Alertes non prises en compte, soldats redéployés de Gaza en Cisjordanie... Pourquoi le massacre du 7-Octobre aurait pu être évité

Il y a un an, l’attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire d'Israël faisait près de 1 200 morts, dont 800 civils, selon le bilan communiqué par l’Etat hébreu. C'est l’échec le plus important de l’histoire du renseignement et de l’armée israélienne.
Article rédigé par franceinfo
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Des soldats de l'armée israélienne le 30 octobre 2023 dans le kibboutz Nir Oz, attaqué par le Hamas le 7 octobre 2023 (YURI CORTEZ / AFP)

Comment l’armée la plus puissante du Moyen-Orient, qui s’appuie sur les services de renseignements parmi les plus performants du monde, n’a-t-elle pas su déjouer l’attaque du 7 octobre 2023 ? Un an après, des voix se font entendre en Israël, qui pointent des manquements dans les dispositifs de sécurité. 

Des alertes, notamment, n'ont pas été prises en compte ce jour-là. Celles lancées par les jeunes soldates que l’on surnomme "les yeux d’Israël", les Tatzpi Tanyotte en hébreu (que l’on peut traduire par guetteuse ou observatrice). Elles sont stationnées à la lisière de Gaza, elles ne sont pas armées, et elles scrutent derrière un écran les mouvements du Hamas dans l’enclave. Il y a un an, le 7 octobre à 6h29, Roni Eshel, 19 ans, était en poste. Elle a été une des premières à alerter ses supérieurs, à la radio, de l’imminence d’une attaque : "Trois hommes viennent de traverser la zone de sécurité (...) Ils sont armés !"

"Tout ce qu’ils faisaient, on le savait..."

Roni Eshel est morte le 7 octobre, comme 15 des 26 guetteuses de la base de Nahal Oz. Noa* la connaissait. En juin 2023, trois mois avant le massacre, cette Franco-Israélienne était guetteuse au poste-frontière de Kerem Shalom, au sud de Gaza : "Quand j’étais observatrice, j’étais devant le groupe de Khan Younes du Hamas. On pouvait voir des entraînements avec jusqu’à 30 personnes du Hamas qui s’entraînent à comment prendre en otage un soldat, comment tuer quelqu’un, comment briser la barrière, comment tirer sur un tank pour qu’il explose, décrit-elle. Ils ont comme des maquettes, des grosses maquettes de notre barrière, de notre frontière, des grosses maquettes de tank. Tout ! Tout ce qu’ils faisaient, on le savait..."

La base militaire israélienne de Nahal Oz, à la frontière avec la bande de Gaza, après l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 (MOMEN FAIZ / NURPHOTO)

Les guetteuses ont donc tout vu, tout rapporté, mais n’ont pas été crues. Talia, l’une d’entre elles, a terminé son service militaire il y a un peu plus de deux ans. "Que ces alertes n’aient pas été entendues, ça me met super en colère, témoigne-t-elle. Il y a eu tellement de gens endeuillés à cause de l’incompétence de Tsahal. Et on accorde peu d’importance aux paroles des soldates qui sont guetteuses." 

"On est jeunes, on a 18 ans, on est tout en bas de la hiérarchie de l’armée. C’est une des raisons pour lesquelles les alertes n’ont pas été entendues."

Talia, ancienne "guetteuse" israélienne

à franceinfo

L’armée israélienne n’a pas entendu ou n’a pas voulu entendre. Un an avant le 7 octobre, les services de renseignement ont eu accès à un document de 40 pages, qui décrivait point par point le plan d’attaque du Hamas. Le dossier, appelé "Mur de Jéricho", est passé entre les mains de plusieurs responsables, qui ont choisi d’ignorer l’alerte, estimant que le Hamas n’était pas capable de mettre sur pied une offensive aussi ambitieuse.

Des interrogations sur l'intervention tardive de l'armée

Pourquoi l’armée n’est-elle pas intervenue plus tôt ? Déjà parce que les bases militaires, comme celles de Nahal Oz ou de Réïme, ont été très vite attaquées. Et parce que le 7 octobre était un jour férié : les juifs célébraient la fête de Simatora, il y a avait sans doute moins de vigilance.

Irit Lahav, une survivante de l’attaque du kibboutz de Nir Oz, est restée 12 heures, avec sa fille, dans l’abri de sa maison. "On a entendu 7 ou 8 hommes. Ils criaient en arabe, raconte-t-elle. On pouvait entendre des tirs. Ils ont frappé à la porte de l’abri. Ils ont tenté de la forcer. Ils ont essayé d’ouvrir et de nous faire sortir de là. Mais ils n’en ont pas été capables. Nous sommes restés comme ça 12 heures." Une fois libérée, Irit Lahav a pu échanger avec des soldats et essayer de comprendre pourquoi, pendant tout ce temps, les habitants du kibboutz avaient été livrés à eux-mêmes : "Ce soir-là, j’ai demandé aux soldats : 'où étiez-vous ? Il était 6h du soir, mais où étiez-vous ?' Certains m’ont dit qu’ils avaient été appelés en Cisjordanie pour récupérer leurs équipements. Depuis un moment, ils ont progressivement déplacé de plus en plus de soldats vers la Cisjordanie pour protéger les colons. Et c’est fou ! On était en train de se faire tuer !"

"Le gouvernement israélien est un gouvernement d’extrême droite. Les colons de Cisjordanie occupée sont plus important à leurs yeux que nous, les gens de gauche, qui vivons dans des kibboutz à côté de la bande de Gaza. S’ils avaient ne serait-ce qu’un peu de dignité, ils auraient démissionné. Aucun d’entre eux n’a fait ça."

Irit Lahav

à franceinfo

Selon plusieurs sources, deux bataillons ont été effectivement transférés de Gaza en Cisjordanie avant le 7 octobre, information non confirmée par l’état-major.

En revanche, un premier rapport officiel a été publié il y a moins de trois mois, sur les massacres dans le kibboutz voisin de Be'eri. Conclusion : l’armée n’était pas préparée au scénario d’une infiltration massive autour de Gaza. Et plus surprenant, des soldats sont restés dans la matinée, à l’entrée du kibboutz, sans intervenir. D’autres enquêtes sont en cours et les conclusions devraient être publiées dans les prochaines semaines.

* Le prénom a été modifié

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