Précarité alimentaire : "On propose une aide de 30 euros par mois, ciblée sur l'achat de fruits et légumes", rapporte le PDG de Coopérative U
La malbouffe alimentaire progresse. Elle touche particulièrement les jeunes générations et les plus précaires. C'est ce qui ressort d'un rapport de l'Institut Montaigne, un centre de réflexion libéral, publié mercredi 16 octobre, co-présidé par Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U (ancien système U), un réseau de franchisés de supermarchés, quatrième acteur de la grande distribution, ainsi que par les dirigeantes de Bel et de Sodexo, l'industrie agroalimentaire et la restauration collective.
Les trois PDG plaident pour la mise en place d'un chèque alimentation "spécial bien manger", d'un montant de 30 euros par mois à destination des 4 millions de Français les plus modestes, qui permettrait d'acheter seulement des fruits et légumes.
franceinfo : Pourquoi cette solution précisément ? Un chèque peut-il vraiment changer le comportement des clients ?
Dominique Schelcher : Ce qu'il faut d'abord dire, c'est qu'il a fallu 18 mois de travail. 100 personnes ont été auditionnées par les trois coprésidents. C'est un travail extrêmement collectif. On a essayé d'écouter tout le monde. Et dans ce travail, on s'est rendu compte que des incitations fortes, qu'on a observées dans d'autres pays, peuvent changer les choses. Y compris aux États-Unis. On pense parfois que les États-Unis, c'est le pays avant tout de l'obésité et que les choses ne changent pas. Il y a un chèque alimentaire aux États-Unis et il a changé le comportement des foyers qui en bénéficient. Donc, l'idée, c'est véritablement ça.
Ça veut dire que ce chèque alimentaire aux États-Unis ne permet d'acheter que certains produits ?
Il est fléché également sur un certain nombre de choses. Il permet aux foyers d'introduire des aliments sains dans la consommation, on l'a vraiment étudié pendant les trois premières semaines du mois. Et la dernière semaine du mois, où justement ce chèque est "épuisé", le comportement change à nouveau et il y a à nouveau plus de produits transformés. Donc oui, ça marche à l'étranger.
Les ménages les plus modestes en France consomment deux fois moins de fruits et de légumes que le reste de la population, peut-on lire toujours dans ce rapport. Le prix des fruits et légumes a augmenté de 16% en un an entre 2022 et 2023. Vous, concrètement, dans vos supermarchés, voyez-vous ce lien entre précarité et alimentation ? Bien manger, est-ce une question de prix avant tout ?
C'est aussi une question de prix, particulièrement depuis la crise inflationniste. Le mot d'ordre du client aujourd'hui, c'est l'arbitrage. Son budget est limité et contraint. Il y a aussi d'autres dépenses qui ont augmenté. Donc il fait des choix sur l'alimentation. Et parmi ses choix, les fruits et légumes, le fromage à la coupe, la poissonnerie sont particulièrement arbitrés. Et donc dans ce rapport, on a également fait le lien avec cette évolution de la consommation.
"Il y a un sujet de santé publique si, dans la durée, les gens achètent moins de fruits et légumes."
Dominique Schelchersur franceinfo
Vous êtes à la tête d'un supermarché en Alsace. Vous êtes très proche du terrain. Le voyez-vous vraiment sur les tickets de caisse ?
On le voit véritablement, et c'est la raison pour laquelle, au lieu peut-être parfois d'acheter des fruits et légumes toutes les semaines, certains foyers en achètent une fois de temps en temps seulement. On a voulu apporter une réponse à ça. C'est une réponse aussi à un autre phénomène. Vous l'avez dit dans votre présentation, l'obésité progresse de manière très forte en France. Saviez-vous que, notamment, elle est due à une consommation forte de sucre ? Saviez-vous qu'un enfant de huit ans a déjà consommé autant de sucre que son grand-père pendant toute sa vie ? C'est vraiment un phénomène incroyable. On se pensait préservé pendant un certain temps par rapport aux États-Unis, et aujourd'hui, la France suit la même courbe. Donc c'est maintenant qu'il faut réagir. D'autant qu'il y a un impact sur les finances publiques, qui est un sujet justement critique : 125 milliards d'euros par an dépensés pour des pathologies liées à la mauvaise alimentation, c'est incroyable !
Vous avez estimé le coût du financement de ce chèque alimentaire à 1,2 milliard par an, que vous proposez de financer par une augmentation des taxes sur les produits et les boissons saturés en sucre ou en calories. Expliquez-nous.
Oui. La première mesure, c'est qu'on voudrait réduire le taux de sucre ajouté dans un certain nombre de recettes, dans six ou sept produits très précis. On voudrait faire ça par un accord interprofessionnel.
Ce sont les céréales, les pâtes à tartiner, les boissons les plus sucrées...
Absolument, on a réussi à le faire sur le sel, on voudrait le faire sur le sucre. On fixe le taux et les producteurs qui ne respecteraient pas ce taux, qui seraient au-delà, pourraient subir une taxe, première source de financement. Deuxième source de financement : il y a aujourd'hui deux TVA pour un certain nombre de produits sucrés, notamment des barres chocolatées. Il y a un taux accessible à 5,5%, c'est le premier taux, et il y a un taux à 20%.
5,5%, ce n'est pas seulement pour les produits de première nécessité ?
On croit que ce n'est que pour les produits de première nécessité. Il y a des friandises très sucrées là-dedans, notamment chocolatées, qu'on propose de basculer de 5,5 à 20%. Cette seconde mesure représenterait 1,2 milliard d'euros par an et pourrait financer effectivement l'aide alimentaire qu'on propose de 30 euros par mois, ciblée uniquement sur l'achat de fruits et légumes.
Vous avez tout de même une part de responsabilité. Une enquête de la CLCV montre que 41% des promotions sont réalisées sur des produits Nutri-Score D ou E, ceux qui sont donc saturés en sucre et en calories et pas meilleurs que les autres.
Mais écoutez, ce rapport est collectif, c'est un point de départ.
Vous-même, vous faites des promotions sur les produits riches en sucre.
Ce rapport est pour nous un électrochoc aussi et va nous conduire à bouger les lignes. Il y a des choses qu'on a déjà faites, évidemment. Par exemple, sur la base du Nutri-Score que vous évoquez, on a retravaillé tous les Nutri-Score de nos céréales pour petit-déjeuner qui étaient parfois D ou E. Aucun de ces produits n'est plus aujourd'hui D ou E.
Vous ne faites plus de promo sur...
Je n'ai pas dit ça. On y travaille pour le changer. J'ai bien entendu ce constat. Donc bien sûr, il faut sans cesse se remettre en cause, avancer, tenir compte des évolutions. Et de ce rapport.
On pense aussi aux barres chocolatées qui sont accessibles juste avant les caisses des supermarchés, on voit des rayons très importants sur les céréales saturées en sucre, sur les gâteaux également. Allez-vous tirer des conséquences ?
On va tirer des conséquences sur les devants de caisse dont vous parlez, les fameux produits qui sont là juste avant le passage en caisse, on a déjà fait des tests, on a introduit ce qu'on appelle le snacking sain : des barres céréalières, des graines, des noix de cajou, etc. Juste avant les caisses, pour ne justement pas tendre la main sur un produit très sucré. Et ça a été plutôt bien accueilli. Donc on va continuer tout ça. Mais encore une fois, avec ce rapport, on voit que la responsabilité est collective, elle ne peut plus porter seulement sur le consommateur, le producteur ou le distributeur.
"Les pouvoirs publics ont une part à prendre et c'est ce qu'exprime ce rapport aujourd'hui."
Dominique Schelchersur franceinfo
Les prix en rayons sont décidés au terme de négociations commerciales gérées par la loi EGALIM. Quand on voit la difficulté qu'ont les personnes les plus précaires à bien se nourrir, quand on voit que l'inflation reste plus élevée sur les fruits et légumes que pour le reste de l'alimentation, comment faire pour que tout le monde s'y retrouve ?
Déjà, les prix baissent depuis le mois d'avril, particulièrement chez nous. Elles sont significatives. Par exemple, le paquet de quatre tranches de jambon a baissé, les huiles ont baissé, un certain nombre de produits à base de blé qui avait fortement augmenté ont baissé, les produits à base de papier, papier toilette, papier mouchoirs ont baissé. Mais j'entends que ce n'est pas suffisant parce qu'en même temps d'autres produits progressent, comme le café. On a un souci avec le jus d'orange actuellement quand il y a un ouragan en Floride, après, il n'y a pas assez d'oranges pour produire.
Michel Barnier demande la transparence sur la réalité des marges. Vous sentez-vous visé ?
Mais pas du tout, puisque nous donnons la transparence totale dans un outil du gouvernement qui s'appelle l'Observatoire de la formation et des prix et des marges, et Coopérative U, les magasins U, donnent toutes leurs marges à cet observatoire chaque année.
Donc ce ne sont pas les distributeurs qui sont en cause, si les prix ne baissent pas suffisamment ?
Nous n'avons rien à cacher et tout est ouvert et transparent. Ce qu'il faut, c'est qu'il y a des nouvelles négociations commerciales qui arrivent dans quelques semaines, il va falloir discuter des matières premières qui ont pu baisser, aller chercher des baisses de prix pour pouvoir les répercuter à nos consommateurs dans les mois qui viennent encore. Mais la baisse des prix a démarré.
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