"C'est une journée particulière mais on va la vivre seuls" : cinq ans après les attentats du 13-Novembre, l'impossible commémoration
À cause du confinement, les proches de victimes et les rescapés ne pourront pas se réunir cette année pour commémorer le cinquième anniversaire de l'attentat qui a tué 130 personnes. Une situation difficile surtout que les récents attentats en France ont reveillé leurs souffrances.
"Chaque année, quelques semaines avant les commémorations, je somatise un peu", explique à franceinfo Christophe Naudin, qui se trouvait au Bataclan le 13 novembre 2015. "J'ai des maux de tête, je suis fatigué et stressé."
Cinq ans après les attentats du 13-Novembre, qui ont tué 130 personnes, cette victime se pose toujours la même question : comment se reconstruire alors que de nouveaux attentats sont commis en France ?
L'attaque à Nice et Samuel Paty ont réveillé les angoisses
Christophe Naudin, qui se cachait dans un placard au Bataclan pour échapper aux balles des terroristes le 13-Novembre, est professeur d'histoire. À l'approche des commémorations, l'assassinat de Samuel Paty, enseignant comme lui, a fait ressurgir son traumatisme. "J'ai appris à reconnaître mes symptômes. Avec l'assassinat de Samuel Paty, ces symptômes ont été plus forts les jours suivants. Je savais depuis au moins 2015 que les enseignants étaient des cibles potentielles, j'avais cette espèce de menace sourde qui est devenue concrète d'un coup."
Cette menace toujours présente, Nadine Ribet-Reinhart la connaît bien. Elle a perdu son fils, Valentin, au Bataclan. Depuis chaque attentat rouvre un peu plus la blessure. "C'est une souffrance intérieure. On reprend notre part du fardeau, on sait ce que les personnes vont vivre."
On a suivi évidemment l'hommage national fait à Samuel Paty et aux trois victimes de Nice, on est solidaires mais on ne peut pas supporter ça. Ça réveille une souffrance, mais comme elle est perpétuellement présente, ça l'exacerbe.
Nadine Ribet-Reinhartà franceinfo
Vivre avec cette douleur en permanence, c’est d’autant plus dur dans une société qui a tendance à trop vite à oublier, selon Nadine Ribet-Reinhart. "Il y a une menace qui a vraiment ressurgi, peut-être qu'on s'était un peu assoupis, estime-t-elle. Il faut vraiment que les Français en prennent conscience. Je ne demande pas l'impossible aux gens, je voudrais juste qu'ils reconnaissent que ce n'est pas seulement l'affaire de quelques centaines de familles qui ont été impactées par le terrorisme."
Georges Saline a perdu sa fille Lola au Bataclan et ce qui le met le plus en colère ces dernières semaines, c’est la réaction, totalement décalée selon lui, de certains membres du gouvernement après les récents attentats. "Il y a des déclarations comme celle de Gérald Darmanin qui s'offusque de la présence de ce qu'il appelle des 'rayons d'alimentations communautaires'. Tout le monde a compris qu'il s'agissait de nourritures halal dans les supermarchés. Je trouve que ça n'a rien à voir avec le sujet, tonne-t-il. Ce n'est pas digne et c'est contre-productif parce que ca accrédite l'idée qu'on stigmatise la pratique religieuse musulmane en ce pays. C'est le pire des messages à envoyer." Selon Georges Salines, il faut plus d'éducation, rassembler plutôt que diviser. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, ni durant les cinq dernières années, selon lui.
L'impossible recueillement à l'heure du Covid-19
À cause du confinement, l’enfermement a été dur à revivre pour plusieurs rescapés des attentats, notamment pour les anciens otages du Bataclan. Il y a aussi le sentiment de revenir en arrière ou de subir un coup de frein dans la reconstruction, constate Muriel Salmona, une psychiatre qui suit une dizaine de rescapés et de proches de victimes du 13-Novembre. "Il y avait des projets qui commençaient vraiment à émerger, des personnes qui commençaient à pouvoir un peu plus sortir et puis là on a l'impression que tout ça est mis à terre par le confinement. C'est aussi pouvoir être avec les proches avec lesquels on se sent bien, ne pas rester seul. Tout devient beaucoup plus compliqué." Certains de ses patients ont d’ailleurs dû recommencer à prendre des médicaments ou retourner consulter un psychologue, alors que plusieurs avaient pu arrêter leur suivi.
L'autre coup dur lié au Covid-19, c'est l’annulation des commémorations cette année à cause du confinement. Il n'y aura que quelques officiels et des représentants des associations mais les proches de victimes et les rescapés ne pourront pas se recueillir à cause des mesures sanitaires. "On ne va pas pouvoir s'etreindre et se réconforter, regrette Nadine Ribet-Reinhart. C'est plus que difficile, c'est le sort qui s'acharne sur nous. C'est une journée particulière mais on va la vivre seuls". Avec son mari, Nadine Ribet-Reinhart a décidé d’aller quand même au Bataclan ce vendredi pour poser des fleurs et rendre hommage malgré tout à son fils et aux 129 autres victimes du 13-Novembre.
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