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"La vérité finit toujours par éclater" : Lucy Kassa, la journaliste qui se bat pour que les crimes de guerre en Ethiopie ne restent pas impunis

Elle a couvert tout le conflit armé au Tigré jusqu’à devoir s’exiler après avoir été menacée de mort pour ses reportages, des enquêtes prouvant des cas de nettoyage ethnique et de viol systématique, pour lesquelles elle a reçu le prix Amnesty Media Award du reportage de guerre 2022.

Article rédigé par Marion Lagardère
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2min
Une jeune fille de 13 ans, blessée à la jambe à Togoga (Ethiopie) lors d'une frappe aérienne sur un marché, le 24 juin 2021. (AFP)

Elle a une trentaine d’années, et elle veut qu’on sache : elle veut montrer ce que l’on veut délibérément nous cacher. Lucy Kassa couvre depuis 2020 la guerre civile au Tigré, cette région du nord de l’Éthiopie où le premier ministre Abiy Ahmed a envoyé son armée pour mater les rebelles, puis la population, hommes, femmes, enfants. Absolument toutes les personnes issues de la minorité tigréenne. Deux millions de déplacés, des milliers de morts, et encore plus de mutilés.

Pendant des mois, elle a assisté à des atrocités commises par les deux parties, elle a recueilli des témoignages, des preuves, qui attestent toutes d’un nettoyage ethnique organisé, et ses nombreux reportages publiés partout dans le monde, du Daily Telegraph au Los Angeles Times, ont déclenché la demande d’ouverture par l’ONU d’une enquête internationale pour crime contre l’humanité.

"J'ai vu le pire de ce que peut faire l'humanité"

Le reportage de guerre, ça n’est pas juste du sensationnel, des images impressionnantes et des bruits de bombes, c’est la boite noire indispensable qui permet de documenter l’intolérable, "Le pire de ce que peut faire l’humanité", confie Lucy Kassa à la chaîne Al Jazeera. Pour l’une de ses enquêtes, elle vient de recevoir le prix Amnesty International du reportage de guerre 2022. Une consolation pour celle qui a bien failli payer son travail de sa vie. L’année dernière, des hommes armés ont fait irruption chez elle et ont menacé de la tuer si elle publiait son enquête sur le viol comme arme de guerre.

Lucy Kassa a dû quitter son pays, emmenant avec elle une violente culpabilité et un sentiment d’impuissance : "C’est le constat terrible que l’histoire se répète encore et encore. À ce moment-là, j’avais atteint un point où je ne pouvais plus regarder les images de mes reportages, le sang, les blessures, les morts, les enfants, c’était trop, et puis on pense aux survivants, aux témoins qu’on rencontre, et on continue."

Aujourd’hui, Lucy Kassa n’a plus le droit d’aller au Tigré, mais elle continue de compiler des témoignages et ne veut pas se taire, comme la semaine dernière, au Forum pour la liberté d’Oslo, où elle a appelé à ne jamais penser que raconter est vain, "parce que les criminels de guerre pensent qu’ils peuvent enterrer la vérité, mais la vérité fait toujours son chemin et elle éclate toujours au grand jour."

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