Économie : "On va avoir une hausse progressive du nombre de demandeurs d’emploi dans les prochains mois", prévoit le cabinet d'expertise Alixio
Cela fait quelques semaines que les plans sociaux et les menaces de suppressions de postes inquiètent en France. Après les notables suppressions de postes chez Auchan (2 400) et chez Michelin (1 250), 400 emplois sont désormais menacés en Isère, dans l'usine chimique de Vencorex, en redressement judiciaire.
Entre activités qui se restructurent (automobile, chimie, grande distribution) et problèmes conjoncturels dus à la crise (immobilier), la crise politique ne favorise certes pas la stabilité dont les entreprises ont besoin. Mais "par chance, la France a une administration qui fonctionne très bien", assure Guillaume Allais, directeur général d'Alixio, même si "une vraie politique pour redonner confiance aux chefs d'entreprise" est très attendue "pour repartir dans une dynamique qui soit positive".
franceinfo : La CGT dénombre 300 plans sociaux en préparation, 300 000 emplois menacés. Le syndicat exagère-t-il ou constatez-vous effectivement une multiplication des plans sociaux actuellement, vous qui avez des relais un peu partout parmi les chefs d'entreprise ?
Guillaume Allais : Oui, on a une hausse des plans sociaux. Sans aller sur les chiffres de la CGT, qui sont un petit peu hauts selon nos estimations, on a une hausse des plans sociaux. C'est dû à deux choses. Il y a des secteurs d'activité qui se modifient de façon structurelle, comme l'automobile, la chimie, la distribution spécialisée et la grande distribution. Donc ça, c'est un mouvement qui a lieu depuis quelques années, qui continue. À cela sont venus s'ajouter depuis mi-2024 des effets conjoncturels dus à l'inflation et à la hausse des taux, sur un certain nombre de secteurs d'activité, comme l'immobilier qui est en grande souffrance. Le "manufacturing" a vu d'abord baisser le nombre d'employés en intérim et puis maintenant se restructure progressivement. Donc on a une réelle hausse et on va avoir une hausse progressive du nombre de demandeurs d'emploi dans les prochains mois.
L'absence de gouvernement ajoute-t-elle à l'incertitude des chefs d'entreprise et fait-elle perdre du temps à tout le monde ?
L'absence de politique réelle actuellement est un problème. Par chance, en France, on a une administration qui fonctionne très bien. La DGT (Direction générale du travail), les DREETS (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), les préfets, qui sont sur le terrain, travaillent avec les collectivités locales pour prendre les choses en main et essayer de trouver un certain nombre de solutions.
"Il est très important d'avoir rapidement une vraie politique sur ces sujets-là pour vraiment avoir une inflexion et redonner confiance aux chefs d'entreprise."
Guillaume Allais, directeur général d'Alixioà franceinfo
Redonner confiance également à tout le monde pour repartir dans une dynamique qui soit positive.
Si l'absence de gouvernement dure, elle peut ajouter à cet état où on constate qu'il n'y a plus d'embauches ni d'investissements. Vous le constatez aussi ?
On constate un ralentissement des embauches et des investissements. Et une chose est très importante : on parle beaucoup du secteur marchand, des entreprises, des services, mais pas des collectivités. On ne parle pas de tout cet écosystème d'associations qui sont en train de lever le pied car elles ne savent pas "à quelle sauce elles vont être mangées" dans le prochain budget. En attendant, elles préfèrent ralentir les embauches, peut-être ne pas renouveler un CDD, etc.
En cas de plan social, aider les salariés licenciés à se remettre sur pied, c'est le cœur de votre travail. Quels sont les leviers que vous pouvez activer chez Alixio ?
Alors le premier levier - et le plus important, c'est un accompagnement qui est personnel. C'est-à-dire qu'on accompagne chaque personne pour travailler son projet professionnel, afin qu'il retrouve un emploi qui soit similaire à l'emploi précédent, s'il le souhaite, et si c'est possible, sur le territoire où il habite. Ou alors trouver un emploi qui soit différent, et là, c'est une reconversion ou une création d'activité.
"Un changement très important a eu lieu depuis le Covid : désormais 54% des personnes que nous accompagnons sont en reconversion."
Guillaume Allais, directeur général d'Alixioà franceinfo
C'est beaucoup plus qu'avant ?
Tout à fait, on était autour de 35-37% auparavant.
C'est dû à un état d'esprit ? Aujourd'hui les salariés mettent-ils la main à la poche pour les reconversions ? Ou est-ce que ce sont les entreprises qui licencient et les pouvoirs publics qui les financent ?
Les salariés peuvent mettre la main à la poche, un certain nombre d'entre eux le font pour compléter des formations. Mais généralement, ce sont les entreprises et les pouvoirs publics qui financent toute cette reconversion.
Et ça, c'est nouveau ?
Non, ce n’est pas ça qui est nouveau. Ce qui est nouveau, c'est que nous sommes désormais dans un monde où tout le monde a compris que pour rester à l'endroit où on habite, pour évoluer, il faut faire évoluer aussi son projet professionnel. Et ça, c'est nouveau et c'est devenu vraiment quelque chose qui est ancré dans l'esprit d'absolument tout le monde. Ce n'était pas le cas avant.
J'imagine que vous devez faire une cartographie des emplois et des reconversions potentiels ?
Exactement, il faut faire ça. Il faut également travailler avec les collectivités pour faire venir des entreprises, qui vont venir créer des emplois et donner des opportunités aux personnes qui perdent le leur.
On a parlé de Vencorex. Le repreneur potentiel garderait 25 postes seulement sur 450. Que vont devenir les autres, quelles reconversions possibles pour eux ?
Alors ça, c'est ce qui va être compliqué, car on est sur les bassins de Jarrie et du Pont-de-Claix.
Mais on a vu quand même qu'il y avait des emplois disponibles dans le secteur.
Il y a des emplois. Il va falloir que chacun regarde ce qu'il est possible de faire pour travailler avec eux sur leur projet professionnel. Et que progressivement, on les amène vers ces emplois en fonction de ce que chacun a envie de faire, pour trouver vraiment un projet professionnel qui lui corresponde et qui lui permette d'avoir quelque chose de pérenne.
Ce n'est pas si simple donc.
Ah non, ce n'est pas simple. Ce n'est pas en claquant des doigts, ce n'est pas "en traversant la rue", c'est vraiment quelque chose qu'il faut travailler avec chacun. Et il y a une première étape - et je voudrais revenir là-dessus - il y a énormément d'inquiétude et cette inquiétude, elle est normale.
"Au moment d'un plan social, c'est normal d'être inquiet. Ça nous touche, soi et sa famille. C'est pour ça qu'il faut être accompagné et vraiment prendre le temps d'aller retrouver un emploi."
Guillaume Allais, directeur général d'Alixioà franceinfo
Et quelles sont aujourd'hui les filières d'avenir, celles qui recrutent ?
Alors on a entendu parler des filières d'avenir dans ce qui est l'énergie verte sur toutes ces formes alternatives d'énergie. Ça, c'est une filière qui se développe énormément. On a également des entreprises qu'on va appeler plus traditionnelles, qui recrutent. On recrute énormément chez EDF et chez Enedis, sur tous types de métiers.
Donc toujours dans l'énergie.
Oui toujours dans l'énergie. Mais le fait de relancer la filière nucléaire a été un atout et développe énormément d'emplois. Et après, il y a aussi plein de métiers qui sont des métiers de proximité. On recrute dans l'hôtellerie, dans la boulangerie, dans le soin à la personne. Donc ce sont des choses qui sont très différentes, mais il y a du travail.
Au final, peut-on espérer qu'il y aura davantage de créations de postes que de destructions d'emplois ?
En 2025, ça va être compliqué. Je pense qu'on aura peut-être une inflexion mi-2025, mais il faut que les indicateurs soient alignés et qu'on ait une vraie politique par rapport à ça.
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