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"J’écoute des chansons afghanes pour ne pas oublier que je suis une enfant des Bouddhas de Bâmiyân" : le mal du pays des réfugiés, six mois après la prise de Kaboul

Il y a 6 mois, Kaboul tombait aux mains des talibans. Leur retour au pouvoir a entraîné l’exil d’une partie de la population. On se souvient des images de chaos à l’aéroport de Kaboul en août dernier. Beaucoup ont fui pour survivre. Rencontre avec trois artistes réfugiés en France depuis août.

Article rédigé par franceinfo, Anne Chépeau
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Ibrahimi, maître de musique, joueur de tablas, et deux de ses fils. Ils jouent sur des instruments prêtés car les leurs sont restés en Afghanistan.  (ANNE CHEPEAU / RADIO FRANCE)

Le 15 août 2021, les talibans entraient dans Kaboul, signant le retour au pouvoir du mouvement islamiste radical, vingt ans après en avoir été chassé. Des dizaines de milliers d’Afghans se sont alors rués vers l’aéroport pour tenter de fuir le pays, menacés en particulier pour avoir servi les intérêts étrangers ces dernières années. La France a promis de prendre en charge 2 500 d’entre eux sur les 40 000 que doit accueillir l’Europe. L’Allemagne, elle, a offert d’en prendre 25 000.

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Parmi les réfugiés arrivés en France, trois artistes aux profils très différents. Ils ont été contraints au départ et vivent tous la douleur de l’exil, comme Fatimah Hossaini. Cette jeune photographe de 30 ans, militante féministe et membre de la minorité Hazara, donne avec ses photos un visage aux femmes afghanes, montre leur beauté, leur diversité.

Elle avait fondé en Afghanistan une organisation qui soutenait les femmes artistes. Aujourd’hui, elle vit en plein cœur de Paris dans un studio meublé, accueillie pour un an par la Cité Internationale des Arts. Cette jeune femme combative est heureuse de pouvoir côtoyer chaque jour des artistes mais pour l’instant, tous ses projets ont pour thème l’Afghanistan car si de sa fenêtre elle voit la Seine, son regard est toujours tourné vers son pays.

"Physiquement je suis ici mais dans ma tête je suis en Afghanistan. Je pense aux montagnes."

Fatimah Hossaini, photographe

à franceinfo

"Je pense aux habitants, je pense à tout ce que j’ai vu quand je vivais là-bas. Une fois que j’en aurai fini avec mes projets sur l’Afghanistan, une nouvelle porte va s’ouvrir et je pourrai m’emparer d’autres sujets", espère Fatimah Hossaini.

Collection "Perle dans son écrin", de la photographe Fatimah Hossaini, prise à Kaboul (Afghanistan). (FATIMAH HOSSAINI)

Les nouvelles qui leur parviennent de leur famille restée en Afghanistan ne sont pas très bonnes. "Mon frère et ma sœur travaillaient pour des ONG, explique Sayed Zuhair Mousavi, 31 ans, réalisateur, scénariste et journaliste, également hébergé pour un an à la Cité Internationale des Arts. Ma sœur est une militante des droits des femmes. Ils ne peuvent plus travailler, ils n’ont plus d’emplois. Ma sœur a peur à cause des talibans. À n’importe quel moment, ils peuvent frapper à sa porte. Elle et mon frère vivent dans la peur." Sayed Zuhair Mousavi, redoute d’ailleurs un durcissement dans les prochaines semaines. Selon lui, les talibans vont rechercher activement ceux qui ont travaillé avec les ONG, avec les étrangers ainsi que les journalistes.  

Les artistes rencontrés ont le statut de réfugiés et depuis leur arrivée, comme 157 autres artistes afghans, ils sont accompagnés par l’Atelier des artistes en exil pour les démarches administratives, le logement, l’apprentissage du français ou leurs projets professionnels. Un accompagnement indispensable, estime Sayed Zuhair Mousavi. "C’est bien pour nous d’avoir cette aide en ce moment car nous avons tous vécu un traumatisme et nous avons besoin de pouvoir penser à autre chose, penser au travail et pas seulement à ce qui nous est arrivé. Ça m’a sauvé de la dépression".

Sayed Zuhair Mousavi, réalisateur, scénariste et journaliste, dans son studio de la Cité Internationale des Arts à Paris. (ANNE CHEPEAU / RADIO FRANCE)

Ces artistes ont en effet tout perdu, tout laissé derrière eux, leurs réseaux professionnels, une vie plutôt confortable. Maître Ibrahimi a 50 ans. Il est un musicien très connu dans son pays, joueur de tablas, des percussions originaires de l'Inde du Nord. Il avait une école de musique à Kaboul et travaillait pour la télévision. Il est arrivé en France avec 16 membres de sa famille, dont huit de ses enfants, et il vient d’emménager à Cenon dans la banlieue de Bordeaux après avoir occupé trois autres logements depuis son arrivée. "C’est difficile pour moi, témoigne-t-il. Je suis loin de la scène artistique. Ce que j’aimerais, c’est être plus près de Paris."

"Il faut que je trouve une école de musique. Je dois enseigner, transmettre."

Maître Ibrahimi, joueur de tablas 

à franceinfo

"Je suis un maître de musique, ça n’est pas possible que je reste chez moi. Un professeur, il doit rendre service à la population, à la société, au pays", se désole Maitre Ibrahimi. Autre difficulté pour lui, il a quitté l’Afghanistan sans ses instruments. Le problème vient d’être partiellement résolu. Un financement a été trouvé pour en faire fabriquer quelques-uns.

Mais tous vivent avec l’espoir du retour même s’ils savent comme Sayed Zuhair Mousavi que cela prendra du temps : "Je ne sais pas ce qui va se passer, mais je suis d’une nature optimiste, aussi je pense que nous retournerons en Afghanistan. Pas tout de suite. Mais je suis sûre que les talibans quitteront l’Afghanistan". Fatimah Hossaini maintient elle aussi cette idée du retour. "J’écoute des chansons afghanes pour ne pas oublier que je suis une enfant des Bouddhas de Bâmiyân, une enfant de la terre du poète Roumi, confie la photographe. Parfois j’essaie de porter une robe afghane pour me rappeler que ça vient de mon pays, de chez moi et ça me donne l’espoir qu’un jour définitivement, je retournerai en Afghanistan".

Autoportrait de Fatimah Hossaini. (FATIMAH HOSSAINI)

Pour l’instant, Fatimah Hossaini expose ses photos à Paris, avec cinq autres photographes afghans, au Pavillon Carré de Baudouin dans le 20e arrondissement (jusqu'au 2 avril).

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