"Qu'il y ait des crimes non élucidés, c'est en soi un grave trouble à l'ordre public" : le combat des familles confrontées à des cold cases

Les familles se battent bien souvent pendant des dizaines d'années pour espérer, un jour, savoir qui a tué leur proche. Le service police-justice de franceinfo s’est intéressé aux affaires qui ne font pas forcément la une des médias mais qui ont toutes eu un raté en début d’enquête.
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Les cold cases, ces crimes non élucidés qui torturent des familles pendant des années. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Le podcast "Cold cases, le combat des familles", réalisé par le service police-justice de franceinfo, sort jeudi 16 mai. Ces six épisodes sont consacrés non pas à des dossiers qui font la une des médias comme l'affaire Grégory ou la disparition de Xavier Dupont de Ligonnès mais à des affaires moins connues, avec souvent le même point de départ : des failles dans l'enquête. "Dans la plupart de ces dossiers où on n'arrive pas à trouver une réponse, à accéder à la vérité, très souvent on constate que les enquêtes et les éléments d'enquête du départ, sont ratés", souligne l'avocat pénaliste Franck Berton.

C'est le cas justement dans le dossier de la disparition de Malik Boutevillain. Ce jeune homme de 32 ans se volatilise à  Échirolles, près de Grenoble, le 6 mai 2012, alors qu'il est parti faire son jogging. Et comme il est majeur, sa sœur Dalila n'arrive pas à convaincre, quand elle se rend au commissariat. "Un inspecteur de la Sûreté départementale nous reçoit quand même. Je lui dis : 'Mais là, ça fait quasiment quatre jours, on fait quoi ? Venez ! Mettez-moi des chiens à disposition ! On a son linge sale, on n'a rien touché. Au moins on saura dans quel sens il est parti. Et il dit : 'C'est un quartier sensible. Si on ramène des chiens, ça risque de troubler l'ordre public.' Je leur dis : 'Ca risque de troubler quoi ? On cherche un humain, on ne va pas chercher un bout de shit'. 'Non, non. De toute façon, on est en sous-effectif et personne ne va venir'. Et personne n'est jamais sorti de son bureau pour Malik". Dalila a longtemps mené sa propre enquête. Et 12 ans après, à force de persévérance, elle a obtenu que deux juges d'instruction se penchent sur la mystérieuse disparition de son frère. 

La crainte du non-lieu

Les juges d'instruction, justement, jouent un rôle primordial dans ces dossiers non résolus. Leur principale difficulté, c'est de s'occuper de ces vieilles affaires alors qu'ils croulent sous les dossiers complexes, souvent plus d'une centaine par juge d'instruction. Isabelle Théry témoigne dans notre podcast. Elle a été juge à Évry, en région parisienne.

"Souvent, les crimes non élucidés sont au fond du placard et quand on arrive dans un cabinet d’instruction, on met déjà à peu près deux ans à lire tous les dossiers. Donc évidemment, on commence par les détenus, par les urgences".

Isabelle Théry, ex-juge d'instruction

à franceinfo

Et la plus grande crainte des familles que nous avons rencontrées, c'est le non-lieu, c'est-à-dire la fermeture du dossier. Un non-sens pour l'ex-juge Isabelle Théry, passionnée par ces affaires. "On est obsédés par les cas qu'on n'a pas pu résoudre. On y pense tout le temps, on veut qu'ils soient résolus, ils nous accompagnent. Je trouve que le fait que dans un pays, il y ait des crimes non élucidés, c'est en soi un grave trouble à l'ordre public. C'est l'aboutissement de la démocratie, la lutte contre le crime non élucidé", selon la magistrate.

L'Avane, une association créée pour aider les familles

L'intérêt d'aller au bout de l'enquête, c'est surtout de donner une réponse aux familles. Gaëlle Dumont, par exemple, attend depuis 36 ans de savoir qui a violé et tué sa petite sœur Sabine, alors seulement âgée de 8 ans. Et elle continue à espérer qu'un jour on lui dise : "Voilà ! Le meurtrier de votre sœur a été identifié." "J'ai pensé des milliards de fois à ce jour-là. J'ai besoin d'affronter son regard, confie-t-elle. Je veux le voir juste en face de moi, même si ce sera probablement extrêmement douloureux, j'ai hâte que ce jour arrive et j'espère qu'il va arriver rapidement, pas dans vingt ans, ni dans dix".

C'est presque le combat d'une vie aussi pour Jonathan Oliver. Sa fille, Cécile Vallin, a disparu au bord d'une route le 8 juin 1997, en Savoie. Le dossier a été repris par le pôle cold case de Nanterre, et la piste du tueur en série Michel Fourniret est à nouveau étudiée. En attendant, ce père âgé de 78 ans ne baisse toujours pas les bras. "Au départ, je comptais les jours, ensuite les semaines, les mois. Et maintenant, je compte les années et ça, c'est terrible", égrène-t-il tristement.

"Il y a au moins une personne qui sait ce qu’est devenue Cécile. Que cette personne parle ! Pour moi, c’est plus important d’avoir l’information que de rechercher la vengeance."

Jonathan Oliver, père de Cécile Vallin, disparue en 1997

à franceinfo

"En tout cas, j'espère du fond de mon cœur que Cécile est en paix", conclut Jonathan Oliver. Pour venir en aide à toutes ces familles, l'association d'aide aux victimes des affaires non-élucidées, l'Avane, vient d'être créée cette semaine. Des familles parfois malmenées par la justice, mais qui gardent toujours l'espoir de connaître un jour la vérité.

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