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Grèce : les migrants du camp de Lesbos face à la menace du Covid et d'une quarantaine forcée derrière les barbelés

L'épidémie de Covid-19 n'épargne aucun territoire, et dans le camp de kara Tepe, sur l'île de Lesbos, le virus rend encore plus difficile la vie des migrants, arrivés ici après un long voyage.

Article rédigé par Benjamin Illy - Edité par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Aux abords du camp de Kara Tepe, à Lesbos, en Grèce. (BENJAMIN  ILLY / RADIO FRANCE)

Un immense camp aux conditions de vie sommaires, qui abrite actuellement environ 6 500 migrants : l'île de Lesbos en Grèce est, avec Ceuta, entre le Maroc et l'Espagne, l'autre forte zone de tension migratoire depuis plusieurs années. Ce site n'échappe pas à la pandémie de Covid-19, avec plusieurs cas positifs signalés ces dernières semaines.

Au camp de Kara Tepe, les arrivées de migrants sont régulières. Il a remplacé le tristement célèbre bidonville de Moria, ravagé par un incendie en septembre 2020. Lorsque l'on arrive à Kara Tepe, ce qui saute aux yeux, ce sont les grillages, coiffés de barbelés. C'est la présence de la police aussi, le camp est totalement bouclé et il est impossible d'entrer. Même à l'extérieur, les médias sont mal vus. Ce camp se situe à quelques kilomètres du centre-ville de Mytilène, entre la route et la mer, où l'on aperçoit des tentes par centaines. Un camp exposé aux éléments, l'hiver c'est le froid et l'été la chaleur est étouffante. L'électricité va et vient selon les moments de la journée. Les ONG nous parlent de migrants qui dorment sur des palettes, d'un sanitaire pour 70 personnes.

"C'est comme mettre les gens en cage"

Dans le camp, une zone de quarantaine a été mise en place pour les migrants positifs au Covid ou cas contact. Pour l'instant, ceux qui n'ont pas été mis à l'écart à cause du virus ont encore le droit de sortir une fois par semaine, quelques heures. C'est comme ça que nous avons croisé cet homme âgé de 27 ans, venu du Congo : "Là où on dort, là où on vit, il n'y a pas de climatiseur, il n'y a rien, on est dans une petite tente qui chauffe à tout moment. Ma femme est enceinte, mes enfants sont tout petits, ce n'est pas une bonne vie. On vit à huit, les uns sur les autres. Si quelqu'un va demander ses médicaments pour la toux, tout le monde va en quarantaine, toute la 'chambre', sans test."

Les tentes blanches du camp de Kara Tepe, vues de l'extérieur. (BENJAMIN  ILLY / RADIO FRANCE)

Une jeune femme vient à notre rencontre, elle est sortie discrètement du camp, elle travaille pour une organisation humanitaire et veut rester anonyme. Mais elle tenait à nous décrire la zone de quarantaine : "C'est entouré de clôtures et de fils barbelés, surveillé par des policiers. Les gens n'ont aucun contact avec l'extérieur, c'est un ensemble de préfabriqués. Il y a l'essentiel, du wifi, mais c'est comme mettre les gens en cage, ce qui explique qu'ils soient réticents au fait de se faire tester. Ils pensent que c'est une façon de les garder à l'intérieur du camp. Il y a des gens positifs au Covid dans le camp, c'est un fait, mais cette politique de quarantaine très stricte... je me dis qu'il y a d'autres intentions. C'est étrange que ça arrive maintenant alors que le centre-ville de Mytilène se déconfine."

Je ne sais pas, peut-être que je suis cynique, mais pour moi, c'est une sorte de prison.

Une volontaire d'association

à franceinfo

Non loin du camp de Kara Tepe, il y a aussi la clinique de Médecins sans frontière. En fait de "clinique", il s'agit plutôt de quelques baraques de chantiers et de grandes tentes installées sur un terrain vague. Ici attendent des familles, en quête de soins, notamment pour leurs enfants en bas âge. Nous sommes accueillis par Julia Falkner, sage-femme, qui contrôle notre température avant de rentrer dans le centre médical.

Julia Falkner, sage-femme pour MSF à Lesbos (Grèce). (BENJAMIN  ILLY / RADIO FRANCE)

Elle est inquiète de voir le Covid se propager dans le camp de Kara Tepe, qu'elle connaît bien : "Pendant longtemps, on n'a eu aucun cas de Covid dans le camp, ce qui était très surprenant. Mais depuis quelques mois, il y a beaucoup de cas positifs. La semaine dernière, nous avions environ 80 cas suspects ou personnes testées positives. Mais parmi toutes les personnes placées en quarantaine, aucune pour le moment n'est dans un état nécessitant un hospitalisation." Elle regrette un manque de dispositifs de dépistage : "Les tests de façon massive ont commencé récemment dans le camp, ce sont des tests rapides, pas de PCR, mais il est très dur de faire ces tests, car les gens ont peur d'être placés en quarantaine. Ces dernières semaines, le gouvernement grec a annoncé une campagne de vaccination dans le camp, mais pour le moment ça n'avance pas, ça n'a pas commencé."

Si vous vivez dans un espace très fermé, que vous partagez les toilettes, les douches, un endroit où l'hygiène est très mauvaise, c'est le terrain parfait pour que le Covid se propage.

Julia Falkner, sage-femme pour Médecins sans frontière

à franceinfo

Nous rencontrons une jeune femme du camp. Fatima est afghane, elle a 24 ans. Selon elle, il n'y a aucun cas de Covid dans le camp : "Dès qu'on a un simple rhume, un petit peu de toux, les yeux un peu rouges, ils estiment qu'on a le coronavirus et ils nous placent en quarantaine." Fatima raconte que l'une de ses amies avait rendez-vous pour faire son passeport, elle n'avait pas de symptômes, mais ils lui ont dit qu'elle était malade et qu'elle devait aller en quarantaine. "Je suis sûre qu'ils veulent juste ralentir le processus de régularisation en nous mettant en quarantaine et ils nous empêchent d'avoir nos papiers", accuse la jeune femme.

Fatima, une jeune migrante afghane. (BENJAMIN  ILLY / RADIO FRANCE)

Nous avons tenté de parler avec la municipalité de Mytilène, mais elle a refusé. Nous avons pu joindre par téléphone le gouverneur du district de l’Égée-Septentrionale, Konstantinos Moutzouris. Avec la saison touristique qui démarre, il met la pression et affirme avoir demandé officiellement au gouvernement grec une mise en quarantaine de la totalité du camp sur une durée qui devra être fixée par les autorités sanitaires. S'il est exaucé, cela voudrait dire que près de 6 500 migrants, malades ou pas, se retrouveraient alors coincés, derrière les grillages et les barbelés.

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