Le patrimoine français menacé par le dérèglement climatique :"Nous craignons autant la sécheresse que les crues"
Sécheresses, inondations ou érosion du littoral... Le patrimoine français est lui aussi frappé de plein fouet par le dérèglement climatique, alerte le Réseau Action climat dans un rapport publié jeudi 19 septembre. Il dresse une cartographie région par région des impacts du climat. Parmi les fiertés françaises à la merci du dérèglement climatique : nos châteaux de la Loire, dont celui de Chenonceau.
Dans le jardin de Diane de Poitiers, au bord du Cher, la vue est imprenable sur le château. Depuis cinq siècles, il n'a pas bougé, planté dans la rivière sur de larges piles. L'architecture est unique, elle fait la réputation de Chenonceau, mais rend aussi le monument vulnérable et en particulier ses fondations. "Nous craignons autant la sécheresse que les crues", explique Étienne Barthélémy, architecte en chef des monuments historiques.
Fortes chaleurs, hivers pluvieux... des prévisions qui inquiètent
"Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les fondations de ce genre d'ouvrages étaient faites avec des pieux en bois qui servaient au blocage des maçonneries. Ces pieux risquent de pourrir s'ils ne sont pas maintenus dans un niveau minimum d'eau, explique Étienne Barthélémy.
"Ce que l'on peut craindre, c'est que si le niveau du Cher baisse trop, les fondations s'altèrent."
Étienne Barthélémy, architecte en chef des monuments historiquesà franceinfo
Le niveau du cours d'eau qui baisse, les fondations qui en pâtissent, puis, "lors du phénomène de crue suivant, on y ajoute un facteur qui est celui de la pression de l'eau ou des coups de bélier liés aux troncs de bois qui sont charriés par le Cher, au point que l'on puisse avoir une rupture d'une des piles et un effondrement de la galerie", poursuit-il.
Même si le scénario semble lointain aujourd'hui, il sera plus probable dans les prochaines décennies. Les barrages qui régulent le Cher risquent de ne plus suffire, étant donné les projections dans la région : un tiers de jours de forte chaleur en plus d'ici 2040, moins 10 à 40% du débit des cours d'eau d'ici 25 ans et des hivers plus pluvieux. Pour résister, le château doit donc être parfaitement entretenu, selon l'architecte en chef des monuments historiques : "Nos architectures traditionnelles ont montré une résilience importante aux variations climatiques depuis le Moyen-âge. Par contre, il y a une exigence de réparations importantes sur l'ensemble du patrimoine. C'est vrai à Chenonceau, c'est d'autant plus vrai sur d'autres monuments".
Plus de 1 400 églises en danger
Ce qui est particulièrement menacé, c'est ce qu'on appelle le "petit patrimoine", loin des projecteurs et souvent déjà dégradé. Comme l'église de Neuvy-Deux-Clochers, qui n'en compte en réalité qu'un seul, à une centaine de kilomètres de là, en pleine campagne, près de Bourges. L'édifice est fermé depuis 2018. La sécheresse a fait bouger les sols argileux. À l'intérieur, une longue fissure se dessine du sol au plafond dans la nef, sous les yeux désolés d'Isabelle Légeret, la maire. "Petit à petit, la fissure s'est agrandie, jusqu'à ce que le plafond tombe. Il y a une partie de l'église qui peut partir", raconte-t-elle.
Depuis, la municipalité se bat avec son assurance pour prouver le lien avec la sécheresse. Mais la facture, dans tous les cas, sera salée pour la petite commune. "Nous allons faire des contreforts, en attendant de pouvoir faire des travaux de consolidation. Plus de 100 000 euros, 200 ou 300 000 euros, on ne sait pas où on va, détaille Isabelle Légeret. Certains projets que nous avions vont forcément être un petit peu en stand-by. L'église est aussi un patrimoine important pour une commune. Neuvy-Deux-Clochers, s'il n'y a plus de clocher du tout, il faudra renommer la commune". Le début des travaux de consolidation est prévu dans les prochaines semaines, pour le reste, rien n'est certain.
C'est une situation devenue courante. C'est même le quotidien de Claire Daniéli de l'observatoire du patrimoine religieux. Chaque jour elle reçoit des appels de maires, désespérés par l'état de leur église fissurée. L'association en recense 250 très abîmées par les sécheresses. "C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, parce qu'en fait cette histoire de dérèglement climatique arrive sur des églises qui sont déjà en mauvais état. Parce que les dotations d'État fondent comme neige au soleil et une petite commune, qui a un tout petit budget, n'a pas d'hésitation, elle met de côté l'église", déplore-t-elle. La sécheresse, mais aussi les orages ou les tempêtes, l'observatoire du patrimoine religieux comptait l'an dernier plus de 1 400 églises en danger, 20% de plus en un an.
Mieux surveiller et investir
Face à ce constat, il y a une solution simple, répond Claire Daniéli. Il faut mieux surveiller l'état de notre patrimoine. "On essaye de mettre en place maintenant dans les communes un carnet d'entretien des églises. C'est comme notre carnet de santé, explique-t-elle. C'est-à-dire que les départements financent une équipe technique pour regarder mur par mur s'il y a des microfissures, des infiltrations d'eau pour prendre les mesures en amont, parce que très souvent, c'est bien tard." La méthode a d'ailleurs fait ses preuves dans les Yvelines, un département très exposé au retrait et au gonflement des sols argileux.
La réponse passe aussi évidemment par une lutte globale contre le dérèglement climatique et une baisse des émissions de gaz à effet de serre. "Nous attendons que le premier budget du nouveau gouvernement, qui sera examiné cet automne, prenne la mesure de l'obstacle à franchir, demande Clara Sannicolo du Réseau action climat. Il est temps de mettre l'argent sur la table pour financer la transition. Il y a urgence, le dérèglement climatique qui semblait lointain et incertain, aujourd'hui, commence à avoir des conséquences très concrètes sur notre quotidien."
Il faudra des dizaines de milliards d'euros pour financer la transition et sauver d'autres pans de notre patrimoine : les huîtres bretonnes, frappées par le réchauffement de l'océan, le mont Saint-Michel menacé par la montée des eaux, le canal du Midi frappé par les sécheresses, ou l'île d'Oléron grignotée par l'érosion.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.