Industrie : "La création, l'innovation, le design, c'est ce qui fait la différence du savoir-faire français", estime la présidente de Technilum

Agnès Jullian, présidente de Technilum, est l'invitée éco de franceinfo jeudi 21 novembre, à l'occasion de la semaine de l'industrie.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Agnès Jullian, président de Technilum, le 21 novembre 2024. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

La semaine de l’industrie se déroule du 18 au 24 novembre, avec une foule de manifestations partout en France pour faire découvrir les métiers, les filières et le made in France, notamment aux plus jeunes. À cette occasion, Agnès Jullian, présidente de Technilum, une entreprise familiale qui conçoit et fabrique du mobilier urbain, est l'invitée éco de franceinfo jeudi 21 novembre.

Un millier de collégiens, lycéens et étudiants d'Île-de-France seront d'ailleurs accueillis vendredi 22 novembre au ministère de l'Économie et des Finances à Bercy.

franceinfo : Ce genre d'initiatives est-il important ? Donner le goût de l'industrie aux plus jeunes, est-ce nécessaire ?

Agnès Jullian : Je pense que c'est essentiel aujourd'hui. On a pendant trop longtemps vécu en dehors de l'industrie. Ce n'étaient pas des métiers qui attiraient, l'industrie avait une très mauvaise image. On pensait que c'était Zola. Et aujourd'hui, l'industrie est tout autre chose, surtout en France.

Faut-il montrer aussi aux jeunes filles que l'industrie peut être une voie possible ?

Je pense qu'il n'y a pas de distinguo à faire, que ce soient les hommes, les femmes, tout le monde peut aller vers l'industrie. Effectivement, il y a de plus en plus de femmes qui s'y engagent, on le voit dans les écoles d'ingénieurs, mais on peut aussi avoir des gens qui viennent dans des postes ouvriers, dans les industries.

Vous qui êtes patronne d'industrie, avez-vous de plus en plus de CV de jeunes femmes qui viennent vous voir ?

On fait en sorte d'en avoir. On fait aussi en sorte de valoriser celles qui sont déjà chez nous. Y compris au travers de réseaux sociaux et autres, de valoriser leur expérience. Et je crois que c'est essentiel puisqu’aujourd'hui, il n'y a pas de distinguo à faire. Mais surtout, les femmes qui sont dans l'industrie aujourd'hui réussissent plutôt bien. Et donc c'est peut-être aussi à souligner.

Faut-il des modèles féminins, des femmes à la tête d'entreprises industrielles comme vous ?

Je suis peut-être la seule au syndicat de l'éclairage, ce qui est peut-être une certitude depuis déjà pas mal de temps au niveau du conseil d'administration. Ce sont des métiers qui n'ont pas été spécialement à vocation de femmes. Moi, j'y suis depuis maintenant une trentaine d'années, donc j'ai fait ma place, mais ça ne m'a jamais gênée d'être au milieu des hommes. Donc je pense que tout le monde peut être à n'importe quel poste aujourd'hui.

Technilum, c'est du mobilier urbain made in Béziers. Vous êtes présents dans une vingtaine de pays. C'est donc possible aujourd'hui de fabriquer en France à prix compétitifs ?

On ne fabrique peut-être pas à des prix compétitifs si on compare à des choses qui sont très exotiques et qui malheureusement peuvent aussi arriver sur le sol national. En revanche, on fabrique un matériel de qualité qui a des atouts. On est surtout dans des critères qui sont la création, l'innovation, le design. C'est ce qui fait aujourd'hui la différence du savoir-faire français. On a toujours parlé de la French touch. Aujourd'hui, on porte aussi des valeurs qui vont avec la French fab, on est une entreprise du patrimoine vivant et donc on valorise un vrai savoir-faire. On valorise aussi des choses qui sont différentes de ce qui peut se faire ailleurs.

Même si c'est plus cher. Parce que quand on voit les débats budgétaires actuels avec l'industrie qui est mise à contribution, que ce soit avec la baisse des aides à l'apprentissage, que ce soit aussi la diminution prévue des exonérations de cotisations, pensez-vous que vous pouvez rester compétitifs ?

Je pense qu'il ne faut pas raisonner sur le seul prix d'achat. Il faut aussi raisonner sur la maintenabilité des matériels, la réparabilité. Aujourd'hui, l'entreprise a plus de 50 ans et les produits qu'on a pu installer sont encore dans les villes, on sait les rétrofiter, on sait les faire évoluer. Je pense que c'est un peu ça l'avenir. Si on consomme un peu de manière abusive des produits pas chers, au final on aura peut-être pas, et surtout, les collectivités ne vont pas faire non plus de l'embellissement des villes. C'est un tout. Nous, on propose des choses qui sont aujourd'hui novatrices, mais qui permettent aussi, au-delà du simple fait d'éclairer, d'ajouter des fonctionnalités. Et je pense que c'est l'innovation qui va dans ce sens-là et qui fait en sorte que le matériel français, fabriqué en France, peut s'exporter partout dans le monde aussi.

L'industrie est mise à contribution dans le budget 2025 qui est en ce moment en débat. J'ai parlé des aides à l'apprentissage qui devraient être réduites. Pareil pour les exonérations de cotisations. Le gouvernement parle beaucoup d'aides à l'industrie, de lutte contre la délocalisation. Avez-vous l'impression d'avoir un gouvernement qui est à vos côtés ?

Je suis obligée de revenir en arrière. On a fait le choix, il y a déjà quelques années, de faire un très lourd investissement immobilier et donc d'industrialiser encore plus ce que nous le faisions en France, qui était déjà un choix un peu audacieux. On l'a fait à la veille du Covid, donc on sort tout juste du Covid. Effectivement, ça n'envoie pas de très bons messages, mais il faut espérer qu'on arrivera à se relever.

Ce n'est pas un bon signal ?

Ce n'est pas un bon signal, évidemment. Après, moi, j'ai une devise qui a toujours été : Il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste, il faut être déterminé. En revanche, effectivement, ça ne va pas faciliter les choses, donc on n'est pas sûr de lancer autant de recrutements sur des contrats d'apprentissage, par exemple. Et on sera vigilant. Et effectivement, le plus dur, c'est de ne pas savoir ce que va être demain. Et le plus dur, c'est aussi quand on voit des projets qui étaient bien engagés, qui par le désengagement de certaines collectivités locales vont s'arrêter.

Le Premier ministre, Michel Barnier, vient de s'exprimer devant les maires qui sont rassemblés en Congrès, eux aussi mis à contribution dans le cadre du budget, 5 milliards d'économies sont demandés aux collectivités. Comment ça peut se traduire concrètement dans les commandes pour vous qui vivez notamment de la commande publique ?

Effectivement, on fait 30% à l'export, donc 70% en France. C'est, je viens de le dire, un mauvais signal. En revanche, il faut espérer...

Un mauvais signal pour la compétitivité, mais pour la commande aussi ?

Pour la commande publique, effectivement, même si on ne répond pas en direct aux commandes publiques, on répond par le biais des sénateurs qui eux-mêmes répondent à des commandes publiques. Et effectivement, on ne sait pas de quoi va être fait demain. Donc c'est un petit peu ce qui est difficile, surtout quand les choses étaient très engagées, qu'on avait déjà plus ou moins dans nos carnets de commandes, ou en tout cas dans des opportunités existantes, des projets référencés qui peuvent être mis à mal avec les nouveaux dispositifs et peut-être le désengagement de certaines collectivités locales.

Voyez-vous une sorte d'attentisme ces derniers mois, notamment à cause de ces sujets ?

Depuis quelque temps, on l'entend. On l'a entendu effectivement, y compris dans les allées du salon des maires. Et effectivement, c'est un vrai souci, et on espère passer au-delà. C'est là où il faut aussi aller, peut-être un peu plus à l'international, mais rien n'est simple.

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