Reportage
"C'est un peu de la magie" : comment des scientifiques veulent collecter plus de 4 500 espèces marines pour séquencer leur génome

Les scientifiques du programme Atlas Sea sont sur le pont pour pêcher des espèces marines à bord du chalutier du Muséum d'Histoire naturelle dans la baie de Saint-Malo. Objectif : séquencer leur carte d'identité numérique.
Article rédigé par Boris Hallier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les scientifiques ramassent le sable et la vase pour ensuite les analyser. (BORIS HALLIER / RADIO FRANCE)

Franceinfo vous emmène dans la baie de Saint-Malo, avec des scientifiques qui se sont lancé un défi : collecter plus de 4 500 espèces marines du littoral français pour séquencer leur génome, c'est-à-dire établir leur carte d'identité génétique. Le principal objectif est de mieux comprendre le vivant, mais aussi identifier des molécules d'intérêt, avec de nombreuses applications possibles. Ce programme ambitieux est baptisé Atlas Sea. Il va durer sept ans et a commencé depuis la semaine du 24 juin, à bord du chalutier du Muséum d'Histoire naturelle. 

Filets, drague, benne à sédiments pour les prélèvements

Les pêcheurs remontent leurs casiers remplis d'araignées de mer, mais pour ces scientifiques, c'est une partie de pêche bien différente qui s'annonce. "On va ramasser de la vase. Vase et sable fin", résume Sébastien Aubin, chargé d'études à la station marine de Dinard. "Globalement, on va aller prélever en sortie du port de Dinard parce qu'on sait que dans les baies un peu fermées, on a une accumulation de sédiments fins", explique-t-il. Il n'a le temps de profiter de la vue sur les remparts de Saint-Malo.

L'équipage de ce chalutier va enchaîner les prélèvements. Pour cela, plusieurs instruments sont à bord : des filets, une drague et une benne à sédiments. "C'est une espèce de grosse pince à sucre qui est ouverte, qui va venir taper le fond de la mer et prélever un volume de sédiments qu'on va pouvoir remonter après à bord", continue Sébastien Aubin.

"Dans certains types de sédiments qui sont très hétérogènes, avec plein d'anfractuosités, plein de niches pour que les espèces puissent habiter, on va pouvoir retrouver une centaine d'espèces dans un prélèvement de zéro, un mètre carré. C'est une biodiversité qui est énorme"

Sébastien Aubin, chargé d'études à la station marine de Dinard

à franceinfo

Mais pour capturer ces spécimens, il va falloir être méticuleux. Le contenu de la benne, des algues, des coquilles et beaucoup de vase, doit être tamisé à plusieurs reprises. "C'est sympa parce que c'est un peu de la magie. On part d'un sédiment qui nous paraît un peu tout sale, envasé, on ne voit rien et puis on passe sur un tamis et puis alors là, apparaissent tous les organismes qui vivent dedans. Une belle Saint-Jacques par exemple, des polychètes, des vers marins et un peu de crustacés. J'en ai vu passer un peu là, des galathées", s'enthousiasme le pêcheur scientifique.

Les scientifiques du programme Atlas Sea vont collecter 4 500 espèces marines du littoral français pour que leur génome soit séquencé. (BORIS HALLIER / RADIO FRANCE)

Étape suivante : identifier avec précision les crustacés collectés en mer

Et c'est loin d'être terminé, tant le programme Atlas Sea est ambitieux. "Il y a environ 13 000 espèces connues aujourd'hui le long du littoral français hexagonal. Et puis il y a des dizaines de milliers dans les territoires ultramarins. Nous, notre objectif, sur cette liste, c'est d'en séquencer environ 3 900 sur la France hexagonale et environ 600 dans les territoires ultramarins. Donc en tout, ça fait 4 500", calcule Hugues Roest-Crollius, directeur de recherche au CNRS.

Ces espèces marines sont soigneusement conservées. "Un peu d'eau, de la glace et au frais. Terminé !", assure Sébastien Aubin. Après cinq heures en mer, l'équipage peut rentrer au port. Ce travail est effectué à la station marine du Muséum d'Histoire naturelle, toujours à Dinard. Cette première étape, avec le tri, est la mission de Céline et Jean-Louis. "On a les mains dans l'eau et on les secoue dans l'eau. Là, justement, il y a une petite crevette que je vais garder", montre Jean-Louis.

"Les bêtes sont au milieu des débris végétaux, donc il faut y aller de manière douce. C'est le but de les garder vivants et puis de pas les abîmer non plus pour pouvoir les identifier, parce qu'il faut leur donner un nom d'espèce", explique à son tour Céline.

Les espèces sont observées à la station marine du Muséum d'histoire naturelle à Dinard. (BORIS HALLIER / RADIO FRANCE)

Donner un nom aux espèces, c'est ce que l'on appelle la taxonomie. "Alors là, j'ai différents amphipodes. Là, j'ai deux spécimens, en l'occurrence un mâle et une femelle. Donc la femelle, on peut facilement la reconnaître par rapport au fait qu'elle a actuellement des œufs entre ses pattes", annonce Benoît Gouilleux, concentré, les yeux rivés dans sa loupe binoculaire.

Établir les cartes d'identité génétiques des espèces marines

Les espèces retenues seront ensuite congelées puis envoyées au Genoscope, le centre de séquençage à Evry, près de Paris, où leur génome sera séquencé. "Séquencer un génome, c'est vraiment lire la molécule d'ADN, mais depuis sa première base jusqu'à la dernière. C'est quelque part un livre ouvert sur ce que contient l'organisme. Il y a énormément de types d'analyses qui peuvent être conduites. Ça peut être à l'intérieur d'une espèce, comprendre les choix métaboliques, d'essayer de mieux comprendre la physiologie d'une espèce" raconte Line Le Gall, professeur au Muséum d'Histoire naturelle.

Le programme Atlas Sea va durer sept mois. (BORIS HALLIER / RADIO FRANCE)

Il est notamment question de comprendre comment les espèces s'adaptent aux changements climatiques et comment mieux gérer les espèces invasives. Mais ces recherches pourront aussi permettre d'identifier des molécules d'intérêt. "Beaucoup de molécules toxiques sont produites par des organismes, de venins, de toxines ou d'autres types de molécules qui sont très intéressantes, y compris pour des applications médicales ou d'autres types d'applications d'intérêt. D'autres types d'applications, comme par exemple des colles sous-marines. Il y a des espèces qui se collent sur des substrats, des colles qui collent sous l'eau, c'est quand même très intéressant", explique Bertrand Bed'Hom, lui aussi professeur au Muséum d'Histoire naturelle.

Après cette première campagne d'exploration dans la baie de Saint-Malo, les scientifiques iront l'année prochaine au large de Marseille, en Guadeloupe, puis ce sera Roscoff, Banyuls ou Concarneau.

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