Reportage
"Plus la structure est petite, plus c'est difficile" : la lente transition des cantines scolaires vers le bio et le local

Plus de 80% des communes de ne respectent pas les objectifs de la loi Egalim dans les cantines scolaires, en ne proposant pas assez de produits bio et locaux.
Article rédigé par Guillaume Farriol
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Les cantines scolaires doivent proposer 50% de produits dit "durable et de qualité", dont 20% de bio. (SPEICH FREDERIC / MAXPPP)

Que trouve-t-on dans les assiettes de nos enfants à la cantine ? Pas suffisamment de bio et de produits locaux et labellisés. Moins d'une commune sur cinq respecte les objectifs fixés par la loi Egalim, adoptée en 2022.

Il faut dire que ce n'est pas si simple, surtout pour les petites communes qui manquent de moyens. Dans la cantine de l'école primaire d'Aviron, un millier d'habitants dans l'Eure, près d'Évreux, on essaie tant bien que mal de respecter ces règles.

Au menu ce midi-là, "des concombres avec de la sauce, des patates et un cordon bleu, un brownie au chocolat." Le tout cuisiné chaque jour par la cheffe embauchée par la commune. Pour respecter la loi, il faut du bio, des produits labellisés ou locaux. Principale difficulté : les livraisons, explique Sophie Launay, la cuisinière, pas loin de s'arracher les cheveux chaque fois qu'elle choisit les menus. 

"J'ai un peu plus de cheveux blancs, rigole-t-elle. Plus la structure est petite, plus c'est compliqué de trouver des producteurs locaux. Déjà au prix de l'essence, ils ont du mal maintenant à se déplacer pour 90 enfants, pour juste dix kilos de carottes par exemple, ça ne les intéresse pas. Ils perdent plus d'argent qu'ils n'en gagnent. C'est là qu'est la difficulté."

Faire des "calculs de pourcentages"

Alors, comme 82% des communes selon l'Association des maires de France, Aviron n'atteint sans doute pas les seuils de la loi Egalim : 50% de produits dits "durables et de qualité", dont 20% de bio. La maire, Sophie Bertin, se donne pourtant du mal. Viande locale, légumes bio dès que possible, le pain est fourni par des boulangers locaux. Mais l'élue serait bien incapable de dire si elle respecte ou pas les critères d'Egalim. 

"La loi Egalim va dans le bon sens", reconnaît l'élue, mais "on est censé dire précisément combien on achète et combien de produits bio. Il faudrait qu'on rentre dans des tableaux et dans des grilles, qu'on calcule des pourcentages. On ne peut pas répondre aux mêmes demandes que dans les grosses communes." 

"À la mairie d'Aviron, il y a une personne qui s'occupe de la comptabilité et vous imaginez bien que la cuisinière a autre chose à faire que tous les soirs que faire le point sur quelle quantité, quel pourcentage." 

Sophie Bertin, maire d'Aviron

à franceinfo

Les plus grandes villes sont soumises à d'autres contraintes. Toute commande de plus de 40 000 euros doit se plier aux règles de la mise en concurrence. Impossible pour elles de désigner directement des producteurs locaux pour fournir les cantines.

Pourtant, une commune sur cinq parvient bien à atteindre ces objectifs fixés par la loi. Avec un exemple emblématique : celui de Mouans-Sartoux, 10 000 habitants, dans les Alpes-Maritimes. Depuis 2012, elle est en bio à 100%. Les cantines sont fournies notamment par la ferme gérée par la Ville, explique Gilles Pérole, adjoint à l'éducation. "On a une ferme municipale qui produit 85 % des légumes que mangent les enfants. On a su construire une solution alternative dans un département, les Alpes-Maritimes, où on a très peu d'agriculture."

Éliminer le gaspillage pour économiser

Le reste des produits viennent de fournisseurs biologiques. Tout cela, évidemment, coûte cher. Mais la municipalité est parvenue à compenser ces dépenses. La moitié des menus sont végétariens et coûtent deux fois moins cher qu'un repas avec viande ou poisson. Le gaspillage a aussi été réduit de 80%.

"On s'est mis à peser nos restes tous les jours, explique Gilles Pérole. Une fois qu'on a cuisiné 50 kilos de carottes râpées et qu'on en a jeté dix, on ne va pas recommencer à cuisiner 50 kilos de carottes râpées. La fois suivante, on fera 40. Ces deux leviers génèrent une économie globale de 40 % du coût de revient alimentaire."

Le maire appelle les communes à changer de philosophie, à investir, mais la transition "prend du temps", reconnaît l'élu. Il décompte une centaine de communes qui ont monté ou sont en train de créer leur propre ferme pour produire des légumes. 

Une question de volonté

Mais certains commencent à s'impatienter, dont Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d'agriculture biologique. Il rappelle que les obligations de la loi Egalim remontent maintenant à plus de deux ans. "C'est désolant. On regorge de produits bio dans beaucoup de filières aujourd'hui, parce que la consommation des ménages a beaucoup diminué. On est de plus en plus nombreux à produire bio et malheureusement, on est très loin des objectifs."

"Il faut se prendre en main et, politiquement, assumer de prendre ce virage."

Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d'agriculture biologique

à franceinfo

Tout cela n'est donc qu'une question de volonté, selon lui, de la part des collectivités locales et de l'État qui doit aider davantage les communes. "Il faut plus de moyens dans l'accompagnement des collectivités. Il faut subventionner de la formation, du personnel de cuisine et subventionner aussi de l'investissement dans des installations pour qu'enfin, la transition alimentaire des collectivités ne soit pas un vœu pieux et que ce soit effectif et le plus rapidement possible pour la rentrée prochaine."

La solution passe aussi par plus d'échanges entre les différents acteurs, explique ce producteur de l'Yonne, pour adapter les produits locaux bio aux demandes des municipalités.

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