Photos "choc" : faut-il publier pour dénoncer ?
Ce sont les photos de la semaine. Deux images chocs qui posent bien des questions. La première a été prise il y a une semaine près de Paris. Elle montre Darius, ce jeune adolescent Rom lynché par un groupe, inconscient, le visage ensanglanté, gisant dans un caddie de supermarché. La photo très dure, prise par un témoin anonyme, a été publiée jeudi dans le "Daily Telegraph". Aucun journal français en revanche n'a souhaité diffuser cette image.
La seconde photo de la semaine vient d'Irak. On voit des hommes pistolet sur la tempe, témoignant du massacre de prisonniers irakiens par les djihadistes. Cette photo a d'ailleurs été diffusée par les djihadistes. Faut-il ou non la publier ? Difficile question à laquelle l'Agence France-Presse a répondu oui, en expliquant sa démarche sur son blog Making-of.
La photo manipulée pour faire ressortir le sang
"Elle vient d'un compte Twitter d'un membre d'une mouvance djihadiste. Des éditeurs de notre bureau de Nicosie passent une partie de leur journée à surveiller des sites islamistes pour voir si de telles photos apparaissent" explique Sylvain Estibal, rédacteur en chef au service photo de l'AFP. "Cette photo a ensuite été vérifiée grâce au logiciel Tungstène. On passe plusieurs filtres sur l'image, ce qui permet de détecter les altérations. On a donc découvert qu'ils avaient trafiqué la saturation de l'image, pour que le rouge ressorte mieux, pour que l'impact des traces de sang soit plus fort."
La valeur informative en question
L'AFP a ensuite décidé de proposer cette image à ces clients. "On est bien conscients qu'on peut être l'instrument d'une manipulation, d'une propagande. Mais cette photo a une valeur informative sur ce qui se passe là-bas, car c'est impossible d'envoyer un photographe dans la zone."
Mais pas question de verser dans le sensationnalisme. "La photo de Darius, nous avons décidé de ne pas la diffuser, car elle est trop dure et on a jugé qu'il n'y avait une atteinte à la dignité de cet adolescent" explique Sylvain Estibal. "Une image d'horreur sans information suffisante n'a pas vocation à être publiée. Mais c'est très subjectif et ça évolue également avec le temps : à mon avis, on se censure moins qu'il y a 20 ou 30 ans." Les différences culturelles aussi sont très fortes : "J'ai longtemps travaillé en Amérique du Sud, où on accepte beaucoup plus la violence à l'image qu'en Europe. L'AFP, qui est une agence mondiale, doit s'adapter à ces variations culturelles."
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