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"Chez moi je parle français, mais à l'école je parle basque" : le succès de l'enseignement immersif au Pays basque

Le Conseil constitutionnel doit se prononcer vendredi sur la loi Molac qui vise à protéger et promouvoir les langues régionales. Elle permet notamment l'instauration de l'enseignement immersif. Pourtant, ce modèle "immersif" existe déjà comme au Pays basque, où des écoles associatives séduisent de plus en plus.

Article rédigé par Alexis Morel - Edité par Pauline Pennanec'h
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Classe de CM2 de l'école "Oihana Ikastola" de Bayonne. (ALEXIS MOREL / RADIO FRANCE)

Y aura-t-il bientôt des écoles 100% en basque, breton ou catalan dans l'enseignement public ? C'est en tout cas ce que permet la loi Molac sur les langues régionales, votée le 8 avril dernier à l'Assemblée nationale contre l'avis de Jean-Michel Blanquer. Saisi par des députés de la majorité, le Conseil Constitutionnel doit se prononcer vendredi 21 mai.

Cependant, ce modèle "immersif" existe déjà : les écoles Diwan en Bretagne, les Calendrettes en Occitanie, ou encore les Ikastolas au Pays Basque. Au total, il existe 160 établissements qui enseignent à 14 000 élèves. Sur les 12 millions d'élèves français, cela est peu, mais ça marche fort : ces structures privées sous contrat revendiquent une hausse continue des effectifs de 4% chaque année.

"C'est naturel de changer de langue"

Dans cette Ikastola de Bayonne, ils sont une centaine d'élèves de la petite section au CM2 et font des exercices de mathématiques... en basque. Ici, tout ou presque se fait, se dit, s'étudie en langue régionale, dans la classe mais aussi à la récréation ou la cantine. Le français n'est introduit qu'à partir du CE1 et à petite dose : trois heures par semaine pour commencer. "Pour moi c'est naturel de changer de langue, confie une jeune fille. Chez moi je parle français, mais à l'école je parle basque."

Au Pays Basque, on compte 4 000 élèves scolarisés dans les Ikastolas. Leur nombre est en augmentation constante, une centaine d'élèves supplémentaires gonflent les effectifs chaque année. On est loin aujourd'hui des petits cercles très militants des débuts, car le profil des familles change : dans cette école de Bayonne, plus la moitié des parents ne sont pas bascophones, ce qui est bien pratique d'ailleurs... "Quand j'ai des secrets à dire à ma sœur, je peux les dire en basque", sourit une élève. "Ça a été une évidence pour nous parce qu'effectivement, ça fait partie de notre identité et même si on ne parle pas le basque à la maison, chez nous, typiquement, ça a sauté une génération", raconte Maritchu, une parent d'élève.

Mes parents parlent basque, nous, notre génération, on ne le parle pas, par contre il y a une très grande majorité qui a scolarisé leurs enfants dans les Ikastolas pour retrouver justement ce côté-là qu'on a perdu.

Maritxu, parent d'élève

à franceinfo

Plus surprenant : l'école compte aussi des nouveaux arrivants, des familles en provenance d'autres régions comme Marie. Elle a inscrit son fils ici pour "un apprentissage de la langue et de la culture basque, mais aussi un peu pour une éducation alternative avec des classes moins chargées, un rapport à l'enfant assez proche et un esprit d'école solidaire".

Le professeur de langue basque en plein cours avec sa classe de CM2 à l'école Oihana Ikastola de Bayonne. (ALEXIS MOREL / RADIO FRANCE)

Que de nouveaux arrivants soient attirés par ce modèle 100% basque; cela n'étonne pas Peio Jurajuria, président du réseau des Ikastolas, qui avance ses arguments. "Les nouveaux arrivants savent que s'ils veulent s'intégrer sur le territoire, il faut qu'ils rentrent dans cette vie culturelle, dans cette vie linguistique, avance-t-il, et ils savent aussi, et ça c'est un acquis assez récent, qu'apprendre la langue basque ne pénalisera pas l'acquisition du français, au contraire. Nous avons pu présenter des élèves au bac, ils ont obtenu des résultats admirables. Plusieurs fois dans les classements des meilleurs lycées de France, nous sommes arrivés dans les top 10, dans les top 5."

Si ces écoles sont attractives, il y a peut-être un revers à cette médaille. "On a de plus en plus de familles qui parfois, on a l'impression qu'elles sont venus un peu là par hasard, explique Lola Garcia, la directrice de cette Ikastola. Il faut un peu plus travailler le projet. Il faut qu'on remette la langue souvent au centre. On leur dit 'attention, il faut que vous soyez conscient de ce que ça représente ici. On passe le portail, on passe à l'euskara' [on passe à la langue basque]. C'est un projet de société, les Ikastolas."

On fait naître de nouvelles générations bascophones, et ça, souvent, les parents n'en ont pas conscience. Dans les nouveaux publics, ce projet global, on le ressent de moins en moins.

Lola Garcia, directrice d'une ikastola de Bayonne

à franceinfo

Que pense l'Education nationale de l'école immersive en langues régionales ? Ce n'est clairement pas la tasse de thé du ministre. Jean-Michel Blanquer l'a dit le mois dernier lors de la discussion de la loi sur les langues régionales qui permet d'instaurer l'immersif dans le public. Pour lui, c'est un problème car "les premières années d'apprentissage du français sont déterminantes". Il parle même de risque social, d'exclusion pour les enfants dont les parents ne parlent pas bien le français à la maison. Jean-Michel Blanquer préfère le modèle bilingue, qui existe déjà dans l'enseignement public.

Le succès des écoles immersives en langue régionale, l'exemple des Ikastolas basques. (ALEXIS MOREL / RADIO FRANCE)

"Nous sommes une bête noire"

Le Conseil constitutionnel doit se prononcer vendredi 21 mai après avoir été saisi par des députés de la majorité. Un recours mal vécu par Jean-Louis Blenet, président de l'Institut des langues de la République Française, l'organisme qui réunit les cinq réseaux immersifs. "Le recours est venu encore mettre en évidence cet acharnement du ministère, déplore-t-il. Nous sommes une bête noire, là on le voit, c'est clair. Plusieurs fois, le ministre a déclaré des choses très désagréables par rapport à l'immersion, et il essaie vraiment de gêner notre résistance. C'est très rageant parce que la population est en demande."

Au ministère, on se dit favorable aux langues régionales tant que ce n'est pas au détriment du français. Pour prouver son ouverture, l'Education nationale rappelle qu'elle expérimente déjà l'immersion dans une vingtaine de classes publiques au Pays Basque.

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