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Le nouveau visage de l'ultradroite en France, "des groupes qui se détachent des structures traditionnelles"

Alors qu’aux États-Unis l’inquiétude monte face à la menace des groupes d’ultradroite à quelques jours de l’investiture de Joe Biden, le choix de franceinfo s’intéresse à l’ultradroite en France. Qui sont ces suprémacistes blancs ? Quel est l'état de la menace ?

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le drapeau du groupe d'extrême droite "Bastion social", dans la commune d'Entzheim (Bas-Rhin), en février 2019. (VIOLETTA KUHN / DPA / MAXPPP)

Aux États-Unis, à quelques jours de l’investiture de Joe Biden, l’inquiétude monte face à la menace des groupes d’ultradroite. Selon une note du FBI, plusieurs complots de nature terroriste ont été identifiés cette semaine. Une menace de l'intérieur qui inquiète aussi en France. Des suprémacistes blancs, il y en a aussi chez nous.

À quoi ressemble cette nébuleuse de l'ultradroite en France ? On les a vus sur Twitter soutenir les émeutiers au moment de la prise du Capitole à Washington. Ils sont moins nombreux, moins organisés et surtout moins visibles qu'aux États-Unis. En France, ils seraient environ 3 000 militants, dont 1 000 considérés comme très violents. Des skinheads, identitaires, ultranationalistes, néonazis, ou hooligans. Une galaxie instable, difficile à cerner, où les groupes se font et se défont. Mais ils sont de plus en plus nombreux à se radicaliser autour de la question du déclin de la France, de la faiblesse de l'État et de l'immigration maghrébine.

Un jeune militant de l'organisation néo-fasciste Brennos à Avignon, avec comme emblème le sanglier, a accepté de parler de son idéologie. "Si pour vous être d'ultradroite c'est aimer son pays et vouloir le défendre, eh bien oui, nous sommes d'ultradroite, dit-il. Le but de notre combat, c'est de remettre la France, ses valeurs, sa culture, son identité, au centre. Si on continue cette immigration assez affolante, on risque d'arriver à un choc des civilisations."

Le but c'est de montrer que non, vous n'êtes pas seul, ce n’est pas une maladie mentale et il y a beaucoup de Français qui pensent comme vous.

Militant d'une organisation néo-fasciste à Avignon

à franceinfo

Il y a "un regain de la mouvance suprématiste et survivaliste en France"

Mais ce qui inquiète les services de renseignement, c'est surtout l'apparition récente d'une nouvelle frange de l'ultradroite, les spécialistes parlent de "néopopulistes". Des individus qui s’entraînent, dans la clandestinité, pour être en capacité de se défendre face aux attaques islamistes. Il y a "un regain de la mouvance suprématiste et survivaliste en France", estime l'ancien patron de la DGSI Laurent Nuñez, aujourd'hui coordinateur national du renseignement. "On voit apparaître maintenant au sein de la mouvance d'ultradroite des groupes qui se détachent des structures traditionnelles, dit-il, pour créer des cellules qui fonctionnent en mode plus clandestin, qui s'organisent pour communiquer de manière sécurisée, qui se réunissent en secret et qui se préparent à ce qu'ils appellent 'le grand soir', ou le moment où la France sera victime d'attentats massifs des islamistes, ou qu'il y aura un grand basculement, voire un 'grand remplacement' comme certains le nomment en faisant référence à un théologien d'extrême droite. Et les services de renseignement travaillent à prévenir ce genre de menace."

Depuis 2017, les services de renseignement disent avoir déjoué cinq attaques terroristes de l'ultradroite, comme le groupuscule AFO (Action des forces opérationnelles), survivaliste, paranoïaque, composé de militaires, policiers, mais aussi d'une infirmière, d'un informaticien ou d'un téléopérateur. Ils se disent meurtris par les attaques du 13 novembre 2015. Armés de fusil à canon, de milliers de cartouches et même de TATP, l'explosif utilisé par les jihadistes, ils sont soupçonnés d'avoir fomenté des attaques terroristes contre les musulmans, en voulant notamment les empoisonner. Pour Nicolas Lebourg, politologue, spécialiste de l’ultradroite, ce qui interpelle c'est la présence des forces de sécurité dans leur rang. 

On voit bien que la question des forces de sécurité est une question de plus en plus importante au sein de ces mouvements activistes ou à vocation terroriste.

Nicolas Lebourg, politologue, spécialiste de l’ultradroite

à franceinfo

Ce sont "plus des militaires que des policiers, souligne-t-il, et là c'est toujours beaucoup plus inquiétant parce qu'évidemment vous avez affaire à des gens qui savent tirer, qui ont un sens de l'organisation et de la discipline qui leur a été inculqué, et ça, évidemment, c'est beaucoup plus gênant que si vous avez un skinhead élève dans un lycée technologique."

Des profils qui "passent sous les radars"

Ce qui inquiète aussi dans cette nouvelle mouvance, c'est l'acte isolé. On l'a vu récemment avec le forcené Frédérik Limol, ancien militaire, qui a abattu au fusil automatique trois gendarmes dans le Puy-de-Dôme, à Saint-Just, juste avant Noël, dans la nuit du mardi au mercredi 23 décembre. Les médias ont d'abord cru à une affaire de violence conjugale mais pour le procureur de Clermont-Ferrand Éric Maillaud, son profil ressemble plutôt à celui d'un extrémiste surarmé comme certains partisans de Trump qu'on a aperçus au Capitole. Son ex-femme le décrit d'ailleurs comme raciste, complotiste, violent, pour qui "l'État français était un gouvernement illégitime". Pour Éric Maillaud, "ce n'est pas un problème de violence conjugale. S'il avait voulu tuer sa compagne, elle serait déjà morte dix fois. Ce n’était pas elle son objectif, dit-il. Quand j'en discute, certains disent qu'il rêvait d'une intervention de la gendarmerie pour pouvoir les abattre, parce qu'il avait décidé que c'était peut-être son grand soir. Pour moi, c'est vraiment le profil parfait pour passer sous les radars, pas de casier judiciaire, pas d'antécédent judiciaire dans aucun service d'enquête, poursuit Éric Maillaud. 

Moi j'ai une vraie inquiétude pour ces gens qui sont de vrais solitaires, qui sont capables de se fondre dans le paysage et qui un jour vont décider d'agir. Et s'ils sont entraînés comme l'était Mr Limol, c'est catastrophique.

Éric Maillaud, procureur de Clermont-Ferrand

à franceinfo

Et pourtant, en octobre dernier, la préfecture du Puy-de-Dôme avait renouvelé ses autorisations de détention d’armes, malgré deux plaintes déposées pour violence et menaces de mort, mais son nom n'est pas apparu dans les fichiers, car il n'avait pas été entendu. Avec cette nouvelle menace, ajoute le procureur de Clermont-Ferrand, c'est aussi toute la législation française autour des armes qui doit évoluer.

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