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Reportage
"On meurt tous les jours" : en Turquie, un an après le séisme meurtrier, le traumatisme ne s'estompe pas
En Turquie, lundi 5 février, un an après le terrible séisme qui a dévasté onze provinces du sud est du pays, le traumatisme est toujours présent. La terre a tremblé dans la nuit du 5 au 6 février 2023, faisant 53 537 morts et plus de 107 000 blessés, selon un dernier bilan.
À Antioche, la ville la plus meurtrie, où que le regard se porte, ce n’est que désolation, ruines et champs de pierres. C’est comme si le tremblement de terre s’était produit hier dans cette ville millénaire, creuset des religions, où juifs, chrétiens et musulmans vivaient ensemble. C’est désormais à une vingtaine de kilomètres que les chrétiens orthodoxes se réunissent le dimanche, dans une salle à côté d’une église au clocher à terre.
"Antioche a été effacée"
Quand on demande au Père Jean ce qui a changé en un an, il soupire : "Antioche n’a pas été changée, mais a été effacée. Il n’y a plus d’Antioche. Il n’y a plus que des gens qui tentent de vivre dans des containers. Il n’y a plus que des gens qui tentent d’envoyer leurs enfants à l’école, pour leur donner un avenir. Des gens qui, quand ils sont malades, essaient de trouver un hôpital, dans une zone où il n’y a pas de transports en commun. Si vous avez une voiture, vous avez de la chance, sinon… Je ne peux pas dire ce qui a changé, ce que nous avons perdu. Nous avons tout perdu."
Antioche a perdu 90% de ses habitants, morts, disparus ou contraints de quitter une ville où l’on manque toujours de tout, d’abri, d’eau, d’électricité. Si la ville est toujours en ruines, les survivants n'ont pas non plus réussi à surmonter traumatisme psychologique. Emine, les yeux embués de larmes, se serre dans une doudoune dans le froid glacial : "Qui sont ceux qui sont vraiment morts ? Ceux qui sont restés sous les débris ou ceux qui en sont sortis ? Nous, on meurt tous les jours. Chaque nuit, on fait des cauchemars. Nous revivons toujours le même moment, nous revoyons les mêmes images."
"Je n’arrive pas à oublier les voisins qui sont morts, leurs corps sortis des décombres... On essaie de vivre mais on n’y arrive pas. Pour vous, un an s’est écoulé, c’est long un an, mais pour nous, c’est comme si c’était hier. Le temps s’est arrêté."
Emineà franceinfo
On parle du séisme dans chaque conversation, tous les jours. Le besoin de soins est immense. La violence domestique a explosé. Les familles sont entassées dans des conditions précaires, dans des containers. Les pères chefs de famille ont perdu leur travail, les enfants pleurent dès que la pluie arrive ou que le ciel se couvre, redoutant un nouveau séisme. On ne compte plus les dépressions, les suicides, les abus d’alcool et de drogue.
"On n’a rien trouvé, pas même un membre"
Et puis, il y a ceux qui ne peuvent pas faire leur deuil. Ceux qui cherchent toujours un proche disparu. Leur nombre est incalculable. C'est le cas de ce couple venu d’Izmir : leur nièce reste introuvable. On a sorti les corps de son mari et de leur bébé des décombres, mais elle a disparu.
Pourtant, disent-ils, son père est arrivé sur les lieux une heure après le séisme en pleine nuit : "Il est resté pendant une semaine. 24 heures sur 24. Ils n’ont rien trouvé. Tout était à terre. Le séisme avait pulvérisé les bâtiments. Des ambulances sont arrivées et ont emmené les corps, les morts et les blessés. Mais on ne sait où. Il n’y avait aucun contrôle. Tu ne pouvais pas savoir où ils les emportaient. Ça pouvait être à Izmir, à Ankara, à Antalya… Mais elle, on aurait dû la retrouver. On n’a rien trouvé, pas même un membre. On a toujours cette interrogation dans la tête." C’est le cas de dizaines voire de centaines de familles.
"Pendant des siècles, nous avons vécu ici comme des frères"
Sur place, on ne voit pas grand-chose de ce que fait l'Etat. Des pelleteuses s’affairent encore à démolir, ne récupérant que la ferraille qui peut se monnayer, des bâches entourent des terrains vagues promettant des immeubles flambant neufs, une mosquée est en rénovation. Les chrétiens eux attendent le feu vert du gouvernement pour restaurer leurs édifices. Tous veulent qu’Antioche soit reconstruite comme avant quand toutes les communautés y vivaient ensemble.
Comme Kemal : "Là, c’était le quartier chrétien, là les alévis, là les musulmans. Tout ça dans un mouchoir de poche. Les repas, on les partageait, les fêtes religieuses, on les célébrait ensemble. Pendant des siècles, nous avons vécu ici comme des frères. Nous voulons revivre cela. Et il est urgent de faire quelque chose." Mais les habitants d’Antioche n’ont guère confiance en leur gouvernement. Pour revivre, ils en appellent à la communauté internationale.
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