La Banque centrale européenne baisse ses taux d'intérêt directeurs : "Une très bonne nouvelle", selon directeur général d'Euronext
Pour la première fois depuis cinq ans, la Banque centrale européenne a décidé jeudi 6 juin 2024 d'abaisser ses principaux taux directeurs. "Une très bonne nouvelle", selon Stéphane Boujnah, directeur général et président du directoire d'Euronext. Il est à la tête de sept places financières européennes : les bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Milan, Lisbonne et Oslo, .
"Cela dit deux choses. Une sur le passé. L'inflation s'est stabilisée et les banques centrales sont les premières à en tirer des conséquences tangibles. La deuxième, pour le futur, c'est que la baisse des taux va permettre des conditions de financement meilleures pour l'immense majorité des acteurs économiques et va accélérer un retour au fonctionnement plus dynamique des marchés actions", explique-t-il.
franceinfo : C'est une bonne nouvelle pour les emprunteurs, mais un peu moins pour les épargnants.
Stéphane Boujnah : Non, parce que les épargnants peuvent diversifier leurs investissements. Vous savez, il y a d'autres classes d'actifs que les produits de taux, notamment les actions qui, dans la durée, offrent un rendement significativement meilleur. C'est une anomalie qui faisait qu'on avait des taux extrêmement bas. Et donc, on retourne vers un univers beaucoup plus stable, avec des taux plus raisonnables, surtout par rapport à l'inflation et un attrait pour les classes d'actifs alternatifs comme les actions, qui devient beaucoup plus important.
D'où la croissance, moins d'inflation, des places financières européennes plus attractives. Pourtant, certains ont la tentation du large, celle de franchir l'Atlantique pour être cotées à New York plutôt qu'à Paris. C'est le cas de Total, avec Patrick Pouyanné qui envisage New York. Le Dow Jones plutôt que le CAC, qu'est-ce que vous lui répondez ?
Je lui réponds qu'on travaille déjà très efficacement ensemble, plus puissant, plus pertinent sur la planète quand nous avons des grands groupes mondiaux qui sont à Paris. Donc, il faut tous se féliciter qu'il y ait des groupes comme Total qui permettent d'exercer une sorte de représentation et d'influence de ce que c'est que le modèle français à l'étranger.
Est-ce que vous comprenez cette tentation ?
Il y a un problème tout à fait particulier et spécifique à Total. En Europe, les investisseurs institutionnels aiment de moins en moins investir dans les sociétés pétrolières, les banques décident de plus en plus de ne pas financer le secteur pétrolier. Alors qu'aux États-Unis, les investisseurs continuent à beaucoup aimer le secteur pétrolier. Voilà pourquoi des entreprises de taille comparable à Total, comme Exxon Mobil ou Chevron ont en réalité une capitalisation boursière beaucoup plus élevée. Parce qu'aux États-Unis, beaucoup d'investisseurs achètent des actions du secteur pétrolier. En Europe, moins d'investisseurs achètent des actions pétrolières.
Il y a un écart de valorisation qui est objectif. La solution n'est pas le transfert de cotations. Ce qu'on essaye de faire avec Total, c'est de régler le problème particulier et très spécifique de quelques investisseurs américains qui sont obligés d'acheter dans des sociétés cotées aux États-Unis et de régler ça avec une évolution du mécanisme qu'on appelle les ADR. Donc, c'est à la fois une question technique de post-marché et une question réglementaire qu'on est en train de résoudre de manière très constructive, dans un dialogue très efficace avec l'entreprise qui, de toute façon a dit qu'elle ne bougerait pas son siège social, qu'elle maintiendrait sa cotation principale à Paris. Donc, il n'y a pas de problème de liquidité, car la liquidité du titre Total est à Paris.
Vous espérez les convaincre au-delà des arguments patriotiques ?
On n'est pas à évoquer nous les arguments patriotiques. On est en train de trouver ensemble une solution technique qui fonctionne et je peux vous dire que l'entreprise est déterminée à trouver la bonne solution pour maintenir sa cotation principale, sa liquidité principale, son siège opérationnel à Paris.
"Il n'y a aucune ambiguïté du côté de Total et nous, nous travaillons ensemble sur une solution technique."
Stéphane Boujnahsur franceinfo
C'est un cas isolé ?
C'est un cas isolé parce que, à ce jour, l'essentiel de ce qu'on appelle l'Exodus des boîtes cotées vers New York est un problème essentiellement britannique, parce que Londres était la principale place financière de l'Union européenne. Maintenant, c'est la principale place financière du Royaume-Uni et donc le marché est beaucoup plus petit. Les marchés d'Euronext sont deux fois plus gros que la Bourse de Londres sur les produits actions. Donc, il y a un problème de liquidé objective à Londres que les acteurs londoniens essayent de résoudre en partant à New York.
À deux jours, maintenant, des élections européennes, est-ce qu'il y a un risque de fragmentation supplémentaire et si oui, comment ? Est-ce que cela peut impacter les places financières que vous dirigez ?
Il y a deux niveaux d'analyse. Le premier, c'est ce qui se passe en fonction de la composition du Parlement européen qui sortira des urnes dimanche soir. De ce point de vue là, il faut que chacun fasse très attention. Il ne faut pas considérer comme acquis Schengen, l'Euro, Erasmus, le marché unique, etc. La libre circulation des personnes, des biens, des marchandises, des capitaux. Il y a un enjeu. Si des forces de la fermeture sont trop puissantes au Parlement, les choses ne vont pas continuer comme avant. Donc, il faut absolument que chacun mesure et il y a une offre disponible entre les écologistes, les partis socialistes, les partis conservateurs, les partis libéraux. Il y a énormément de formations qui ont décidé de se maintenir dans une logique d'ouverture européenne. Il y a quelques formations qui ont décidé de s'inscrire dans une logique de fermeture. Les conséquences ne sont pas du tout les mêmes sur la vie quotidienne de chacun et surtout sur l'économie.
Donc il y a un risque.
Bien sûr qu'il y a un risque de fragmentation. Alors chacun de ces risques-là est pondéré puisqu'il faut bien comprendre qu'on va élire 720 députés et que dans certains pays, les forces de la fermeture, de la régression, du rétrécissement, de la crispation, sont moins fortes qu'elles ne peuvent l'être dans d'autres pays. Mais clairement, il y a un risque. Maintenant, il y a un autre aspect qui est l'union des marchés de capitaux, où l'union de l'épargne et de l'investissement, qui est un magnifique projet.
Mais cela fait des années qu'on en parle.
Ça fait des années qu'on en parle, mais il se passe quelque chose de très différent. C'est un projet qui avait été initié par les Britanniques à l'époque où les Britanniques étaient dans l'Union européenne et les Britanniques en sont sortis. Le projet est resté orphelin pendant de nombreuses années et il a produit des mesures assez baroques. Pour la première fois depuis quelques mois, il y a eu un portage politique très fort par des leaders qui sont le président de République en France, le chancelier allemand, le gouvernement italien, le Premier ministre néerlandais, le Premier ministre espagnol. Il y a une volonté d'aller beaucoup plus vite parce qu'on avait sorti la finance du marché unique comme on avait sorti dans les années 90 l'énergie, comme on avait sorti les télécoms. Il y a une volonté maintenant de remettre ces secteurs qui sont critiques à l'intérieur du marché unique.
Concrètement, qu'est-ce que ça peut changer, cette union des marchés des capitaux ?
Ça permettra à l'épargne des Européens d'aller s'investir de manière beaucoup plus fluide dans les fonds propres des entreprises européennes. Ça permettra aux entreprises européennes de lever beaucoup plus facilement, beaucoup plus de capitaux européens et à des coûts plus faibles pour financer beaucoup plus de projets d'investissement européens.
Et comme ça, ils ne risquent pas d'aller aux États-Unis se financer et, du coup, de rester là-bas.
Absolument. Donc, c'est vraiment l'outil nécessaire pour financer mieux la transition écologique qui requiert des ressources massives, la transition digitale pour rattraper notre retard technologique par rapport aux États-Unis, pour financer les investissements dans la défense et la sécurité et nos équipements militaires dont nous avons besoin dans un contexte où on a de plus en plus de voisins menaçants. Sur ces trois gros projets, nous avons besoin de plus de fonds propres dans plus d'entreprises qui prennent plus de risques. Et pour cela, on a besoin d'orienter une plus grande partie de l'épargne des Européens vers ces projets.
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