La réforme des retraites vue par trois générations d'une même famille : "Qu'on décale mon âge de départ ne me réjouit pas du tout"
C'est dans le salon de la maison familiale de Fontcouverte, près de Saintes, en Charente-Maritime, celle du grand-père, que Jules, le fils, Sophie, sa mère, et Bernard, le père de Sophie, et par ailleurs grand-père de Jules, se retrouvent souvent pour discuter. En hiver, les discussions ont lieu autour du feu, près de la cheminée. On y évoque notamment un sujet brûlant, la réforme des retraites, qui sera officiellement présentée la semaine prochaine.
"On en a parlé et je pense qu'on va en parler encore beaucoup", glisse Bernard Charruyer, bientôt 80 ans, qui estime pour sa part qu'il a déjà bien profité de sa retraite. Lui a quitté son métier d'enseignant au collège il y a 20 ans, à l'âge de 60 ans. Sa fille, Sophie Charruyer, rêverait de partir au même âge, mais à 51 ans, elle sait qu'il lui reste une quinzaine d'années à travailler. "Qu'on décale mon âge de départ à la retraite ne me réjouit pas du tout, souligne-t-elle. J'ai fait un peu d'études, j'ai commencé un peu tard donc ça veut dire perspective de m'arrêter de travailler à 67 ou 68 ans et là, c'est inconcevable."
La position gouvernementale manque de clarté
La réforme est d'autant plus dure à avaler qu'elle n'est pas forcément bien comprise. Bernard tente d'y voir plus clair : "Je ne comprends pas très bien parce qu'on nous dit qu'on ne va pas pouvoir payer les retraites de tout le monde alors qu'on nous dit que les caisses vont être en excédent, j'ai du mal à suivre", pointe-t-il.
Bernard évoque un excédent, mais ce n'est pas ce que dit le gouvernement. S'il existe effectivement pour 2022, le rapport du Conseil d'orientation des retraites prévoit qu'ensuite, les caisses restent en moyenne déficitaires pendant les 25 prochaines années. Peu importe, pour Sophie, pour qui il est évident que la mesure sert à faire des économies.
"Aujourd'hui, quand on entend Macron, il faut être actif, il faut participer à la production, il faut participer à l'économie du pays et vous bossez plus longtemps et vous partez plus tard."
Sophieà franceinfo
Partir plus tard, pourquoi pas ? "J'ai 20 ans donc c'est assez éloigné pour moi, c'est dans plus de 40 ans déjà", répond ainsi Jules, le fils de Sophie. Mais il est déjà entré dans le monde du travail, dans le privé, comme apprenti chez une notaire à La Rochelle. "Il y a certains métiers sur lesquels on pourrait repousser l'âge de la retraite contrairement à d'autres comme tout ce qui est métier physique, manuel ou qui va être dur psychologiquement et éprouvant, propose Jules. Je sais que les médecins de campagne ont une grosse pression sur les épaules, ceux-là pourraient partir à 60/61 ans par contre il y a des emplois dans l'administration par exemple où on pourrait repousser l'âge de la retraite à 65 ans."
La pénibilité des métiers de bureau mal prise en compte
Visiblement, la famille, sur ce point, n’est pas d’accord. En témoigne la réaction de Sophie, qui travaille dans un bureau. Elle y traite des dossiers au sein de la Mutualité sociale agricole (MSA), la sécurité sociale agricole. Son fils, Jules, change un peu de discours. "Ma mère ne devrait pas travailler plus tard, car c'est un travail épuisant, mais pas physiquement", estime-t-il. Mais Sophie est assise toute la journée derrière un ordinateur... avec, dit-elle, son lot de douleurs quotidiennes.
"J'ai des douleurs au niveau des cervicales, des bras, des épaules, les lombaires..., explique-t-elle. Et puis on travaille plus de la même façon, on a plus la même performance. Si on doit travailler jusqu'à 65, 66, 67 ans, je ne suis pas sûre qu'on y gagne. Il ne faut pas décaler l'âge de la retraite pour des métiers plus confortables, c'est ceux qui sont vraiment pénibles où il faut partir avant, il faut que ça ait un sens."
Jules n'est pas très optimiste. Il pense même que sa génération n'aura peut-être pas de retraite : "Il y a eu tellement de changements sociaux en l'espace de 50 ans, par exemple entre 1950 et les années 2000, donc rien ne dit qu'on ne peut pas retourner en arrière en 20 ou 30 ans..."
Descendre dans la rue, "ça ne marche plus"
Aussi, que s'agit-il de faire ? Cette famille ira-t-elle manifester ? À entendre Jules, Bernard et Sophie, pas vraiment. Jules dénonce un gouvernement sourd aux revendications populaires et il n'est pas sûr du tout d'aller dans la rue... pour s'opposer à la réforme : "Descendre dans la rue et simplement manifester pacifiquement ça a marché, mais maintenant ça ne marche plus."
Son grand-père, Bernard, n'y voit pas non plus un grand intérêt : "Même s'il y a un mouvement dans la rue, avec le 49.3, ils peuvent le faire passer et après qu'est-ce qu'on va faire ?" Sophie n'est pas d'accord : pas question de laisser passer la réforme sans rien faire. Elle se battra jusqu'au bout et ira manifester, en gardant l'espoir de faire reculer Emmanuel Macron.
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