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Reportage "Nul ne s'en préoccupe, aujourd'hui seul l'argent compte" : en Turquie, les déchets toxiques du séisme menacent la santé des habitants et l'environnement

Quatre mois après le séisme en Turquie et en Syrie, des entreprises sont chargées de déblayer les gravats toxiques. Mais en les entassant dans des dépôts sauvages à ciel ouvert, près de la mer, ils pourraient causer une catastrophe écologique et sanitaire.
Article rédigé par Marie-Pierre Vérot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
A  Samandağ, un dépôt sauvage de gravats toxiques menace la santé des habitants et l'environnement. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

"Nous sommes dans le quartier côtier à Samandağ. C'est ici que se trouve la deuxième plus longue plage au monde, qui s'étend d'ici jusqu'à Iskenderun. Nous sommes sur la côte de Hatay." La mer Méditerrannée n'est qu'à 200 mètres, mais impossible de l'apercevoir. Une gigantesque montagne de gravats toxiques s'étend à perte de vue.

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Çağdaş, professeur à Samandağ et militant dans le collectif "Nous reviendrons et nous reconstruirons", ne décolère pas devant ce site infernal. 24 heures sur 24, des camions viennent y décharger les dizaines de millions de tonnes des gravats des bâtiments effondrés lors du séisme. "Sur cette zone, personne, ni l'Etat, ni qui que ce soit, n'a le droit de creuser un trou, car c'était un repaire d'oiseaux, on y trouvait des plantes endémiques", explique-t-il. "Constitutionnellement, il est strictement interdit de faire quoi que ce soit ici."

"Mais dès le deuxième jour du séisme, on a donné le droit de déblayer les gravats à deux compagnies privées. Et elles ont ignoré toutes ces lois parce que seuls comptent leurs bénéfices."

Çağdaş, professeur à Samandağ

à franceinfo

Il y a quatre mois pile, le 6 février, deux puissantes secousses dévastaient le sud de la Turquie et la Syrie. Le bilan officiel annonce près de 50 000 morts, mais il y en a sans doute beaucoup plus. Des dizaines de milliers de bâtiments se sont effondrés comme des châteaux de cartes. La province du Hatay, frontalière de la Syrie, a été la plus durement touchée. Mais pour déblayer au plus vite, une vingtaine de sites de dépôt sauvage se sont créés pour évacuer les gravats toxiques sans prendre de précaution, au risque de causer une catastrophe écologique et sanitaire.

Du plomb, des métaux lourds et de l'amiante dans les gravats

Une petite route sépare la montagne, empoisonnée de deux écoles et d'un village de tentes qui abritent des rescapés du tremblement de terre.Gülhan y a trouvé refuge avec ses enfants, et elle avoue son impuissance. "Il y a des produits cancérogènes", détaille-t-elle. "On n'est pas morts dans le tremblement de terre, mais on va mourir de cette poussière du cancer. On a beaucoup manifesté, on a haussé la voix, mais personne n'a rien fait."

Le docteur Ali Kanatli a ouvert un dispensaire pour soigner gratuitement les sinistrés. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

À quelques kilomètres de là, dans la ville d’Antioche toujours profondément dévastée, le docteur Ali Kanatli redoute une catastrophe sanitaire. Il a ouvert un dispensaire pour soigner gratuitement tous les sinistrés de Hatay. "Il ne s’agit pas seulement d’amiante", précise-t-il. "On trouve dans les gravats évacués des frigos, des télés, de l’électroménager. On trouve du plomb dans la peinture, dans tous les bâtiments. C’est un métal lourd, qui peut mener à des problèmes de développement de l’intelligence."

"Des hôpitaux ont été détruits : ils abritaient des sections radioactives, des centres de cultures microbiologiques, des produits chimiques, des métaux lourds. Tout cela a été déblayé sans y prêter attention."

Docteur Ali Kanatli

à franceinfo

Il reçoit déjà de nombreux patients atteints d’affections respiratoires. "Les nappes phréatiques et la mer sont aussi contaminées", soupire-t-il. "Mais nul ne s’en préoccupe. Nous sommes en Turquie, aujourd’hui seul l’argent compte."

Le reportage de Marie-Pierre Vérot à Samandağ, en Turquie

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