Automobile : "Il faut redoubler d'efforts pour vendre des véhicules électriques au prix du thermique", affirme Carlos Tavares, directeur général de Stellantis

Alors que le Mondial de l'Auto débute lundi, dans un contexte morose pour le marché de l'électrique en Europe, Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis, est l'invité éco de franceinfo.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 14min
Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis, le 14 octobre 2024, au Mondial de l'Auto, à Paris. (SPEICH FREDERIC / MAXPPP)

Stellantis, le troisième constructeur automobile mondial, est présent au Mondial de l'Auto 2024 à Paris qui se déroule du 14 au 20 octobre Porte de Versailles. L'entreprise née de la fusion de PSA, Fiat et Chrysler a vendu 6,4 millions de véhicules en 2023 et compte une quinzaine de marques au total : les Françaises Peugeot et Citroën, les Italiennes Fiat, l'ancien Alfa Romeo, les Américaines Jeep et Dodge, entre autres.

C'est le dernier Mondial de l'Auto à Paris pour Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis. Son départ à la retraite est acté pour janvier 2026. Elle a été accompagnée de commentaires parfois peu flatteurs : "l'Étoile de Carlos Tavares a pâli" ou encore, "les résultats ne sont plus au rendez-vous pour le roi de la performance et de la rentabilité", peut-on lire.

franceinfo : Ces commentaires vous ont-ils blessé ou sont-ils légitimes ? Avez-vous effectivement péché par excès de confiance ?

Carlos Tavares : C'est une très bonne question. D'abord, je veux vous dire que j'ai pris ma décision de ne pas briguer un deuxième mandat à la tête de Stellantis, après avoir consulté mon épouse et mes enfants. Et donc c'est moi qui ai annoncé cette décision-là, le 3 octobre 2024, comme étant le résultat de ma discussion familiale. Après 45 ans d'industrie automobile, à 68 ans, je pense qu'il est légitime de tourner la page. Pour la question que vous me posez, j'assume tout. Évidemment, les bonnes et les mauvaises choses. Nous sommes dans un monde occidental où, évidemment, lorsque vous avez eu la chance de connaître quelques succès - ce qui a été mon cas avec le redressement de PSA, le redressement d'Opel, la fusion avec Fiat Chrysler -, le monde occidental cherche évidemment à critiquer tout ce qui pourrait ne pas bien se passer.

Sachant qu'effectivement, cette année, vous avez révisé en forte baisse vos objectifs financiers. La marge opérationnelle est prévue aujourd'hui entre 5,5 et 7, contre 13% en 2023 et 2022.

Exactement, vous avez raison de le préciser. D'ailleurs, nous sommes en bonne compagnie puisque Mercedes, BMW et Volkswagen ont fait de même. Et donc nous avons, nous, commis une erreur qui est claire, qui est opérationnelle : au deuxième trimestre 2024, nous avons eu à un plan marketing aux États-Unis qui n'a pas fonctionné. C'est un plan qui a été décidé par la région dans le cadre de la délégation d'autorité que je leur donne. Donc, la décision était légitime. Le plan était osé, il n'a pas fonctionné. Et donc, il a fallu faire un plan correctif à partir de la mi-année. Et ce plan, il a fallu l'expliquer à nos partenaires concessionnaires américains, qui étaient très ennuyés par ce qui s'est passé au deuxième trimestre. Ça a été un petit peu plus long que prévu de remettre les choses dans la bonne direction. Et vous vous souvenez que je me suis déplacé aux États-Unis au mois d'août pour cela.

Et vous avez écourté vos vacances. Donc c'est tout, votre mea culpa, Carlos Tavares, s'arrête là ?

Je réponds au "profit warning". Sur le "profit warning", le problème que nous avons eu est un problème tout à fait opérationnel : un plan marketing qui n'a pas fonctionné pendant un trimestre, des concessionnaires mécontents qu'il a fallu que je convainque pendant le mois d'août. Et maintenant nous sommes revenus sur la bonne trajectoire avec une réduction des stocks qui est tout à fait conséquente. Et les choses vont se normaliser d'ici la fin de l'année. Donc ça, c'est une erreur opérationnelle.

Ce n'est pas une erreur de stratégie ?

Non, ça n'a rien à voir. La stratégie, c'est la stratégie gagnante de Stellantis qui est décrite dans le Dare Forward 2030. Je pense qu'elle est gagnante évidemment, puisque je l'ai validée. Maintenant, j'assume toutes les responsabilités pour les bonnes comme pour les mauvaises nouvelles. Et il n'y a pas de raison d'ailleurs de dire autre chose puisque je suis aux côtés de mes employés, je suis là pour aider mes employés à réussir. Nous avons réussi certaines choses, nous avons échoué sur d'autres. Nous sommes des êtres humains - peut-être que certains l'ont un peu rapidement oublié - et effectivement, nous connaissons des hauts et des bas. Là, on a trébuché. Il se trouve qu'on a trébuché à un moment où l'industrie était déjà sous pression et donc ça se voit énormément.

Ça se voit parce que le titre a chuté de 40%.

Bien sûr, ça vous rassure au moins sur un point, c'est que je n'ai pas les yeux rivés sur le titre.

Au Mondial de l'Auto, il y a énormément de constructeurs chinois, BYD évidemment, le plus connu d'entre eux, mais aussi Leapmotor, un constructeur dans lequel vous avez investi à hauteur d'1,5 milliard d'euros et dont vous assemblez désormais la petite citadine électrique dans votre usine Fiat de Pologne en Europe. Ça permet concrètement de contourner la hausse des taxes sur les véhicules importés de Chine. Et puis cette voiture chinoise, elle peut espérer bénéficier du bonus écologique en France, ce qui n'est pas le cas par exemple de la Dacia Spring de Renault. N'avez-vous pas l'impression d'avoir laissé entrer le loup dans la bergerie ?

Je ne crois pas parce que nous avons pris une participation significative chez ce constructeur, mais nous avons fait plus que ça. Nous avons également convenu, dans le cadre d'un accord tout à fait juridique, que toutes les exportations de ces voitures de Leapmotor vers le reste du monde, de la Chine vers le reste du monde, se feraient au travers d'une entreprise que Stellantis contrôle à 51%. Ce qui veut dire quoi ? Que toute la compétitivité de ces véhicules fabriqués en Chine, exportés dans le reste du monde, se retrouve valorisée par cette entreprise que nous contrôlons. Et donc les bénéfices qui seront faits par ces exportations rentreront dans les caisses de Stellantis et bénéficiant à tous les employés.

Donc ça ne vous dérange pas que ces voitures, qui sont assemblées par Fiat en Pologne, bénéficient du bonus écologique et viennent concurrencer vos propres modèles (la C3, notamment) à moins de 20 000 euros.

Non, ça ne me gêne pas parce que nous allons utiliser ces voitures de Leapmotor pour contrer qui ? Les autres constructeurs chinois. Donc nous allons mettre une marque chinoise pour concurrencer les autres marques chinoises qui arrivent sur le marché européen. Donc à ce niveau de prix, c'est chinois contre chinois. Alors que nous, nous sommes sur d'autres créneaux et avec d'autres valeurs de marque, puisque la valeur de nos marques, j'allais dire centenaires, est tout autre que pour des marques qui sont quasi inconnues sur le marché. Mais les clients qui achèteraient des Leapmotor vont bénéficier de toute la puissance commerciale et de la puissance de distribution de Stellantis, notamment au niveau des pièces de rechange, notamment au niveau du service dans les ateliers. Et donc, évidemment, ça enlève une inconnue très importante pour ces consommateurs-là.

Donc ça ne vous dérange pas ?

Non, nullement. Je pense que ça bénéficie à Stellantis et à ses employés.

La demande en voitures électriques, néanmoins, n'est pas aussi importante qu'espérée en Europe. Il y a moins de véhicules électriques vendus sur les neuf premiers mois de l'année par rapport à 2023. A-t-on raison de s'inquiéter pour l'emploi dans nos usines françaises quand on sait en plus qu'il faut moins de monde pour fabriquer un véhicule électrique qu'un véhicule thermique ?

Je dirais que l'inquiétude fait partie de la marque de fabrique des Européens.

Oui, mais en même temps, là, il y a des raisons concrètes.

On va en parler des raisons. Mais commençons par les inquiétudes. Nous, les Européens, à force d'être inquiets, on finit par oublier d'être performants. Donc il faudrait remplacer l'inquiétude par le sens de la compétition et beaucoup de choses s'amélioraient. Mais pour répondre à votre question, nous sommes ici sur une situation qui est très simple. Nous avons une réglementation qui nous impose de vendre des véhicules électriques à un niveau de vente qui est supérieur à la demande naturelle du marché.

Donc ça, vous l'aviez un peu anticipé, vous aviez dit qu'il ne fallait pas mettre tous ses œufs dans le même panier…

Ça fait plusieurs années que nous expliquons que faire des véhicules électriques trop chers pour la classe moyenne, c'est une grave erreur stratégique. Malheureusement, nous n'avons pas été entendus. Mais ça fait partie de la vie, je n'en tire aucune amertume. On voit qu'aujourd'hui ça se matérialise. Les classes moyennes veulent bien acheter des véhicules électriques à condition qu'ils soient vendus aux prix des véhicules thermiques.

Ce n'est pas le cas, ça coûte beaucoup plus cher.

Ce n'est pas le cas, donc ça fait des hésitations sur la montée en puissance des ventes de l'électrique.

Ce sont plus que des hésitations, la demande n'est pas au rendez-vous.

Pour cette raison-là. Et il faut donc redoubler d'efforts pour pouvoir vendre des véhicules électriques au prix du thermique. C'est le cas de notre Citroën C3 électrique vendue entre 20 et 23 000 euros. Ce sera le cas également de la C3 Air Cross qui sera une voiture familiale qui sera vendue quelque part aux alentours de 25 000 euros. On voit très bien qu'il faut apporter des réponses. Il ne faut surtout pas hésiter parce qu'il faut continuer d'avancer. Les inondations, les incendies, les cyclones, tout ça, c'est une réalité. Il faut apporter des réponses à nos petits-enfants et à nos enfants.

En attendant, que dit-on aux 42 000 salariés en France de Stellantis ? On dit : "vous allez garder votre boulot, les usines vont garder la taille qu'elles ont aujourd'hui" ? Douze usines, c'est ça ?

Oui. Nous avons douze véhicules électriques qui sont fabriqués en France et qui impactent douze usines. Donc nous avons largement la gamme de véhicules électriques qu'il faut. Tout ça, c'est ce que nos employés nous ont demandé et y compris les gouvernements européens il n'y a pas si longtemps que ça, ils nous ont demandé ça. Donc, aujourd'hui, on dit, on a créé une situation qui pose un problème, oui. On nous regarde pour trouver 100% de la solution, bah non. Nous, on apportera notre contribution par la réduction des coûts. Mais cette réduction des coûts qui se fait dans un temps qui est compatible avec la capacité de nos employés à la générer, doit être accompagnée par un soutien à la demande, c'est-à-dire du soutien aux classes moyennes qui doivent acheter des véhicules électriques à des prix qu'ils peuvent payer. Ce soutien-là, il doit venir de la part des pouvoirs publics sous forme de leasing social, sous d'autres formes.

L'enveloppe pour le bonus écologique est réduite de 500 millions d'euros dans le projet de loi de finances, mais ces aides existent en France. Que demandez-vous de plus aujourd'hui ?

Je demande essentiellement la stabilité des règles et on va bien voir si ces bonus écologiques sont suffisants pour stimuler la demande. Nous allons pouvoir le mesurer tous les deux sous la forme de la demande et des ventes qui vont suivre. Je pense que la demande va s'améliorer parce que nous importons beaucoup de voitures à des prix très abordables, comme notamment la Citroën C3.

Cela veut-il dire que vous allez conserver vos emplois en France, considérant la demande qui est actuellement celle qu'elle est aujourd'hui en France ?

Ça veut dire que nous avons à absorber avec nos partenaires, fournisseurs de pièces et distributeurs, 40% de surcoût lié à l'électrification. Et nous devons absorber cela pour pouvoir vendre des véhicules électriques au prix du thermique. Nous verrons si nous y arrivons. Pour l'instant, c'est trop tôt pour le dire. Je ne suis pas censé résoudre tous les problèmes qui ont été créés par une réglementation qui est d'une brutalité inouïe et qui prend de court l'ensemble des acteurs du marché, y compris les consommateurs d'ailleurs. Et donc moi, j'apporterai ma contribution avec mes employés. Ils travaillent énormément. D'ailleurs, je les remercie très sincèrement et du fond du cœur parce qu'ils font des efforts considérables. Il faut les soutenir, il ne faut pas les critiquer et on fera notre part du chemin. Maintenant, il faut stimuler la demande. Si on ne stimule pas la demande avec un réseau de bornes de chargement encore plus dense, avec une électricité bon marché, avec si possible des aides à l'achat, a minima des aides pour récupérer les voitures plus polluantes. Si on ne les stimule pas, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des difficultés et on les affrontera ensemble.

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