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Reportage
Pollution lumineuse, sentiment d'insécurité et "radins" : dans ces villes qui éteignent les lumières la nuit, les habitants sont partagés
Chaque semaine, une nouvelle commune en France annonce qu'elle va couper ses lumières au cœur de la nuit pour faire des économies. À Magny-les-Hameaux, ville des Yvelines de 9 500 habitants, c'est le cas depuis un mois. À partir de 23 heures, dans les hameaux et minuit dans la partie urbaine, on éteint tout.
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"Je suis dehors quasiment tous les soirs et je préfère quand il y a de la lumière. Quand on conduit, c’est dangereux, on ne voit rien donc on peut faire un accident plus facilement", déplore Dylan, l'une des rares personnes croisées dans la rue à ces heures-là.
"Il n’y a que des belles maisons. Ils ne vont pas faire les radins sur des économies d’énergie !"
Dylan,un habitant de Magny-les-Hameauxà franceinfo
De fait, la consommation d'énergie a baissé de 20%. Ça s'est fait progressivement, il y a d'abord eu une phase test pendant les confinements en 2020 avant cette extinction généralisée. "En regardant les économies d’énergie réalisées, on va pouvoir approcher les 40% d’économies assez facilement, se réjouit le maire Bertrand Houillon. Une commune, une collectivité tout comme les entreprises, tout comme l’État, se doivent de montrer l‘exemple et montrer aux habitants qu’il y a un certain nombre d’actions possibles, qui changent un peu les habitudes mais qui sont largement vivables". Avec la flambée des coûts de l'énergie, les économies seront toutefois moins importantes qu'espérées.
Lutter contre la pollution lumineuse, protéger la biodiversité
Difficile de chiffrer le nombre de communes françaises qui débranchent l'éclairage la nuit. Une commune sur trois éteignait déjà totalement ou partiellement les lumières en 2014, selon les chiffres de l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN), ce qui montre bien qu'elles n'ont pas attendu que la sobriété énergétique soit à la mode pour adapter leur éclairage public. Louzac-Saint-André par exemple, une commune de 1 000 habitants en Charente, éteint de 23 heures à 6h30 depuis une trentaine d’années.
Aujourd'hui, c'est le cas également à Argelès, Châlons-sur-Saône, Lyon, Toulouse, Colmar, Saumur... À Clermont-Ferrand, on coupe de minuit à 6 heures du matin. "On économise 750 000 euros", explique Rémi Chabriat, l’adjoint en charge de l'énergie de la ville.
"Maintenant, avec l’augmentation du prix de l’électricité, malheureusement on ne peut pas dire qu’on économise mais on évite de dépenser peut-être deux millions d’euros par an."
Rémi Chabriat, l’adjoint en charge de l'énergie de Clermont-Ferrandà franceinfo
"Sur un budget global de l’énergie tout compris, avec le chauffage de la ville, il était de 4 millions en 2022, il sera probablement de 7 à 8 millions l’année prochaine, en 2023", évalue-t-il. Dans le budget énergie, l'éclairage public est le second poste de dépenses après les bâtiments, selon le gouvernement.
Un sentiment d'insécurité prégnant
L'absence de lumières est relativement bien acceptée par la population. Les critiques sont minoritaires mais elles existent, notamment par rapport à l'insécurité, dans l'agglomération de Grenoble, par exemple. Selon le représentant syndical du réseau de transport de l’agglomération grenobloise MTag, Pierre Cousin, "ça cause pas mal d’inquiétude au niveau des salariés qui se retrouvent à certains endroits dans des lieux peu rassurants et dans le noir complet. Ça nous inquiète également pour les usagers parce que certains arrêts ne sont plus du tout éclairés. Il faut que tout le monde prenne conscience qu’on conduit des véhicules qui sont lourds, qu’on ne peut pas réagir comme avec des voitures."
"L’écologie c’est très bien, on comprend mais il faut quand même mettre les moyens pour que tout le monde puisse se sentir en sécurité."
Pierre Cousin, représentant syndical du réseau de transport MTagà franceinfo
Ce sentiment d’insécurité créé par l’obscurité revient aussi chez certaines femmes, comme l'explique cette serveuse qui habite à Étampes en Essonne et se lève avant 6 heures pour aller travailler. "Des fois à 23 heures, je suis encore dans la rue. Tout le monde n’habite pas en centre-ville. Il y a un petit chemin pour rentrer, on ne sait pas qui on va rencontrer dans le noir" , s’inquiète-t-elle.
La nuit est associée au danger pour les femmes qui vont mettre en place des stratégies de contournement pour se déplacer dans l'espace public. Il s'agit bien d'un ressenti, insiste Sarah Jean-Jacques, chercheuse en sociologie et géographie sociale : "Il faut bien insister qu’il s’agit bien de perceptions et de ressentis liés à des représentations sociales que les femmes ont intégrées et que les travaux sur ce sujet soulignent bien que, dans la majorité des cas, les femmes qui sont confrontées à des agressions ou à du harcèlement en public le sont dans leur mobilité du quotidien, dans les espaces du quotidien, en journée."
Les alternatives à l'extinction des feux
Aucune étude ne montre de lien entre obscurité et hausse de la délinquance, confirme les chiffres de la police. "Il peut y avoir un sentiment d’insécurité mais les plaintes ne sont pas plus nombreuses, constate Thierry Guiguet d'Oron, commissaire général, directeur départemental de la sécurité publique du Loiret. Que ce soit pour des agressions, des vols… Il n’y a pas d’augmentation des atteintes aux personnes ou des atteintes aux biens." Le commissaire précise aussi qu'au niveau de la route, il n’y a pas de hausse des accidents non plus. L'absence d'éclairage incite même les automobilistes à ralentir, selon lui.
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Si on ne veut pas éteindre, il existe des alternatives comme la rénovation du parc électrique, on remplace les ampoules par des leds, moins énergivores. D'autres communes misent sur la technologie : à Longpont-sur-Orge ou à Urrugne où ce sont les habitants eux-mêmes qui ont la main sur l'éclairage public. Grâce à une application sur leur smartphone, d'un clic ils allument les réverbères connectés quelques minutes le temps de leur passage puis la lumière s'éteint à nouveau.
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