Bitcoin, investissements et arnaques : "Plus les gens ont une appétence pour le risque, plus ils risquent de se faire arnaquer", avertit la présidente de l'AMF

Alors que la valeur du bitcoin bat tous les records et qu'on observe un rajeunissement des investisseurs, à quoi doit faire attention un utilisateur tenté d'acheter des cryptoactifs ? Réponse avec Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers. (RADIO FRANCE)

Mercredi 18 décembre, la justice a saisi une dizaine de distributeurs automatiques virtuels de cryptomonnaies, qui permettaient à tout un chacun, moyennant une commission, de convertir des bitcoins en euros. Ces plateformes, qui ne sont pas enregistrées auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF), présentent un risque "pour le blanchiment des capitaux ou le financement du terrorisme", explique Marie-Anne Barbat-Layani, la présidente de l'AMF. Mais échanger sur des plateformes enregistrées ne suffit pas à protéger totalement les investisseurs, rappelle-t-elle, "contrairement à ce que vous avez dans le monde financier d'une manière générale".

De plus, il faut s'attendre de la part des acteurs frauduleux à "de plus en plus de sophistication et de plus en plus de choses qui vont correspondre aux attentes des investisseurs en apparence", avertit-elle.

franceinfo : Pourquoi est-ce important de faire la chasse aux plateformes qui ne sont enregistrées auprès de l'AMF ?

Marie-Anne Barbat-Layani : Le fait que nous enregistrions ces plateformes, ça signifie qu'il y a quand même une base de contrôle minimum sur leur mode de fonctionnement qui est faite par l'AMF, notamment sur le fait qu'elles sont correctement équipées pour lutter contre le blanchiment des capitaux ou le financement du terrorisme, ce qui est très important évidemment.

Être enregistré auprès de l'AMF, c'est une sorte de label ? On peut y aller en toute sécurité ?

On peut y aller avec une sécurité relative, parce que l'enregistrement dont on parle, c'est le niveau 1 de la réglementation. On va là vérifier essentiellement l'honorabilité et la compétence des dirigeants, et la prévention du blanchiment et du financement du terrorisme. Il n'y a pas encore de dispositions de protection des investisseurs, contrairement à ce que vous avez dans le monde financier d'une manière générale. Ça, ça va arriver, notamment avec ceux qui ont déjà passé le niveau 2 qui est celui de l'agrément.

"Une meilleure protection des investisseurs va arriver avec l'agrément européen qui rentre en vigueur ce 30 décembre."

Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF

à franceinfo

En attendant, à quoi doit faire attention un utilisateur qui serait tenté d'acheter des cryptomonnaies ?

Il faut aller chez des acteurs qui sont au moins enregistrés à l'AMF, c'est très important pour ne pas risquer de tomber sur des acteurs frauduleux. On a beaucoup de fraudes liées à des acteurs frauduleux. Ensuite, il y a les conseils de base qu'on peut donner à quelqu'un qui veut investir : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Il faut du bon sens. Effectivement, le bitcoin a beaucoup augmenté. C'est un actif relativement spéculatif, au sens où il n'est pas assis sur une valeur sous-jacente. Quand vous achetez une action d'une entreprise, il y a derrière ce que vaut cette entreprise, comment elle gagne de l'argent, comment elle se développe, etc. Le bitcoin, vous pouvez gagner de l'argent, sans qu'il soit assis sur une économie réelle.

Il y a eu 500 millions d'euros de préjudice cette année, selon le parquet de Paris. Quelles sont les principales arnaques ?

Ce qu'on voit beaucoup monter ces derniers temps, ce sont les arnaques aux cryptoactifs. On voit aussi monter beaucoup d'arnaques liées à des usurpations d'identité, diverses et variées, de plus en plus raffinées, y compris usurpant l'identité de l'AMF. Par exemple, très clairement, on voit monter ce qu'on appelle "l'arnaque au carré" ou "l'arnaque sur l'arnaque". C’est-à-dire que quelqu'un qui s'est fait arnaquer, généralement sur internet, reçoit ensuite une proposition d'un faux acteur bienveillant qui vient l'aider à récupérer son argent. Et malheureusement, c'est souvent à nouveau une arnaque.

C'est de plus en plus sophistiqué, notamment grâce à l'intelligence artificielle ?

Oui, vous avez par exemple un conseiller bancaire qui vous appelle avec un numéro qui semble être le sien, des personnalités qui vont expliquer qu'ils se sont enrichis grâce à tel ou tel acteur frauduleux. En l'occurrence, nous, on vient d'agir contre un acteur qui s'appelle Immediate Connect. On a effectivement de plus en plus de sophistication et de plus en plus de choses qui vont correspondre aux attentes des investisseurs en apparence.

Quel est le profil des personnes qui se font piéger ?

On a réalisé des enquêtes là-dessus : ça peut être d'abord tout un chacun, mais évidemment, plus les gens ont une appétence pour le risque, plus ils sont en risque de se faire arnaquer. Et donc il peut s'agir notamment d'hommes plutôt jeunes qui vont avoir une certaine appétence pour le risque, pour des produits nouveaux, pensant que c'est mieux qu'un produit plus classique, etc.

Sachant qu'il y a de plus en plus de néo-investisseurs, quasiment 60 000 cette année. Vous avez affaire à un public de plus en plus jeune ?

Oui mais ça, c'est une bonne nouvelle. Effectivement, notamment depuis le Covid, on voit que les gens se préoccupent de leur argent, ce qui est une bonne chose. On a besoin d'investir pour préparer le futur, acheter un appartement, sa retraite, financer les études de ses enfants. Là, ça s'est renforcé.

"Dans ces nouveaux investisseurs, forcément plus jeunes, on trouve des profils un peu différents, qui vont se renseigner de manière différente, beaucoup plus sur les réseaux sociaux, etc."

Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF

à franceinfo

Donc effectivement, ça crée des risques nouveaux, des vulnérabilités nouvelles. Et nous, on essaye effectivement, dans nos campagnes de prévention, d'aller tenir compte de ces évolutions et d'aller chercher ces nouveaux investisseurs là où ils sont.

Donald Trump, le futur président américain qui prendra ses fonctions le 20 janvier, promet de déréguler davantage les activités bancaires et financières. Cela vous inquiète-t-il ?

Alors, s'agissant du bitcoin ou des cryptoactifs, ils n'étaient pas régulés aux États-Unis. Les Américains n'ont jamais réussi à avoir une réglementation des actifs numériques. Ce qu'a fait la France d'abord, avec la loi Pacte, puis l'Europe avec le fameux règlement MICA qui rentre en vigueur le 30 décembre. Donc, les autorités américaines ont souvent lancé des actions répressives contre les émetteurs d'actifs numériques, etc. Nous, nous avons un cadre qui est beaucoup plus clair et beaucoup plus sécurisé.

Mais Donald Trump a promis plus de dérégulation.

Mais la dérégulation, ce n'est pas forcément une garantie de bon développement d'un marché financier.

Et est-ce que ça vous inquiète ?

Ce qui nous inquiète, c'est qu'on a vu dans le passé que des grands mouvements de dérégulation, notamment aux États-Unis, avaient pu être à l'origine de crises financières, comme dans les années 2000. Donc on sera très vigilants, on verra s'il n'y a pas des mouvements qu'on risque d'importer chez nous. Mais l'Europe est beaucoup plus protectrice traditionnellement. Et donc on va regarder, on va être vigilants. On a plein de forums dans lesquels on échange avec nos collègues, notamment américains.

C'est donc un motif de préoccupation actuelle ?

En tout cas, c'est un motif de vigilance, c’est-à-dire qu'on va on ne sait pas exactement ce qui va se passer, on va voir ce qui va se passer pour éviter effectivement d'importer des risques supplémentaires.

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