Dépendance au gaz américain : "Mon message est d'accélérer la transition énergétique sur nos territoires pour renforcer notre souveraineté", lance la directrice générale d'Engie

Alors qu'Engie a beaucoup investi aux États-Unis ces dernières années avec des projets dans l'énergie solaire et éolienne, le retour du climatosceptique Donald Trump a de quoi inquiéter. En attendant les effets concrets, Catherine MacGregor reste optimiste pour l'Europe.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie. (RADIO FRANCE)

À l'origine spécialisée dans la vente, le stockage et la distribution de gaz, l'entreprise française Engie est un acteur mondial de l'énergie et s'est spécialisé ces dernières années dans les énergies renouvelables. Catherine MacGregor, sa directrice générale, est "l'invitée éco" de franceinfo.

franceinfo : Est-ce que vous craignez le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis, sachant que c'est un climatosceptique avéré ?

Catherine MacGregor : Au-delà des effets d'annonce, ce qu'il faut regarder, c'est la réalité sur le terrain et sur le marché. Aujourd'hui, aux États-Unis, il y a une très forte demande pour davantage d'électricité. Parce qu'il y a une croissance économique, avec le développement de data centers etc. Et aujourd'hui, les énergies renouvelables sont les meilleures solutions pour répondre à ce besoin rapide d'électricité. Parce qu'elles arrivent très rapidement à être développées et à être mises en service, plus rapidement que d'autres moyens de production. 

"On peut compter sur le pragmatisme des Américains, qui ont un besoin rapide d'électricité, pour maintenir cette volonté de développer ces projets renouvelables."

Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie

à franceinfo

Et donc de maintenir l'IRA, l'Inflation Reduction Act, qui comprend des milliards de dollars de subventions publiques pour l'énergie verte. D'ailleurs, Engie a actuellement des projets dans l'énergie solaire et éolienne aux États-Unis.

Et dans les batteries également. Mais on développait les énergies renouvelables sous l'administration de Trump quand il a été président une première fois. Même avant l'IRA, on développait déjà ces projets. On verra ce qu'il en sera. Moi, en tant que citoyenne, si les États-Unis devaient sortir de l'accord de Paris, je ne pourrais que le regretter, parce que compte tenu du poids des États-Unis, ce serait une mauvaise nouvelle.

Vous avez trois projets dans l'éolien offshore. Donald Trump a dit que "les éoliennes tuaient les oiseaux et les baleines". Qu'est-ce que ça implique concrètement pour Engie ?

Il y a effectivement eu des expressions assez fortes du candidat Trump sur l'éolien en mer. Donc on va voir s'il prend des décisions et, auquel cas, on devra arrêter le développement de ces projets. Mais on a plein d'autres projets, notamment en France.

Vous les arrêterez ?

S'il prend des décisions radicales, on devra bien sûr arrêter ces développements. Mais encore une fois, à l'échelle du groupe, on a un portefeuille de projets qui est suffisamment diversifié pour faire d'autres projets en mer, en particulier en France, où on est bien sûr très actif.

Dans le même temps, Donald Trump a prévu la reprise des forages pour exploiter le gaz de schiste, ce qui veut dire davantage de gaz sur le marché. Cela signifie que les prix du gaz vont baisser ?

Il faut faire la différence entre ce qui va se passer sur le marché domestique et des décisions sur les exportations. Quand vous parlez du marché, ce qui nous concerne, nous les Européens, c'est le gaz naturel liquéfié et exporté des États-Unis. Donc la question c'est : est-ce qu'il y aura plus d'exportations ou pas ? Ça nous ramène toujours à la question de la dépendance de l'Europe et de sa souveraineté énergétique. On a remplacé le gaz russe par beaucoup de gaz naturel liquéfié. C'est bien, mais ce sont des nouvelles dépendances. Et donc aujourd'hui, mon message, c'est : accélérons la transition énergétique parce que la transition énergétique, c'est plus de moyens de production sur nos territoires, ça renforce notre souveraineté.

Mais si Trump permet que ce gaz soit exporté vers la France, ça peut être bon pour le prix du gaz, ainsi que pour Engie, puisque vous avez des ports méthaniers ?

Effectivement, nous avons trois terminaux méthaniers qui jouent un rôle très important. Et le gaz va faire partie du mix énergétique pendant encore un moment. Mais on va baisser cette consommation de gaz dans les années à venir. C'est la clé de la transition énergétique réussie.

"Pour la transition, on va surtout utiliser d'autres molécules, des molécules vertes comme le biométhane, qui est la même molécule que le gaz naturel mais produit localement."

Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie

à franceinfo

Donc là vous avez une substitution vertueuse avec zéro CO2 émis.

Où en est-on sur la production de ce gaz ? En Europe, on est en retard ? J'ai vu que vous lanciez un appel à l'Europe pour davantage d'actions face aux risques qui persistent concernant la trajectoire de décarbonation en Europe.

Plus généralement, sur la trajectoire de décarbonation, on a effectivement un point de passage qui est important à 2030. On s'est engagé en Europe à diminuer nos émissions de 55% d'ici 2030 et d'après nos projections, on est plutôt en bonne voie.

On produit suffisamment d'énergie décarbonée ?

Alors attention, il y a beaucoup de leviers, mais l'électrification est notamment un levier très important. Et un peu plus tard, on utilisera la substitution du gaz naturel avec ces molécules décarbonées. Donc aujourd'hui, on est plutôt en bonne voie grâce à l'électricité, puisqu'on a électrifié les usages et développer massivement les énergies renouvelables. Il faut continuer et accélérer pour pouvoir passer ce point en 2030 à -55%. En revanche, là où il y a encore beaucoup de travail à faire, c'est sur la deuxième partie 2030-2050. Là, il faut s'atteler à l'ensemble du système énergétique, continuer à électrifier et puis s'attaquer à ce qu'on appelle la molécule. Donc aujourd'hui plutôt ce gaz naturel. Mais tout ce que les industriels et les moyens de transport lourds utilisent aujourd'hui, qui sont de gros émetteurs et qu'on va aussi décarboner. Là, on a encore beaucoup de travail à faire.

Est-ce qu'il ne manque pas une impulsion politique pour que cette transformation soit réelle ? Il y a quelques mois, avant les élections européennes, vous vous inquiétiez justement de l'arrivée de climatosceptiques au pouvoir en Europe. Aujourd'hui, ce risque est-il levé ?

Je suis effectivement assez rassurée par le fait que la Commission européenne va plutôt garder le cap en matière d'ambition de transition énergétique. Et ça, je trouve que c'est très bien. Après, il faut peut-être un appel à bien intégrer la compétitivité et la souveraineté. C'est très important. On ne peut pas faire la transition énergétique aux dépens de l'industrie. Il faut la faire avec l'industrie et, pour cela, aider nos industriels et notamment s'ils peuvent s'électrifier.

Une impulsion avec des aides ?

Une impulsion pour qu'ils s'électrifient. Et s'ils ne peuvent pas s'électrifier, il faut au contraire leur fournir cette molécule décarbonée, avec quelques aides au début, pour aider l'industrie à se décarboner. Et là, on aura vraiment la transition énergétique la plus vertueuse possible.

Comment on aide les industriels à se décarboner ?

Alors on peut avoir des aides pour la demande pour qu'ils puissent s'engager et avoir des aides pour payer moins cher, une énergie qui est plus verte.

Mais on a vu que ce qui manque aujourd'hui, c'est l'argent public. Le rapport Draghi disait qu'il fallait 800 milliards d'euros par an pour aider notamment l'industrie européenne à se décarboner. Cet argent public, il en manque en France et en Europe.

Le coût de la transition est réel. On l'estime à peu près entre 1,5 et 2% de points de PIB.

"Le coût de transition énergétique est à mettre en regard avec les coûts de l'importation des énergies fossiles, de cette dépendance et puis, surtout, du coût de l'inaction."

Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie

à franceinfo

Le coût de l'inaction n'est jamais dans les équations. Donc on parle beaucoup de dette économique. Il faut aussi parler de dette climatique. Quand vous regardez les événements en Espagne ce sont des vies humaines, des tragédies monstrueuses, et puis après, pour les coûts de réparation, on parle de 11 milliards, de 20 milliards, les chiffres deviennent vertigineux.

On a demandé aux entreprises de contribuer à l'effort collectif, notamment en France, avec une surtaxe pour les grandes entreprises. Combien vous allez payer chez Engie ?

Nous allons participer à l'effort national à travers a priori cette surtaxe, si le budget est voté en ce sens. Il y a effectivement un dispositif qui nous demandera une surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, qui est un impôt relativement simple, assez prévisible, qu'on arrive à quantifier en avance, qui sera borné dans le temps, si on a bien compris.

Le patron de Carrefour, Alexandre Bompard, dit qu'il est confiscatoire.

Je me prononcerai un petit peu différemment, dans la mesure où il remplit les conditions que je viens de citer. Et je pense qu'aujourd'hui, Engie est prêt à prendre ses responsabilités. On a besoin d'avoir des finances publiques qui soient saines et donc, si on doit faire un geste en ce sens, on préfère un dispositif comme celui-ci, que des dispositifs très compliqués qui essayent de cibler tel secteur ou même tel type d'actifs, comme il en a été question dans le débat public jusqu'à présent. Nous, on préfère la simplicité et on pense que, comme tout investisseur, on a besoin de stabilité, de clarté dans le cadre d'investissement.

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