"On a pris l'autoroute par le bon côté, mais on y va à 30 km/h" : malgré l'obligation depuis un an, le tri des biodéchets peine à se généraliser

Le tri des déchets alimentaires est devenu obligatoire à partir du 1er janvier 2024 pour les particuliers. Mais un an après l'entrée en vigueur de cette loi, il y a encore du chemin à parcourir pour que tous les Français soient concernés.
Article rédigé par Boris Hallier
Radio France
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Claude, habitant de Sotteville-lès-Rouen, avec son bio-seau, devant l'un des bacs d'apport volontaire pour les déchets alimentaires. (BORIS HALLIER / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Des épluchures de légumes, des restes de poissons ou de viande, des coquilles d'œufs... Depuis un an, les Français doivent disposer d'un moyen pour trier leurs biodéchets, c'est-à-dire leurs déchets alimentaires. La loi antigaspillage impose en effet aux communes de proposer à leurs habitants une solution de tri. Mais un an après l’entrée en vigueur de la loi, ce tri ne concerne encore qu'une minorité de Français.

Il suffit de visiter un centre de valorisation de biodéchets pour s'en rendre compte. En Île-de-France, à Stains (Seine-Saint-Denis), l'entreprise Moulinot est loin d'être au maximum de ses capacités, comme le résume, en une image très claire, le directeur Sébastien Roussel : "Je pense qu'on a pris l'autoroute par le bon côté, mais on y va à 30 km/h."

"Des collectivités sont encore très timides"

Les camions ont ramené 30 000 tonnes de déchets alimentaires en 2024. Ils sont triés et nettoyés, puis la préparation est envoyée vers des méthaniseurs agricoles pour la fabrication de biogaz et de fertilisant. Mais ce site de Stains pourrait traiter deux fois plus de biodéchets. "Il y a quelques collectivités qui montrent le chemin, estime Sébastien Roussel. Ils ont vraiment eu une ambition très forte sur le tri des déchets alimentaires, en mettant soit de la collecte en porte-à-porte, soit de collecte en points d'apport volontaire. Il y a d'autres collectivités qui sont, on va dire, encore très timides."

Cela ressemble au début du tri du plastique et du carton qui a mis du temps aussi à s'installer et à devenir une habitude. "On a déployé à grande échelle le tri des emballages en France à partir de 1998-2000, et on a mis dix à 15 ans à avoir des volumes plus importants, explique le directeur régional Ile-de-France de Moulinot. Aujourd'hui, qui penserait ne pas trier le plastique et le papier dans sa corbeille ?"

Il y a encore du chemin à parcourir effectivement. Les biodéchets représentent toujours un tiers du contenu des ordures ménagères. Un an après l'obligation de tri, environ 40% des Français seulement disposent d'un moyen de collecte.

Un geste déjà devenu une habitude dans certaines communes

Il existe cependant des bons élèves. En Normandie, à Sotteville-lès-Rouen où la collecte a été lancée il y a un an. Depuis, Claude et sa voisine Marie-Claude ont adopté de nouvelles habitudes. "On a eu la petite poubelle à la mairie, décrit Marie-Claude. Je mets mes épluchures dedans que je vais mettre là où ils ont mis un récipient pour les biodéchets." Elle n'a pas constaté des nuisances. Il y a un an, des habitants craignaient des rats et des odeurs. "Cet été, on a eu quelques odeurs, mais pas plus que ça, parce que l'été, ils passaient deux fois", explique-t-elle. 

Mais tous les habitants ne font pas bien le tri. "Il y a certaines personnes qui mettent des plastiques. Là, c'est pareil, ça n'a pas tellement lieu d'être", explique Claude en pointant du papier présent dans la poubelle de biodéchet. "On ne va pas pour mettre un agent de surveillance derrière chaque poubelle." Sur les 900 collectes réalisées au cours de l'année, une quarantaine seulement n'ont pas pu être valorisés et ont été envoyés à l'incinération à cause d'un mauvais tri. La preuve, selon le maire Alexis Ragache, que cette habitude est entrée dans les mœurs. "Évidemment, l'expérimentation sert à ça. Il y a eu quelques changements qui ont été faits, soit d'implantation, soit de matériel en tant que tel. Mais dans l'ensemble, cela a connu un vif succès.

"On constate quand même que nos concitoyens avaient un esprit civique et ont conscience qu'il était nécessaire de s'engager tous dans cette démarche d'une ville plus soutenable et plus durable à travers notamment cette gestion des déchets."

Alexis Ragache, maire de Sotteville-lès-Rouen

à franceinfo

Sotteville-lès-Rouen va donc multiplier les bacs d'apport volontaires. Il y en avait au départ que 25 pour 3 000 foyers. Il y en aura bientôt 70 pour couvrir l'ensemble de la ville. Mais les habitants des autres communes de l'agglomération de Rouen, eux, vont devoir patienter. La Métropole se donne en effet trois ans pour déployer 1 000 poubelles.

Un État "absent" dans "l'accompagnement financier"

Certaines collectivités déplorent un manque de soutien de la part de l'État, car cette collecte de biodéchets à un coût. Elle représente un investissement de 10 à 20 euros en plus par habitant. Ce n'est pas négligeable selon Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, une association de collectivités locales engagées dans la transition écologique : "L'État est toujours très fort pour imposer des choses aux collectivités locales. Mais en la matière, il a été quasiment absent en termes d'accompagnement financier. Si on doit expliquer aux Français pourquoi ils n'ont pas de tri à la source des biodéchets, c'est que les élus locaux sont dans une situation de maîtrise des coûts sur la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Donc être déjà presque à la moitié du chemin l'année de l'échéance, c'est plutôt un bon résultat de notre point de vue. Il faut accepter l'idée que les prochaines années, on finisse le travail."

En attendant, plus de cinq millions de tonnes de déchets alimentaires pouvant être valorisés continuent à être enfouies ou incinérées.

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