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Yanis Varoufakis : "La France a accepté un strapontin en Europe", ce qui rend l'Europe "instable"

L'ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, était l'invité de l'interview éco jeudi, pour évoquer les négociations lors de la crise grecque en 2015.

Article rédigé par franceinfo
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L'ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, le 12 octobre 2017. (FRANCEINFO)

L'ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis dévoile les coulisses des négociations lors de la crise grecque en 2015, dans le livre Conversations entre adultes, dans les coulisses secrètes de l’Europe, aux éditions Les liens qui libèrent. Il se confie notamment sur Wolfgang Schäuble, Michel Sapin et Emmanuel Macron.

Invité sur franceinfo jeudi 12 octobre, l'économiste a estimé que "la France, et l'élite en France, a accepté un strapontin en Europe, ou du moins une place secondaire. Et du coup, l'Europe est instable". Yanis Varoufakis a aussi expliqué que l'Allemagne voulait "discipliner" la France avec le plan pour la Grèce. Pour lui, "la zone euro, c'est un champ de bataille entre l'Allemagne et la France".

franceinfo : Dans votre livre, vous révélez des conversations privées avec Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand qui quitte son poste. Au coeur de la crise en 2015, aurait-il accepté de signer le plan pour la Grèce pour son propre pays, l'Allemagne ?

Yanis Varoufakis : Je lui ai posé la question ainsi : "Est-ce que vous pourriez signer cela, si vous étiez moi ?" Et il m'a dit : "En tant que patriote, non". On voit là, l'échec complet de la gouvernance en Europe. Il est le ministre des Finances le plus puissant d'Europe et il me pousse à signer un document dont il sait qu'il est mauvais pour mon pays, mais aussi pour l'Europe. Cela résume la tragédie que nous vivons aujourd'hui en Europe. Son but était de discipliner la France. C'était très clair. Il avait compris que ce "programme" pour la Grèce était mauvais pour elle et que les autres nations européennes ne seraient pas remboursées. Donc je l'ai poussé dans ses retranchements et lui ai demandé pourquoi il insistait. Et il m'a dit : "C'est très simple, c'est la seule façon de discipliner le reste de l'Europe". Le reste de l'Europe, dans la bouche de Wolfgang Schäuble, cela veut dire la France. Parce que la zone euro, c'est un champ de bataille entre l'Allemagne et la France.

Lors de ces négociations, vous avez aussi rencontré les dirigeants français. Le ministre des Finances d'alors, Michel Sapin, vous soutenait en privé mais peu en public. Vous a-t-il expliqué pourquoi ?

Sa réponse était aussi franche que triste : "Yanis, m'a-t-il dit, tu dois comprendre que la France n'est plus ce qu'elle était." Je crois que cette expression résume le problème de l'Europe. La France, et l'élite en France, a accepté un strapontin en Europe, ou du moins une place secondaire. Et du coup, l'Europe est instable.

Parmi vos alliés, en 2015, vous comptiez Emmanuel Macron, qui était alors ministre français de l'Economie. Comment vous a-t-il aidé ?

Emmanuel Macron était magnifique, au niveau personnel. Il envoyait des messages de soutien, et je pense qu'étant donné les contraintes qui étaient les siennes dans le ministère de l'Economie, un ministère très puissant au niveau européen, il a fait tout son possible. J'ai apprécié cela et j'essaye de lui rendre hommage à cet égard dans mon livre. Mais qu'aurait-il fait s'il avait siégé dans l'Eurogroupe [l'organe informel qui réunit tous les mois les ministres des Finances de la zone euro]. Est-ce qu'il m'aurait soutenu tout autant ? Maintenant, il est président, et en réalité les choses ne sont guère prometteuses. Il est allé à Athènes et a déclaré que la Grèce était en pleine reprise. Mais, en réalité, la Grèce n'est pas en pleine reprise. Ce type de subterfuge n'aide pas Emmanuel Macron à établir le leadership dont il a besoin pour son projet européen. L'Europe est encore en pleine stagnation, les Européens remettent en question la validité de l'Union européenne, étant donné la très mauvaise gestion. Et la Grèce étant la partie la plus fragile de l'Union européenne, c'est la grande victime. Nous sommes tous plus pauvres, et nous avons moins d'espoir que ce que nous méritions.

N'avez-vous jamais douté de vos positions ?

Etant le ministre des Finances d'un pays en faillite et d'un gouvernement en faillite, c'était très clair : qu'on soit de gauche ou de droite, on se rend compte qu'on ne peut pas échapper à la faillite avec simplement des prêts qui réduisent vos revenus, surtout s'il y a des taux d'intérêt. Donc la profondeur de la crise que nous avons connue me permet d'être certain d'un bon nombre de choses. Certitude renforcée par le fait que Mario Draghi [président de la Banque centrale européenne], Christine Lagarde [directrice générale du FMI], Wolfgang Schäuble, Emmanuel Macron, aucun ne m'a dit "Yanis, tu te trompes, ton analyse est fausse". Au contraire, tous, sauf Emmanuel Macron, m'ont dit "Tu as raison, mais nous avons tant de capitaux politiques investis dans cette perspective grecque qu'on ne peut pas avancer". Mais moi, je n'étais pas là pour succomber. J'ai expliqué que mon devoir, il était envers les Grecs et envers le reste de l'Europe : "Vous, ce que vous faites depuis 2008 et même avant, c'est étendre la crise vers l'avenir, tout en faisant semblant de la résoudre. Moi, je ne veux pas faire partie de ce racket.

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