Présidentielle américaine : pour les très religieux électeurs de la "Bible Belt", au sud des États-Unis, l'avortement reste au cœur des préoccupations

Dans un mois tout juste, les électeurs américains devront choisir entre Kamala Harris et Donald Trump. Et le scrutin apparaît extrêmement serré, comme en Georgie, l’un des États pivots qui peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
Article rédigé par Claude Guibal
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Eglise baptiste de Clayton. (Capture d'écran Google Maps)

Il y a quatre ans, la Georgie, État du Sud traditionnellement républicain, a créé la surprise en préférant Joe Biden à Donald Trump, avec un écart minuscule de moins de 12 000 voix. La Georgie comporte une importante communauté noire, majoritairement démocrate, notamment dans les grandes villes comme la capitale Atlanta.

Mais c’est aussi un État emblématique de ce qu’on appelle la "Bible Belt", ("ceinture de la Bible"), la bande composée d'une dizaine d’États du sud du pays, extrêmement religieux. Ces États ont pour la plupart un passé sécessionniste et un électorat fondamentaliste que Donald Trump a séduit en 2020, en promettant de revenir aux valeurs traditionnelles chrétiennes de l’Amérique. Aujourd'hui, la Georgie reste un des États pivots qui peut faire pencher en faveur de Kamala Harris et Donald Trump, le 4 novembre prochain.

"Dieu n'a pas pu se tromper"

Clayton, petite ville de 2 000 habitants, est un des bastions de cette Georgie fondamentaliste. Au pied des montagnes Appalaches, les habitations sont disposées dans un paysage somptueux de forêts et de lacs, avec juste une rue principale, une poignée de magasins et plusieurs églises.

Dans l’église baptiste, Cliff Lewis, un des pasteurs, décrit la mentalité de cette contrée : "Clayton, c'est la Georgie rurale depuis très longtemps. Beaucoup de familles ont grandi ici, de génération en génération." Ici, les gens croient littéralement que le monde s’est créé avec Adam et Ève. "Nous avons été éduqués dans les valeurs judéo-chrétiennes fondamentales, explique-t-il, et alors que le reste de l'Amérique devient ouvertement opposé aux valeurs chrétiennes ou traditionnelles, les personnes qui défendent toujours ces valeurs ont vraiment du mal."

"L’avortement et les questions transgenres, on voit le mal que ça fait", ajoute le pasteur. C’est aussi l’avis de Mary Ann. Cette électrice de Donald Trump arpente le cimetière au-dessus de l’église, où sur certaines tombes flottent des drapeaux confédérés. Cet étendard des États du Sud est devenu un signe de l'extrême droite, dans un comté où 90% de la population est blanche. "Je suis totalement anti-avortement, affirme-t-elle. J’ai un fils homosexuel. J’ai eu du mal à l’admettre au début mais aujourd’hui je dis qu’il ne faut pas haïr les gays. Car Dieu n’a pas pu se tromper". Mais la question transgenre entraînant la modification du corps lui pose problème.

"Quand les transsexuels veulent se faire opérer pour changer ce que Dieu a créé, je crois que c’est mal."

Mary Ann, électrice de Donald Trump

à franceinfo

Mary Ann secoue la tête. Dans ces communautés retirées de l’Amérique rurale, l’église est au centre de tout, de la vie sociale, qui est très communautaire. Un style de vie que le révérend Cliff veut absolument voir perdurer. "Si le reste du monde devient fou et rejette tout ce sur quoi nous nous sommes fondés et qui a été bon pour nous, nous, nous allons nous y raccrocher fermement", assure-t-il.

C’est dans ce but que cette région devrait massivement se prononcer en faveur de Donald Trump. En 2020, la région a voté à 80% pour le candidat républicain et les habitants ont applaudi à la possibilité de modifier enfin la législation sur l’avortement. Avorter en Géorgie est devenu d'ailleurs presque impossible légalement.

Donald Trump trop modéré à propos de l'avortement

Mais depuis les débuts de la campagne, Donald Trump a modéré son ton sur l’avortement, il a déclaré ne pas vouloir l’interdire au niveau national et laisser aux États le libre choix. Le candidat a compris, lors des élections de mi-mandat, que les démocrates avaient réussi à sauver les meubles en mobilisant autour de cette question.

Jason, qui fréquente une autre église de la région, ne lui a pas pardonné : "Kamala Harris est ouvertement pour le sacrifice d'enfants. Et Donald Trump, lui, a changé d’avis sur l'avortement une douzaine de fois, fustige-t-il. Il essaie de séduire les électeurs conservateurs."

"Je ne peux pas soutenir un candidat qui accepte le sacrifice d'enfants."

Jason, ancien électeur déçu de Donald Trump

à franceinfo

Cet électeur déçu a décidé qu'il n'irait pas voter cette fois. Il revient sur l'exercice de l'ancien président : "Il a dit quand il était président qu'il arrêterait de financer le planning familial, il ne l’a jamais fait. Il a menti."

Un calcul compliqué

Le révérend Cliff Lewis le martèle, les pasteurs n’ont pas à dire à leurs ouailles pour qui voter. Mais il insiste, en revanche, pour qu’ils aillent aux urnes. "On est à un point de rupture, pour les plus conservateurs d’entre nous, lorsque nous les voyons céder du terrain sur des questions sociétales très importantes, déclare-t-il. Devons-nous prendre position dès maintenant et dire : 'Si vous faites ça, nous ne voterons pas pour vous' ? Ce sont là des décisions difficiles. Si quelqu’un dit qu’il ne faut plus voter pour Trump parce qu’il s’est trop écarté de la cause pro-vie, au final, cela pourrait signifier davantage d’avortements de bébés. C’est un calcul compliqué".

Mais quand on lui demande ce qu’il pense de Donald Trump, le pasteur préfère rire. "Je n'aime pas l’homme, avoue-t-il, il est emporté, arrogant, abrasif. Mais chaque personne est un mélange. Il y a des choses que tu aimes chez les gens, d’autres pas. C’est comme ça dans les familles, la société. Mais quand c’est une personnalité politique nationale, cela fait la une des journaux". Alors à Clayton, comme toujours, on suivra l’église, on ira voter. Avec le cœur ou se pinçant le nez, on votera rouge : républicain. On votera Trump.

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