Nicolas Dupont-Aignan.

Mais, attention, ce n’est pas une raison pour ne pas se poser de question. Par exemple : les règles de l’ARCOM, votées en 2016 sous le gouvernement de François Hollande, et qui limitent à deux semaines seulement l’égalité de temps de parole entre les candidats, permettent-elles la tenue d’un débat démocratique équitable ? C’est une question sérieuse, que l’on est en droit de poser. Encore faut-il, pour cela, ne pas utiliser tout son temps de parole pour vilipender une élection prétendument truquée.

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