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Présidentielle 2022 : comment les candidats utilisent Wikipédia dans leur campagne

Des soutiens d'Eric Zemmour ont tenté d'instrumentaliser l'encyclopédie en ligne pour mettre en valeur le candidat. Le site collaboratif est-il devenu un espace de propagande politique ? Franceinfo a enquêté auprès des wikipédiens et des équipes des candidats.

Article rédigé par Valentine Joubin - William Gay Costa
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Valentin Guillaume (Apollinaire93 sur Wikipédia), est un contributeur de l'encyclopédie en ligne depuis sept ans. (STEPHANIE BERLU / RADIO FRANCE)

À l'heure de TikTok, Twitch ou Instagram, c'est une véritable institution sur internet qui fait polémique dans la campagne présidentielle 2022. La très populaire Wikipédia a été instrumentalisée par le camp d'Eric Zemmour, comme l'a révélé un journaliste infiltré dans son équipe de campagne. Des administrateurs du site contributif nous l'ont confirmé : des soutiens du candidat avaient même créé une cellule fantôme baptisée par ses membres "Wikizédia".

Ces militants ont notamment cherché à nuancer l'expression "classé à l'extrême droite" pour décrire le positionnement politique d’Eric Zemmour. L'objectif était aussi de valoriser les idées et les soutiens du candidat dans des pages thématiques. Et le plus dur dans cette histoire pour la réputation de l’encyclopédie collaborative en ligne, c'est que l'un des protagonistes – un certain Cheep – était un contributeur très respecté. C’est ce que nous explique une wikipédienne qui préfère rester anonyme : "Tout le monde savait qu'il était de droite, lui-même ne le cachait pas. Mais il n'avait pas non plus dit qu'il soutenait Zemmour. C'est beaucoup plus difficile de s'imaginer que cette personne-là, qui est présente depuis des années, qui a créé des centaines d'articles, est peut-être là, finalement, dans un but, un peu de nuisance."

"Plus on est ancien, plus on a de contributions, plus facilement on peut passer entre les lignes."

Une wikipédienne

à franceinfo

Cheep et six autres membres de la cellule ont été définitivement bannis de l’encyclopédie et leurs modifications rapidement supprimées. Wikipédia sait donc se défendre. Elle l'a, d'ailleurs, déjà fait par le passé, raconte Capucine-Marin Dubroca-Voisin, la présidente de Wikimédia France, l'association qui fédère la communauté : "On a souvent des tentatives de modification de Wikipédia. On l'a vu avec l'article sur Marlène Schiappa [la ministre déléguée à la Citoyenneté], par exemple. On l'a vu avec les partisans de François Asselineau, ancien candidat à l'élection présidentielle, qui, bien avant ça, harcelait l'équipe de Wikipédia pour avoir son article. Wikipédia donne une visibilité énorme et c'est pour ça qu'elle est la cible de toutes ces influences."

Cette "affaire Marlène Schiappa" dont parle Capucine-Marin Dubroca-Voisin a été révélée par un administrateur de Wikipédia, comme l'a relaté le site Arrêt sur image. Un conseiller de la ministre déléguée à la Citoyenneté a rédigé une grande partie de sa biographie dans des termes particulièrement louangeurs.

Les "patrouilleurs", les sentinelles de Wikipédia

L'encyclopédie en ligne a besoin d'une vigilance permanente. C'est le rôle des administrateurs mais aussi de tous les "patrouilleurs" de Wikipédia. Valentin Guillaume, alias Apollinaire93, fait partie de ces sentinelles. Ce professeur de musique de 29 ans a attrapé le virus il y a sept ans : "J'ai à peu près 3 000 pages dans ma liste de suivi. Je vais évidemment réagir plus vivement si je vois qu'une page est modifiée par un utilisateur tout récent, parce que ce sont des modifications qui peuvent être problématiques."

L'historique de la page Wikipédia d'Eric Zemmour permet de suivre les modifications réalisées par Cheep, le contributeurs membre de la cellule pro Zemmour. (CAPTURE D'ECRAN WIKIPEDIA)

La page d'Eric Zemmour lui a donné pas mal de boulot, mais aussi celle qui liste le nom des prétendants à l'Elysée ou celle qui recense les sondages. Plus récemment, c'est la biographie de Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste, qui a posé problème. "Avec la révélation par Mediapart d'un potentiel emploi fictif, raconte Valentin Guillaume, il y a un contributeur qui a voulu mettre un énorme pavé sur cette page-là. Mais avec cinq, six contributeurs, on a admis qu'un petit paragraphe de quatre lignes suffisait largement."

Valentin Guillaume n’est pourtant pas un militant communiste. Il se dit centriste et a soutenu Gaspard Koenig, un candidat à la présidentielle qui n'a pas obtenu les 500 parrainages nécessaires pour se qualifier. Mais cet engagement n'est, selon lui, pas un problème : "Il n'y a absolument rien qui empêche de faire ce qu'on veut dans la vraie vie, du moment que ses contributions sont neutres et correspondent aux règles établies."

L'encyclopédie exige des faits bien sourcés et refuse les commentaires.Tout repose sur une forme d'autorégulation, ajoute notre wikipédienne anonyme. Cette étudiante en histoire ne cache pas ses opinions de gauche : "Une page qui a peu de contributeurs derrière, c'est là où il y a le plus grand risque qu'il y ait des problèmes de neutralité. Mais des pages qui sont beaucoup relues, qui sont beaucoup retravaillées, on peut davantage s'approcher de la neutralité. Ça dépend vraiment de l'investissement qui est derrière."

Militants insoumis et écologistes sur le qui-vive

Ces derniers mois, Wikipédia n'a pas intéressé que le camp d'Eric Zemmour. L’équipe de Jean-Luc Mélenchon, très impliquée sur Twitter ou TikTok, se dit très respectueuse de l'indépendance du site. Cela n’empêche pas les militants d’agir, explique Antoine Léaument, qui gère la stratégie digitale du candidat insoumis : "Leur rôle va être d'essayer de faire exister des pages, notamment pour nos orateurs nationaux, pour les gens qui sont des figures de notre mouvement. Il y a toujours un peu des batailles pour que ces pages existent, soient supprimées, etc." Bataille perdue pour l'une de ces figures, Clémence Guetté. La coresponsable du programme de LFI n'a pas atteint les deux ans de présence médiatique, une des conditions pour exister sur Wikipédia.

Pour les écologistes, c'est moins la page de Yannick Jadot que les pages thématiques qui sont surveillées, en particulier celle sur l'énergie nucléaire. L'objectif, reconnaît Bruno Walther, directeur de la communication du candidat d'EELV, c'est de peser dans les débats entre contributeurs pour empêcher certains arguments de s'imposer : "Nos équipes n'interviennent pas, ce sont les militants écolos qui se battent."

"Quand on a des lobbies qui vont sur Wikipédia pour dire que le nucléaire est une énergie propre, on conteste ça fortement parce qu'une énergie qui produit des déchets nucléaires ne peut pas être considérée comme propre". 

Bruno Walther, directeur de la communication de Yannick Jadot

à franceinfo

Selon Bruno Walther, "Wikipédia est en danger de privatisation". Face aux lobbys économiques comme politiques, la communauté encyclopédique ne voit qu'une solution : recruter plus de bénévoles prêts à défendre son intégrité.

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