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Reportage
"Les garçons prennent trop d'espace" : comment les écoles réaménagent les cours de récréation pour réduire les inégalités de genre
Tenter de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes dès le plus jeune âge. De plus en plus d'écoles réaménagent leur cour de récréation après avoir dressé le constat que les garçons occupent la grande majorité de l'espace, sur les terrains de foot, notamment. Depuis plusieurs années, des collectivités accompagnent cette réflexion.
Tout près d'Agen, dans le Lot-et-Garonne, le collège de Bon-Encontre travaille sur le réaménagement de sa cour de récréation. Quand on arrive dans ce collège de 800 élèves plutôt rural, on les voit tout de suite : deux tables de tennis de table en béton avec une bonne quinzaine de garçons... et une seule fille. "Les filles préfèrent discuter et les garçons préfèrent jouer", affirme l'un d'eux. Parfois, les filles viennent pour essayer de jouer "mais elles repartent deux secondes après." Pourquoi ? "Parce que je suis méchant avec elles ! On leur fait des smashs", fanfaronnent certains. Alors, les filles "discutent dans les toilettes", explique un autre.
"Le banc, c'est notre petit endroit secret"
Comme très souvent dans les établissements scolaires, les garçons occupent les équipements sportifs : tables de ping-pong, terrains de foot, la plupart du temps installés en plein milieu et qui prennent beaucoup de place. Les filles, elles, sont reléguées en périphérie. Édith Maruéjouls est géographe du genre. Elle accompagne les écoles et les collèges à repenser leur cour de récréation, comme ici au collège de Bon-Encontre : "Ces espaces de cour n'ont pas été réfléchis sur ce qui fait une relation humaine. Est-ce qu'on peut discuter, par exemple ? Est-ce qu'on peut s'installer à plusieurs ? Est-ce qu'on peut rêver ? Est-ce qu'on peut être au calme ? Ce n’est souvent pas équipé. Ça produit de l'ennui, quand vous ne pouvez pas vous installer, la conversation est beaucoup plus difficile à avoir", décrypte la spécialiste.
Si de plus en plus d'établissements s'engagent dans ces projets pour rendre leur cour plus mixte, c'est aussi un travail qui prend du temps. Édith Maruéjouls organise par exemple des ateliers avec les élèves qui doivent se représenter dans la cour : les endroits qu'ils apprécient, ceux qu'ils n'aiment pas, ou qui leur font peur... Et noter s'il y a plus de filles ou de garçons, afin de prendre conscience, dans un premier temps, des usages.
L'atelier se déplace ensuite sur place, dans chaque petite zone de la cour à l'aide d'un questionnaire que remplit un groupe de quatre filles de 6e : "Ici, moi, je n'aime pas parce qu'il y a trop de garçons, ils prennent trop d'espace. Il y a trop d'endroits pour eux ! Le banc c'est le meilleur endroit, c'est notre petit endroit secret", expliquent-elles.
"On aimerait qu'il y ait des ballons pour les filles"
La réflexion collective se poursuit au plateau sportif, c'est un lieu juste à côté de la cour, qui réunit un terrain de foot et un autre de basket. Chaque niveau de classe a le droit d'y aller le midi, un jour par semaine. Mais force est de constater que là, aussi, les garçons sont ultra-majoritaires : "C'est parce qu'on a peur du jugement", explique une jeune fille. "Le problème, c'est qu'ils nous mettent toujours en défense", raconte une troisième.
"Je fais du foot en club, mais je n'ose pas jouer devant les garçons parce que j'ai peur qu'ils me disent que je suis nulle devant tout le monde. C'est hypergênant"
Une élève de 6èmeà franceinfo
Face à ce constat, les filles ont des propositions : "On aimerait bien qu'il y ait des ballons pour les filles", qu'"un jour par semaine où il n'y a que les filles qui ont le plateau"...
Comment accompagner cette mixité de genre sans brusquer ces adolescents et adolescentes ? Il faut leur proposer sans les forcer évidemment, répond la principale du collège : "L'idée est de leur donner l'opportunité de se mélanger, de créer des lieux mixtes. Il n'y a pas d'obligation", assure Didia Lefebvre. Avant de reconnaître qu'aujourd'hui, c'est "difficile" : "La cour n'est pas pensée pour, donc l'idée c'est d'aller vers quelque chose de co-construit avec eux."
La chercheuse qui accompagne le collège ne donne pas de solutions clés en main, il faut imaginer des dispositifs en fonction des besoins exprimés par les élèves. Mais de nombreuses pistes existent, rappelle Edith Maruéjouls : "Un espace calme dans la cour de récréation, ça peut être sortir des bacs de livres, avoir une table pour faire un jeu de société. Ça peut être 50 chaises au centre de la cour... Et ils vont s'organiser, se mettre en étoile, s'asseoir, de se mettre en rond ou dos à dos", souffle-t-elle. Ou encore "proposer des activités physiques qui cassent les stéréotypes : on ne danse jamais, on peut danser dehors. C'est tout ça qu'on va essayer de tester, mais en s'appuyant aussi sur la ressource de l'établissement. Parce que là, il faut que quand on part, il y ait bien des gens qui se soient mis en route." En dix ans, son bureau d'études a déjà accompagné plusieurs dizaines d'établissements scolaires.
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