Histoires d'Info. Pierre Bourdieu sur les sondages : "Je souhaite que la suspicion se généralise"
La décision du "Parisien" de suspendre les commandes de sondages politiques s’inscrit dans une critique de fond des sondages, qui ne permettraient plus de saisir l’opinion de la société française. Une critique qui n’est pas si nouvelle que cela.
La première vraie critique envers les sondages, on l’entend dans les années 1970. Il faut dire qu’avant, les sondages politiques étaient extrêmement rares. L’industrie des sondages est alors encore partagée entre un nombre d’acteurs très réduit.
La décennie gaullienne a été marquée par un contrôle très fort sur les médias, on l’a vu dans le traitement médiatique des mouvements de Mai 1968, la tentation est alors grande de considérer que les sondages sont biaisés politiquement. C’est en tout cas ce que je suggère encore non sans malice, François Mitterrand en 1980, un an avant la présidentielle : "Tous les deux mois, voire toutes les semaines, on organise le même combat et on produit le même résultat. De sorte que je suis obligé de le confesser, oui, c'est vrai, pour la 72e fois, je suis battu par M. Giscard d'Estaing. Difficile manière d'aborder la 73e. J'en ai parfaitement conscience. Le maniemement de l'opinion publique, ce n'est pas rien."
Frénésie sondagière
Pourtant, à partir des années 1980, les sondages se multiplient. Ipsos est créé en 1975 et BVA en 1983. Une véritable frénésie sondagière s’empare des médias français, notamment avant les législatives de 1986 et la présidentielle de 1988, qui marquent véritablement une rupture dans l’usage des sondages. Usage mais aussi croyance, presque aveugle. Les sondages permettraient de prendre parfaitement le pouls de la société française.
D’où une critique fondamentale, formulée par l’un des plus grands intellectuels de son temps, le philosophe et sociologue Pierre Bourdieu, professeur au collège de France, et critique acéré des médias. Il s’exprime ici en 1986 : "Je pense qu'il y a un abus de science et, à ce titre, je souhaiterais beaucoup que les institutions effectuant des contrôles efficaces soient mis en place et qu'en tout cas le soupçon se généralise."
Trente ans plus tard, les fiascos récents des sondeurs donnent raison à Bourdieu. Ne nous passons pas des sondages, mais regardons-les avec suspicion. Confrontons-les entre eux, analysons leurs méthodes, soyons attentifs à ceux qui les commandent et mettons-les en concurrence, avec nos propres enquêtes sur le terrain.
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