Budget 2025 : "Plus tôt le projet de loi de finances sera voté, mieux ce sera", lance Xavier Jaravel, membre du Conseil d'analyse économique

"Il y a des gens comme les agriculteurs qui vont perdre plusieurs mesures qui auraient été bénéfiques pour eux. Il y a des gens qui vont payer plus d'impôts", lance vendredi, Xavier Jaravel, économiste, membre du Conseil d'analyse économique et professeur à la London School of Economics.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Xavier Jaravel, économiste, membre du Conseil d'analyse économique et professeur à la London School of Economics, le 6 décembre 2024 (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Depuis la censure du gouvernement de Michel Barnier et la démission de ce dernier, la France est plongé dans une période d'incertitude économique. Le pays peut craindre un impact négatif .Le marché boursier est, en revanche, resté insensible aux aléas politiques, du moins pour le moment.

franceinfo : Les marchés n'ont pas paniqué après la chute du gouvernement, mercredi soir. C'est un indicateur qui vaut ce qu'il vaut. Est-ce que cela signifie qu'ils sont confiants vis-à-vis de ce qu'il se passe dans le pays ?

Xavier Jaravel : Ils ne sont plus très confiants depuis assez longtemps. On mesure le taux que la France paye pour s'endetter et on compare ça à d'autres pays comme l'Allemagne. Depuis trois mois, le taux par rapport à l'Allemagne augmente et si on n'est pas encore au niveau de l'Italie, on est maintenant à un niveau plus élevé que la Grèce, que l'Espagne. On est vu comme moins bon payeurs que des élèves qui sont plutôt d'assez mauvais élèves comme la Grèce et l'Espagne. Bien sûr, on n'est pas encore l'Italie, donc on peut toujours se consoler d'une manière ou d'une autre, mais il y a quand même de l'inquiétude.

De l'inquiétude justement, vous avez quelle lecture de la situation actuelle ? Est-ce que cela inquiète l'économiste que vous êtes ?

À court terme, je pense qu'il ne va pas y avoir d'effondrement du pays. Mais à long terme, on continue à saper nos fondations puisqu'on ne va pas être capable de faire toutes les réformes qu'il faut faire. On n'est pas du tout engagé sur une réduction du déficit public et on ne fait pas les choix structurants qui auraient dû être les nôtres sur le fait de bien répartir la charge de paiement de la dette, de résorption du déficit, la charge entre actifs et inactifs, tout ce genre de choses. C'est un peu une situation tragique au sens où tout se passe finalement dans le scénario noir. Comme il n'y a pas de déflagration, il n'y a pas non plus de prise de conscience immédiate.

On peut continuer ainsi longtemps, jusqu'au jour où cela commencera vraiment comme la Grèce, c’est-à-dire quand les taux vont vraiment augmenter. C'est une voie possible. Une autre voie, c'est qu'on continue comme ça jusqu'à la présidentielle de 2027, et que là il y ait un choix plus clair qui soit fait et qu'on puisse être mis sur une trajectoire pérenne.

On va revenir un petit peu avant 2027. Ce qui se dessine pour les prochains jours, c'est une loi spéciale qui serait déposée au Parlement pour permettre, je cite Emmanuel Macron : "à la continuité des services publics et de la vie du pays en appliquant pour 2025 les choix de 2024", donc du budget pour 2024, avant une reprise des discussions budgétaires l'année prochaine. Quel impact tout cela va-t-il avoir en attendant sur nos finances publiques ?

C'est très difficile à dire puisque tout le monde pense qu'il va y avoir une loi spéciale, mais aussi qu'ensuite, le projet de loi de finances et le projet de loi de finances pour la sécurité sociale seront revotés, peut être dans des formes différentes. On aura quand même des changements par rapport à 2024. Si on restait dans ce scénario très improbable où on garde ce qu'on avait en 2024, il y a plein de complexité technique, c’est-à-dire que constitutionnellement, on ne reprend pas 2024, mais c'est, au plus, on fait comme 2024. Mais normalement l'Etat doit limiter au maximum et doit juste faire ce qui doit être fait pour assurer la continuité de la vie de la nation.

Globalement on se dit que le déficit serait de l'ordre de 6 %, le déficit serait un peu plus élevé que ce qui avait été proposé par le gouvernement Barnier. En fait, la charge sera très inégalement répartie. Il y a des gens comme les agriculteurs qui vont perdre plusieurs mesures qui auraient été bénéfiques pour eux. Il y a des gens qui vont payer plus d'impôts. En revanche, les plus riches et les entreprises échappent au surcroît d'impôt qui avait été prévu par le gouvernement Barnier.

Parmi les sujets qui ont fâché, il y a eu celui des retraites. Le gouvernement voulait reculer de six mois l'indexation des pensions sur l'inflation, inacceptable pour une bonne partie de la classe politique. Vous écriviez dans une tribune dans "Les Échos" : "Les retraités aisés devraient contribuer davantage au redressement des comptes publics."

Il y a un constat simple qui est que les dépenses liées aux retraites créent beaucoup de déficit. Vous regardez la dette accumulée depuis 2017, la moitié de la dette accumulée, ce sont les déficits liés aux retraites des régimes de la fonction publique et de tous les autres régimes. On peut voir aussi que les retraités qui aujourd'hui sont à la retraite ont un taux de rendement élevé. C'est-à-dire que souvent on dit qu'ils ont cotisé, que leurs retraites sont dues, c'est vrai, mais il faut regarder le taux de rendement. Pour eux, c'était un bon investissement au sens où ils ont un taux de rendement assez bon par rapport aux générations actuelles qui elles ont des taux de rendement projetés beaucoup plus faibles. Il y a, donc, une question d'inégalité intergénérationnelle.

Ensuite, on voit que les retraités aussi épargnent beaucoup plus que les actifs. Cela signifie que, d'une certaine manière, ils ont suffisamment de fonds disponibles et plein d'indicateurs comme le taux de pauvreté sont beaucoup plus faibles parmi les retraités. C'est pour cela que la proposition était de dire qu'on fait contribuer les retraités aisés et les faire contribuer au prorata de leur importance dans la dépense publique qui est très élevée.

En fait, quand vous regardez les chiffres, le gros des dépenses, ce sont les dépenses de retraite, ce sont les dépenses de santé, ce n’est pas du tout les dépenses du train de vie de l'Etat. C'est très difficile politiquement de défendre cette position.

Xavier Jaravel

à franceinfo

Politiquement, c'est quelque chose qui n'est pas passé.

Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que le gouvernement est censuré techniquement sur cette mesure-là. Le Rassemblement national refuse que les retraités aisés puissent avoir une désindexation partielle de leurs retraites. Donc ce n’est quand même pas un effort considérable. On demande beaucoup aux actifs et aux autres mais aux retraités, on ne demandait presque rien, mais même ça, ça ne passe pas.

Ce n'est pas l'avis de tous les retraités !

Faire partager l'effort à tout le monde, ça paraît assez normal et en particulier vu les rappels historiques que je faisais. Donc, cela n'est pas passé. Ce qui est aussi intéressant, c'est que les retraités ne votent pas pour le Rassemblement national, ils votent plutôt pour les formations du centre. Les retraités, c'est un votant sur deux, un électeur sur trois. C'est très difficile de changer d'équilibre mais je pense que ce sera nécessaire. Autrement, notre pays ne pourra pas résorber son déficit, investir dans l'éducation, investir dans l'innovation, investir dans l'avenir.

Est-ce que plus tôt il y a une loi spéciale qui est adoptée, mieux ce sera ?

Oui, parce que cela va résoudre plein d'incertitudes et notamment pour les fonctionnaires gestionnaires. Aujourd'hui, ils ne savent pas quel crédit ils vont avoir pour 2025. Il faut, par exemple, planifier les choses à l'hôpital ou alors vous êtes dans l'armée et vous ne pouvez plus acheter vos hélicoptères, vos porte-avions, plus faire de recrutement. Donc, le plus tôt la loi spéciale, mais aussi un projet de loi de finances, est votée le mieux ce sera.

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