"Les entreprises ne peuvent plus payer autant de cotisations sociales pour financer la protection sociale", exprime Michel Picon, président de l'U2P
Mardi 29 octobre se tenait la deuxième séance de négociations au siège de l'Unédic entre partenaires sociaux sur l'emploi des seniors et les règles de l'assurance chômage. Michel Picon, président de l'U2P, l'union des entreprises de proximité, soit les artisans, les commerçants, les professions libérales qui représentent deux tiers des professions, répond aux questions de Camille Revel à ce sujet.
franceinfo : Avant de parler de l'assurance-chômage, on est en plein examen du budget et le gouvernement ouvre le débat sur la suppression d'un deuxième jour férié. Le ministre du Budget dit : "On en parlera au Parlement. Mais je pense que tout ce qui permet à notre pays de montrer qu'on peut travailler davantage pour participer à l'effort de redressement va dans le bon sens." Vous en pensez quoi ?
Michel Picon : Moi, je pense que chaque jour apporte sa nouvelle fiscalité supplémentaire. Parce qu'au fond, il s'agit de 0,3% de charges en plus pour les entreprises qu'elles répercuteront dans l'entreprise avec un jour de RTT, un jour de congé... Enfin, pour nous, ce n'est pas une bonne nouvelle puisqu'on a bien vu combien la dernière journée de solidarité avait pesé dans les comptes d'exploitation des entreprises.
Qu'est-ce que vous pensez de la tournure des débats qui se déroulent en ce moment à l'Assemblée ?
Ils apparaissent plus policés que ce qu'on a pu connaître à une autre période. Moi, je suis un peu surpris par cette cacophonie d'imagination fiscale. Contrairement à ce qui était annoncé, ce n'est pas que les grandes entreprises qui sont visées, ce sont aussi les petites entreprises. Par la modification des exonérations de cotisations, par la fiscalisation des salaires des apprentis, en fait toute une série de mesures qui vont toucher les petites entreprises qui n'ont pas besoin de cela en ce moment.
Ça vous inquiète ça d'ailleurs ? Dans quel état d'esprit sont les chefs d'entreprise que vous représentez ?
Les petites entreprises sont inquiètes parce qu'elles se relèvent de plusieurs crises : la crise de l'énergie, la crise sanitaire bien évidemment, où elles remboursent avec difficulté pour beaucoup d'entre elles le PGE, une crise de l'augmentation des matières premières. Tout cela a comprimé les marges et asséché leur trésorerie. Et toute la charge fiscale et sociale qui est prévue sur elle les inquiète parce qu'elles n'auront pas les moyens de les assumer.
Si vous aviez un appel à lancer aux parlementaires qui sont en train de débattre en ce moment, quel serait-il ?
Je leur dirais d'éviter le chargement sur les petites entreprises parce que c'est 80% dans les territoires du tissu économique local. Ça amène de l'emploi. C'est 4 millions d'emplois dans les petites entreprises qui sont dans les territoires, qui permettent aux centres-villes, à la ruralité de vivre et donc d'être très prudent dans les mesures qui seront prises.
Les partenaires sociaux en ce moment sont en train de négocier sur l'emploi des seniors. Et ce matin, sur les règles de l'assurance-chômage. L'U2P a un négociateur sur place. Quels sont les retours que vous avez ?
Les retours sont positifs parce que tout le monde a la volonté d'aboutir sur la négociation de l'Assurance chômage et sur la négociation senior. Et donc chacun fait un pas vers l'autre. Jamais les partenaires sociaux ont eu une importance aussi forte que dans cette période, à un moment où la classe politique, le Parlement, est éclatée comme il l'est. Je crois que les partenaires sociaux doivent se parler, doivent aboutir dans des sujets aussi importants que les deux qui sont devant nous : le travail des seniors, le maintien des seniors dans l'entreprise, le regard aussi des entreprises dans le recrutement d'un senior. Et puis bien évidemment, l'assurance-chômage dont on voit les comptes de l'Unédic se dégrader un petit peu par rapport à ce que l'on espérait.
Le ministre du Travail vous demande de trouver 400 millions d'euros supplémentaires. Comment faites-vous ?
On demande 400 millions, on cherche 60 milliards, on veut tout ça du jour au lendemain. Il y a des pistes. Nos négociateurs sont en train d'en discuter. Il y en a une que tout le monde reconnaît, c'est celle de l'Assurance chômage des frontaliers. C'est un régime particulier qui fait que l'Unédic est en déséquilibre de 800 millions là-dessus. Alors, on ne va pas redresser tout d'un coup, mais c'est une bonne piste d'économies et je crois que tout le monde est d'accord pour redresser ce régime.
En un mot, ce dont il s'agit, c'est que les frontaliers travaillent dans un pays, la Suisse par exemple, et cotisent au niveau des cotisations de la Suisse et perçoivent les indemnités en France. Et la contrepartie que doit payer la Suisse à la France ne se fait pas. Et bien évidemment, le régime est déficitaire de 800 millions d'euros, donc on a l'intention de rééquilibrer ça. Alors, est-ce que ce sera 200 millions là-dessus ? Et puis on ira chercher 200 millions ailleurs. Il y a des pistes et la volonté des partenaires sociaux d'aboutir à un accord pour les trouver.
Sur la question de l'emploi des seniors, il y a une question sur laquelle patronat et syndicats ne sont pas forcément d'accord, c'est la retraite progressive. Vous avez mis une nouvelle offre sur la table ?
Oui, on a mis une nouvelle offre qui est celle d'anticiper la retraite progressive quatre ans avant l'âge de la retraite, qui est porté à 64 ans avant. À partir de 60 ans donc, les droits seront ouverts à une retraite progressive. Il reste encore quelques petits sujets à négocier avec les partenaires sociaux, notamment le droit des opposabilités à l'employeur du salarié. Nous, on pense que tout ça doit se faire dans la concertation, avec la capacité dans l'entreprise de trouver un remplaçant. Et je suis assez optimiste sur le résultat de cette négociation.
Vous en êtes dans la deuxième séance, mais vous vous dites on va y arriver, parce que si vous n'y arrivez pas, c'est le gouvernement qui reprendra la main.
Oui, ça serait d'abord la démonstration que les partenaires sociaux n'arrivent plus à s'entendre puisqu'on a eu un échec au mois d'avril 2024 sur cette négociation l'Assurance chômage. On avait signé un accord, mais qui n'a pas été rempli dans les faits par le report d'âge de la filière senior. Donc, il faut absolument qu'on aboutisse. Tout le monde est d'accord là-dessus. Et puis je pense que le décret de carence pris par le Premier ministre, Monsieur Attal, si nous échouons sur des réformes chômage, reviendra sur la table. Il est beaucoup plus préjudiciable pour tous, y compris pour les entreprises qui ne retrouveront pas leurs baisses de cotisations. Et comme les salariés qui trouveront des conditions beaucoup plus dures, au-delà peut-être de ce qui était nécessaire.
On parlait de la question des charges. Vous avez publié un communiqué avec les autres organisations patronales pour vous alarmer du projet de tailler dans les exonérations de cotisations dans le cadre du budget. Qu'est-ce que vous craignez ?
Je crains une augmentation des charges pour les entreprises. Ce tour : je baisse les exonérations de charges sur les salaires inférieurs à 1,3 SMIC, et je les augmente sur l'autre partie, ça ne se fait pas à équi-volume puisque l'État récupère 5 milliards de cotisations ou d'exonérations sur son budget. Je pense d'une manière globale, c'est que tout ça, c'est un peu du bidouillage. Pardon d'utiliser ce mot un peu cavalier, mais il faut qu'on en finisse avec un financement de notre protection sociale qui pèse trop sur le travail. Il faut aller financer notre protection sociale sur d'autres assiettes que le travail. C'est plus supportable.
Et la CSG a été mise en œuvre par Michel Rocard en 1991. Il faut aujourd'hui faire une nouvelle étape. S'agit-il d'une TVA sociale ? S'agit-il d'une augmentation de la fiscalité sur les placements ou s'agit-il d'une augmentation de la fiscalité sur la transmission sur l'héritage ? C'est aux pouvoirs politiques d'arbitrer. Moi, ce que je dis, c'est que les entreprises ne peuvent plus payer autant de cotisations sociales pour financer la protection sociale. On ne veut pas remettre en cause la protection sociale, mais trouver d'autres sources de financement que le travail.
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