Lutte contre les féminicides en Espagne : "Tu peux appeler ton agent protecteur à n’importe quel moment, tu n’es plus seule"
Alors qu'en France, le nombre de féminicides peine à baisser significativement, l'Espagne poursuit une politique volontariste de réduction des violences faites aux femmes. Les féminicides y ont chuté de 25% depuis 2004.
À la police municipale de Madrid, dans un bureau à l’écart, l'agent Pablo fait la connaissance de Maria et de son petit garçon de deux ans. "Bon, d’abord, comment tu vas ?", lui demande-t-il. La jeune femme, d’origine vénézuélienne, vient de déposer plainte contre son conjoint et lui raconte son histoire pour la première fois. "Je suis fatiguée, épuisée de tout ce qui m’arrive, répond Maria. Il y a toujours une dispute, après il me frappe, tente de m’étouffer, il me jette sur le lit." "Et il essaye d’avoir des relations forcées ?", embraye le policier. "Oui, plein de fois."
Pablo est l’un des 380 "agents protecteurs" au sein d’une unité spécialisée de protection des femmes, comme il en existe dans chaque région du pays. Chacune accueille de nombreuses victimes de violences conjugales. Elles sont 1 800 répertoriées à Madrid.
"La victime, c'est toi"
"Écoute, il faut que ce soit clair pour toi, reprend Pablo, la victime c’est toi, et nous allons faire tout ce que nous pouvons pour t’aider. Ici, on a des assistantes sociales qui peuvent t’accompagner financièrement, qui peuvent t’aider à trouver une crèche, ou un avocat, pour régulariser aussi ta situation, divorcer", liste l’agent. "On a aussi un psychologue. Tu peux nous appeler à n’importe quel moment. Tu n’es plus seule." Maria a choisi de déposer plainte quand son petit garçon a commencé à devenir agressif. "Il ne le mérite pas, je n’ai pas mis au monde un enfant pour qu’il souffre", s’effondre Maria.
Pour évaluer les risques qu’encourent cette jeune femme et les autres, les policiers s’appuient sur un outil informatique, la plateforme VioGén ("violence de genre"), qui centralise toutes les informations : plaintes des victimes, casier judiciaire, ou comportement de l’accusé. Tout y est consigné et c’est ensuite à la machine d’évaluer, par calcul algorithmique, les risques que ces femmes peuvent encourir, pour tenter d’écarter toute forme de subjectivité.
"Nous avons fait une étude à partir de cinquante assassinats pour isoler cinq grands indicateurs qui, quand ils s’additionnent, montrent que le risque est très élevé, décrit la cheffe de l’unité de protection des femmes, Maria Fernandez Ulloa. Nous posons ce type de questions : ces six derniers mois l’agresseur se montre-t-il jaloux ? Est-ce qu’il suspecte des infidélités ? Est ce qu’il a des antécédents judiciaires ? Est-ce qu’il respecte l’ordonnance de protection ? Est ce qu’il a des troubles mentaux ou des antécédents psychiatriques ?"
Le plus dur, c’est de réussir à empêcher les féminicides.
Marta Fernandez Ulloa, cheffe de l’unité de protection des femmesfranceinfo
En fonction du risque, "non apprécié", "faible", "moyen", "élevé" ou "extrême", l’agent protecteur met en place un plan personnalisé. Il appelle ensuite l’agresseur pour le prévenir que la victime est désormais sous protection de la police.
Tribunaux spécialisés
La police mais aussi la justice espagnole ont été profondément réformées sur la question des violences conjugales. Il existe désormais en Espagne un parquet national contre ces violences, composé de magistrats spécialisés. Ceux-ci détiennent une double compétence pénale et civile, et disposent de 72 heures pour traiter un dossier.
Tous ont reçu une formation spécifique pour mieux protéger les victimes. "Pour être juge des violences conjugales, il y a une formation de cinquante heures par an et un examen", détaille la juge Carmen Gámiz Valencia, forte de quinze ans d’expérience dans le domaine. "On étudie par exemple l’histoire du féminisme, son évolution, l’égalité des droits, on donne des instructions aussi sur comment juger dans un contexte de violences conjugales, c’est-à-dire se débarrasser des préjugés."
Pour la magistrate, la nouvelle génération de juges sortant d’école est aujourd’hui bien mieux formée à cette matière. Et ces juges ont en main un dispositif très utilisé : l’ordonnance de protection. L'année dernière, 25 289 d'entre elles ont été délivrées dans le pays, contre seulement 3 254 en France. Au total en Espagne, 13 600 bracelets anti-rapprochement ont également été distribués, contre 1 000 disponibles en France.
Un modèle que les associations espagnoles de défense des femmes ont été invitées à présenter à l’Assemblée nationale, à Paris, pendant le Grenelle contre les violences faites aux femmes en 2019. Un point les préoccupe beaucoup notamment : celui de la prise en charge des enfants, victimes à part entière dans ces conflits. En France comme en Espagne, il reste du travail sur cette question, comme l'estime la directrice de la Fondation des femmes. "Il faut avancer, dans la loi, insiste Marisa Soleto. Et à vrai dire, on perçoit en France la même résistance qu’il y a eu chez nous quand il a fallu toucher à l’autorité parentale ; une résistance du patriarcat, alors que c’est d’une logique implacable."
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