Cet article date de plus de dix ans.

Mandela, un homme d'idées

Nelson Mandela était un grand homme, dont la vie a été ponctuée d'évènements considérables ; un homme de symboles aussi ; mais il fut peut-être d'abord un homme d'idées. Et c'est grâce à elles qu'il restera dans l'histoire.
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
  (©)

On
peut penser que la politique est faite d'hommes, d'êtres humains. Ou bien
d'évènements, et cela dépend alors des circonstances. Ou encore de
gestes, de symboles. Ou alors que la politique, c'est d'abord des idées.   

Nelson Mandela était tout cela à la fois. Un grand homme dont la
vie a été ponctuée d'évènements considérables ; un homme de symboles aussi
; mais il fut peut-être d'abord un homme d'idées. Et c'est grâce à ces
idées qu'il restera dans l'histoire.

La première
de ses idées, c'est bien sûr la liberté. Pour en avoir été privé pendant
27 ans (il rentre à la prison de Robben Island à 44 ans et il
en sort à 71 ans), il est devenu le prisonnier politique le plus connu du XXe
siècle.

Les
citations de Mandela sur la liberté, que l'on a vu fleurir depuis sa mort jeudi
soir dans les journaux et sur les réseaux sociaux, sont innombrables.

"Nous
ne sommes
pas encore
libres,
nous avons seulement
atteint
la liberté
d'être
libres."

La liberté, c'est assez consensuel finalement. Et nous aurions pu prendre aussi la lutte
contre le racisme, une autre idée majeure attachée à la vie de Nelson Mandela. L'égalité
des races.

Nelson Mandela disait, en 1961 : "On a été
très clair dans notre plateforme politique : l'Afrique du Sud est un
pays de nombreuses races ; il y a une place pour toutes les différentes
races dans ce pays".

A cette époque, Nelson Mandela n'est pas forcément

contre la violence

Il
faut voir que dans sa jeunesse, Mandela est marqué par le nationaliste panafricain.
Il est nationaliste et vers 1960, devant l'échec, il engage son mouvement,
l'ANC, (African National Congress) dans l'insurrection armée.

Lorsqu'il part faire son célèbre long voyage à travers l'Afrique en 1961, il y va
pour des raisons diplomatiques, mais aussi pour chercher de l'aide, des
soutiens financiers, et y compris des armes.

Mandela
suit même un entrainement militaire à Addis Abeba. Il le raconte d'ailleurs
dans son autobiographie. Et
quand il est arrêté, il a un révolver sur lui qu'il hésite à utiliser.

Plus tard, il sera un défenseur de Yasser Arafat et du colonel Kadhafi. Parfois
même de dictateurs moins recommandables encore.

En
fait, c'est surtout en prison que Mandela devient le chantre de la
non-violence. On
le sait peu mais il a été enfermé à Johannesburg une première fois dans la prison baptisée "Old Fort Number Four ".

Lorsque l'on visite
aujourd'hui ces cellules, minuscules, spartiates – nous en avons vues qui n'étaient pas
plus grandes qu'un placard à balais – on découvre qu'un autre prisonnier
célèbre y a fait un séjour quelques années plus tôt : Gandhi.

Toujours
est-il que Mandela adoptera en prison, à Robben Island, les principes de Gandhi
du satyagraha ou l'action de conquérir les esprits par la
non-violence et la désobéissance civile.

Que dire de Mandela et la question nationale

?****


encore, Nelson Mandela a évolué. Dans sa jeunesse, il a flirté avec le
nationalisme noir.

Lorsqu'il traverse l'Afrique en 1961, Mandela est clairement un chantre des
mouvements de libération nationale. Ses modèles, ce sont les régimes
nationalistes ou socialistes, par exemple l'Egypte de Nasser ; la Tunisie
de Bourguiba. Dans son autobiographie, il prend même comme exemple le FLN
algérien.

Il
pense encore que l'Afrique du Sud doit faire une guerre d'indépendance. Et on a
beaucoup dit qu'il a même pu être, alors, membre du parti communiste sud-africain,
ce qu'un historien anglais a confirmé mais que Mandela a toujours nié. **Bref, initialement, il penche plutôt du côté de Malcom X que de celui de Martin Luther King.

**

Mais là encore, il va changer. En prison, il va lire, faire murir sa pensée. Dans son autobiographie, Un long chemin
vers la liberté
, Mandela raconte cette évolution personnelle qui le conduit
du nationalisme noir à une politique multiraciale.

Peut-on dire qu'il va devenir multi-culturaliste

?

Disons
qu'à cette époque, Nelson Mandela est d'abord contre la ségrégation ; il est contre la
séparation entre la minorité blanche qui domine et la majorité noire qui vit
dans les bantoustans et les townships , ce que l'on va
appeler l'apartheid
.

Mais, peu à peu, il va effectivement construire son idéologie multi-culturaliste,
qui va mener à la fameuse nation arc-en-ciel.

 

"Nous
nous engageons à construire une société dans laquelle tous les Sud-Africains,
qu'ils soient blancs ou noirs, pourront marcher la tête haute et sans crainte,
assurés de leurs droits inaliénables à la dignité humaine. Une nation arc-en-ciel
en paix avec elle-même et avec le monde".

"Rainbow nation" : on

retrouve bien cette idée de la nation arc-en-ciel marquée par le
multiculturalisme ?

Oui et en cela, Mandela est davantage marqué par le modèle d'intégration
anglo-saxon, en Angleterre ou aux Etats-Unis, que par la laïcité à la
française.

Il
croit que toutes les minorités peuvent vivre côte à côte tout en conservant
leurs cultures, leurs langues différentes, et en même temps devenir la nation
sud-africaine.

Et politiquement ? 

Politiquement, une fois au pouvoir, Nelson Mandela a été avant tout un démocrate. Il
n'est pas doctrinaire, mais pragmatique, y compris avec ce que ça suppose de
sens du compromis.

Son
obsession, c'est la réconciliation
– dont le symbole fut la finale de la
coupe du monde de Rugby en 1995 où il défend une équipe largement afrikaner –
ce qui a donné lieu au très beau film Invictus .

Dans son premier gouvernement, il y a des Blancs – ceux-là même qui ont été ses
oppresseurs. Il nomme aussi des Blancs à la Cour Suprême Sud-Africaine qui a
été construite justement à Johannesburg sur le lieu même où il a été pour la
première fois emprisonné.

Comme
chef de l'État, il calme les esprits, constamment, évite de monter les Blancs
contre les Noirs, pourfend la haine, réassure constamment les Blancs qu'il n'y
aura pas de vengeance.

Nous pourrions ajouter qu'il est aussi, au-delà des races, un grand défenseur des femmes,
et des gays. Il nomme des femmes à des postes décisifs et c'est également grâce à lui
que l'Afrique du Sud sera le premier pays d'Afrique – et pour l'instant
le seul – à avoir autorisé le "mariage pour tous". 

Nelson Mandela croit aussi à l'alternance

politique et au pluralisme

Au terme de son premier mandat, Nelson Mandela refuse de se
représenter : il laisse sa place, ce que bien peu de dictateurs en Afrique
– ou même d'hommes politiques français – savent faire.

Il
laisse malgré tout le pays avec une déclaration des droits de l'homme, une
constitution et une cour suprême qui sont un legs pour l'histoire.

Malgré
tout, par la suite, il a été parfois déçu par son propre parti, l'ANC, à cause
de la corruption et de son refus du pluralisme : son parti qui gouverne depuis
et qui aujourd'hui encore ne sait pas partager le pouvoir et a installé une
sorte de parti unique de fait.

Quel est, en définitive, le legs

de Mandela, du point de vue des idées ?

Dans une lettre à sa femme Winnie, écrite en prison, Mandela explique qu'il a
appris des choses essentielles dans sa cellule : "L'honnêteté, la simplicité,
l'humilité, la générosité pure, l'absence de vanité
". Et je dirais que
c'est cela qui reste d'abord de Mandela : la
compassion ; le
fait d'avoir invité à son investiture l'un de ses geôliers blancs ; la
magnanimité.

Aujourd'hui,
l'Afrique du Sud a besoin de ce message.
C'est un pays qui va mal ; où
les tensions sont de plus en plus vives ; l'insécurité galopante ; le
crime omniprésent, tout comme les viols dans les townships ; l'épidémie du
sida aussi est l'une des plus critiques au monde (d'ailleurs Makgatho, l'un
des fils de Mandela, est mort du sida). C'est
aussi un pays où les évangélistes protestants sont puissants, y compris parfois
en voulant revenir sur l'héritage de Mandela.

Nelson Mandela n'a jamais transigé sur ses idées, au point où il a parfois
privilégié sa cause sur sa famille, ce qui explique notamment son divorce avec
Winnie Mandela.

Mais si l'Afrique du Sud tient encore debout aujourd'hui, c'est peut-être un peu
grâce à ses idées
, à la stature d'un homme d'action nourri par des principes, un
avocat radical devenu un président pragmatique, et en fin de compte un homme
politique qui était aussi un intellectuel.

 

** Bibliographie : *

  • Nelson
    Mandela, Long Walk to Freedom , Little,
    Brown and Company, 1994.

  • Jean Guiloineau, Nelson Mandela , Plon, 1990

  • Nelson Mandela, Conversations avec moi-même (préface de Barack Obama), Seuil, 2010.

  • Sur la
    situation du sida et les données épidémiologiques en Afrique du Sud, voir
    l'étude officielle Le Point sur
    l'épidémie de sida
    , publiée par ONUSIDA et l'OMS, décembre 2009, 101 p. ; ainsi que le rapport 2013.

  • Sur Mandela et la question gay, voir : Frédéric
    Martel, "LGBT : Comment Mandela a fait de l'Afrique du Sud une
    nation vraiment arc-en-ciel"
    , slate.fr, 06/12/2013.

 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.