Deux ans après l'assassinat de Samuel Paty, un prix pour lui rendre hommage et "pour dire non au fanatisme religieux et à l'obscurantisme"
Pap Ndiaye, le ministre de l'Education nationale, sera à la Sorbonne samedi 15 octobre pour la remise du premier prix Samuel-Paty, en hommage au professeur d'histoire-géographie assassiné il y a deux ans. Les élèves devaient répondre à la question : "Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ?"
Au collège de Bourg-Lastic, un village perché sur les plateaux auvergnats, à une soixantaine de kilomètres de Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, tout a commencé par un cours d'éducation morale et civique dispensé à l’unique classe de troisième du collège l'hiver dernier.
Un cours assuré par le professeur d'histoire-géographie Jean-Emmanuel Dumoulin : "Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, se souvient ce dernier, c'est que pendant le cours, nous avons débattu de si on pouvait ou pas critiquer une religion. Et une élève m'a dit : 'Désolé, on va pas parler de ça, parce qu'on va se battre.' À ce moment-là, ça a fait tilt et je me suis dit qu’on allait apprendre plutôt à… débattre."
Débattre, donc accepter d'échanger ses points de vue et utiliser sa liberté d'expression. C'est justement le thème du prix Samuel-Paty, qui sera remis samedi 15 octobre à La Sorbonne par le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, en présence de Mickaëlle Paty, une des sœurs du professeur d’histoire-géographie assassiné il y a deux ans après avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves. La question à laquelle devait répondre les élèves pour la première édition du prix était : "Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ?"
Un podcast sur la liberté d’expression
Les dix collégiens de 4e et de 3e qui ont participé au projet ont enregistré un podcast d'une quinzaine de minutes dans lequel ils présentent d'abord la liberté d’expression, inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que les limites légales de cette liberté : "Les injures, la diffamation, l'outrage, l'appel au crime et au délit, l'appel à la violence, l'apologie du terrorisme et du négationnisme. Tout cela est interdit. En restant dans ce cadre légal, on est donc libre de s'exprimer. Toutefois, les choses ne sont pas si simples."
Ensuite, un des collégiens, Antoine, raconte une expérience personnelle. Membre de la webradio du collège de Bourg-Lastic, Radio M, il s’est senti censuré quand le professeur d’histoire-géo qui les encadre lui a demandé de corriger une chronique. Elle portait sur le guitariste du groupe Motörhead. "Mes tournures de phrase pouvaient laisser penser que j’incitais les auditeurs, essentiellement des élèves du collège, à prendre de la drogue, comme le guitariste", concède Antoine, qui a compris que dans ce cadre, il contrevenait à la loi. Après débats et discussion avec l’enseignant, et ses camarades, il a finalement modifié sa chronique.
"Je n’ai pas eu le sentiment que ma liberté d’expression était atteinte. J’en ai compris les limites. On peut dire ce que l’on veut, à condition de respecter cette loi."
Antoineà franceinfo
Puis dans le podcast, les collégiens prennent l'exemple des dessins de presse, et des caricatures de Charlie Hebdo, qu’ils ont étudiées. Elles peuvent choquer, offenser, mais doit-on, pour cette raison ne pas en parler, ne pas les montrer ? C'est Jade, une des collégiennes, qui répond à cette question : "La liberté d'expression n'est pas limitée par la susceptibilité de chacun. Parce que sinon, on ne pourrait rien dire sans vexer quelqu'un. Et donc on ne pourrait pas s'exprimer librement." Une de ses camarades complète dans le podcast : "Il y aurait toujours quelqu'un pour se sentir offensé. Et plus aucune critique ne serait tolérée. Plus de débats, plus de discussions et au final plus de démocratie." "Le rôle d’un dessin de presse, selon Solane, c’est de faire réfléchir sur un sujet, de débattre, sans contrevenir aux lois qui régulent la liberté d’expression."
À l’issue de ce travail de groupe, certains ont modifié leurs comportements, notamment sur les réseaux sociaux. Fanny explique qu’elle essaye de davantage prendre en compte les opinions des autres, tout en veillant à "n’offenser personne, ne pas discriminer non plus. On ne se rend pas forcément compte parfois de ce que l’on dit ou écrit". Antoine, lui, estime qu’il avait tendance à diffamer dans ses chroniques écrites pour la webradio. "Depuis, je ne le fais plus", assure-t-il.
"Je me dis que je n’ai pas perdu mon temps"
En entendant ces mots, au micro comme dans le podcast, les yeux de Jean-Emmanuel Dumoulin s’illuminent. "Quand je vois qu’ils ont compris ce qu’était la liberté d’inscription, ses limites, l’importance de débattre, mais aussi d’écouter les points de vue des autres, être en capacité de changer d’avis, ne pas s’enfermer dans ses propres certitudes, ce n’est quand même pas rien dans la bouche d’adolescents de 15 ans. Je me dis que je n’ai pas perdu mon temps."
Pour leur podcast sur la liberté d'expression, les collégiens sont récompensés : ils terminent à la deuxième place de ce prix Samuel-Paty. Et ils ne s'y attendaient pas du tout. Aussi entend-on beaucoup de fierté et de retenue, dans la voix de Clément : ''Cela m'a vraiment surpris et j'étais content que tout le travail qu'on a fait auparavant a payé. Moi aujourd'hui, j'en suis content. Je pense que je ne m'en rends pas compte encore, ce sera plutôt samedi."
Samedi après-midi où la cérémonie s'annonce très émouvante pour lui : il y a deux ans, il a été "bouleversé" par l'assassinat de Samuel Paty, tué pour avoir "enseigné sa matière", après avoir montré dans un de ses cours des caricatures de Mahomet. À travers leur podcast, Solane espère lui avoir rendu hommage : "Il a fait travailler sa classe sur une caricature, comme nous, on l'a fait. Du coup, il travaillait sur cette liberté d'expression, et c'est après cela qu'il a été assassiné... Donc moi, je trouve que le podcast et son cours se sont croisés." Un parallèle qu'a également noté, et décidé de distinguer, parmi les 40 projets reçus, l'Association des professeurs d'histoire-géographie qui a créé ce prix Samuel-Paty.
"Notre choc, on a voulu essayer de le convertir en quelque chose de positif pour faire en sorte qu'on se souvienne de lui grâce au travail qu'il pouvait mener avec ses élèves, explique Christine Guimonnet, la secrétaire générale de l'association. Ce n’est pas un concours pour pleurer la mort de Samuel. C'est un concours pour montrer à travers ce que font nos collègues, avec leurs élèves, ce qu'il aurait pu continuer à faire s'il n'avait pas été assassiné. On a voulu créer ce concours pour rendre hommage à l'un des nôtres, parce que Samuel, c'est l'un des nôtres."
Elle-même professeure d’histoire-géographie à quelques kilomètres de l'ancien collège de Samuel Paty, elle craignait qu'avec le temps, son assassinat ne tombe peu à peu dans l’oubli, explique Christine Guimonnet, la secrétaire générale de l'association.
"On est dans une société très volatile, où une information est chassée par une autre. Ca nous a traversé l’esprit que son assassinat puisse être oublié."
Christine Guimonnetà franceinfo
"Que Samuel finalement qui nous accompagne tous les jours, qu'il soit pas mort pour rien, c'est ça ce prix, poursuit Christine Guimonnet. Et faire ce prix, ce travail, c'est dire non au fanatisme religieux et à l'obscurantisme, et oui au savoir, oui à la réflexion et à l'épanouissement des élèves, oui à la connaissance."
L'association des professeurs d'histoire-géo clôt ce samedi les inscriptions pour la deuxième édition du prix. Son thème : "Les infox, quels dangers pour la démocratie ?"
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