Consommation : "On est passé à 6% de bio, ça s'est replié et ça nous met au niveau des États-Unis", regrette la directrice de l'Agence Bio
Les agriculteurs français certifiés bio vont bénéficier d'aides publiques. Lundi 18 décembre, une enveloppe supplémentaire de 34 millions d'euros, a été validée, par la Commission européenne. Laure Verdeau, la directrice de l'Agence Bio, l'agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, était l'invitée éco de franceinfo, mardi 19 décembre, pour dresser un bilan de la filière bio, dans un contexte économique difficile où les clients se font moins nombreux.
franceinfo : Cette aide supplémentaire sera-t-elle suffisante, à court terme, pour passer la crise ?
Laure Verdeau : Cette aide, qui va être au total de 94 millions d'euros, est nécessaire pour la trésorerie, pour pouvoir passer la crise. En revanche, ce dont le bio à crucialement besoin, c'est que la demande redémarre.
"La demande, ce n'est pas que les achats des Français à domicile, c'est aussi les achats de bio dans la restauration hors domicile, que ce soit les cantines ou les restaurants."
Laure Verdeau, directrice de l'Agence Biosur franceinfo
La demande aujourd'hui est en berne. Le marché est tombé à 12 milliards en 2022, soit un recul de 5%. Est-ce qu'aujourd'hui les gens achètent moins de bio dans le supermarché ?
On achetait en 2022 6,5% de bio, on est passé à 6%. Ça s'est replié et ça nous met au niveau des États-Unis en matière de consommation de bio. Ces 6% de dépenses alloués au bio ne sont absolument pas suffisant parce qu'on sait qu'on a nos voisins européens, que ce soit les Danois, les Autrichiens ou les Suédois, qui mangent entre 10 et 12% de bio. Donc si demain on mangeait comme nos voisins déjà on aurait résolu la crise. On est champion d'Europe de la production en France.
Donc le problème ce n'est pas la production ?
Non. Le problème, c'est qu'il faut accueillir cette agriculture qui va produire en bio et nous devons nous débrouiller pour leur trouver des débouchés. Ce n'est pas qu'à la maison, c'est dans toutes les occasions de la vie.
On a vu que la consommation a baissé et notamment à cause de l'inflation. L'inflation alimentaire est toujours au-dessus de 7%.
Effectivement on a vu qu'il y a un report massif vers des produits de premier prix. Mais la souffrance du bio ne vient pas que de l'inflation, elle vient d'un désamour.
Le bio est quand même plus cher...
Quand on regarde justement tout ce qu'on va acheter pour le réveillon. En ne comptant pas le foie gras évidemment, parce qu'il ne peut pas en avoir en bio, ça n'existe pas. Pour respecter le bien-être animal en bio, on ne gave pas ni les oies ni les canards. Mais il y a du saumon, des coquilles Saint-Jacques, de la truite, des super fromages et même de la truffe bio. Tous ces produits bio [ne sont pas si chers]. J'ai trouvé du saumon bio à 50 euros le kilo, alors qu'il était 6 euros plus cher en non-bio. Il y a vraiment des grands paradoxes.
Statistiquement, le bio n'est pas plus cher que le non-bio ?
Il n'y a pas qu'un prix du bio, ça dépend du circuit de distribution. Si vous achetez votre bio en direct, il est ultra-compétitif. En revanche, les seuls relevés prix qu'on a en grande distribution, ça peut osciller, mais pas toujours, entre 10 à 30% de plus. Mais ça n'a pas forcément de sens de comparer un panier en bio avec un panier identique non-bio. Parce que plus on mange du bio, plus on change sa façon de consommer, sa façon de gaspiller. Par exemple, on change son circuit de courses et on change son menu. Donc ça change l'équation économique.
Il faut aussi que les collectivités et les entreprises par leurs cantines achètent davantage bio ?
On a en France une loi Egalim qui dit qu'il faut 20% de bio dans les cantines. Actuellement, on n'en est qu'à 7% à l'échelle nationale. Il y a plusieurs facteurs qui sont souvent liés à une absence de volonté politique ou à un report sur du local. C'est vraiment dommage parce qu'à l'Agence Bio, on est en permanence sur le terrain et on voit des cantines qui sont à 30%, 50% et même 60% de bio pour le même prix que celles qui n'en ont pas.
J'étais à Angers il n'y a pas longtemps, ils ont 32% de bio local, donc c'est possible. Et ce dont on a besoin, c'est de pouvoir essaimer ces bons exemples. Parce qu'il n'y a pas mieux qu'un chef cuisinier pour recommander à un autre cuisiner, pour lui donner les astuces pour mettre plus de bio à budget constant, parce qu'on sait que c'est possible.
Comment est ce que vous expliquez qu'on ne soit absolument pas à ces 20% aujourd'hui ?
Cela nécessite un peu plus de jus de cerveau et d'huile de coude, c’est-à-dire qu'il faut organiser différemment son gaspillage. Les cantines qui ont beaucoup plus de bio gaspillent considérablement moins. Cela signifie qu'on se met en partenariat avec l'abattoir ou l'éleveur du coin. On va embaucher un boucher qui va découper les morceaux, qui va pouvoir permettre de rentabiliser toute la bête. On va jouer beaucoup sur les saisons et sur l'achat en direct. On va rentabiliser un poulet, sa carcasse va servir à faire un bouillon pour un risotto végétarien, les blancs vont être dans une salade, les cuisses vont être dans un effiloché.
"Il y a toutes sortes de pratiques qui s'apprennent, pas forcément en cuisine. On espère que le CAP cuisine va être refondu de façon à faire la part belle à l'alimentation bio et durable. Parce que juste mettre du bio, ça ne suffit pas si on ne joue pas sur son gaspillage, sur son énergie, et sa facture d'énergie."
Laure Verdeau, directrice de l'Agence Bioà franceinfo
Et donc, ce sont les collectivités locales qui doivent s'y mettre et aussi les entreprises ?
Par exemple, les 170 000 restaurants de France, que ce soit les kebabs, les étoilés, les bistrots... Ils n'achètent que 1% de bio, ce n’est pas du tout assez, cela pourrait être beaucoup plus.
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