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Reportage
Un job-dating pour aller travailler... en Antarctique : "Je prends n'importe quel métier, pourvu que je parte"

L’Institut polaire français Paul-Émile Victor est à la recherche de ses nouveaux personnels. Il propose plus de 80 emplois. Une condition était essentielle pour postuler : être prêt à aller travailler au bout du monde, en Antarctique.
Article rédigé par Valentin Houinato
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le quai de la piste du Lion, près de la base Dumont-d'Urville, en Antarctique, vu depuis le navire polaire "Astrolabe". (LUCIE MAIGNAN/IPEV)

Il vaut mieux prévoir des gants dans la valise. Vendredi 19 octobre, l’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) a organisé un job-dating, un forum de l'emploi, pour renflouer ses troupes. Plus de 80 postes étaient proposés et pour ce qui est des bureaux, ce n'est clairement pas la porte à côté : tous ces postes se situent en Antarctique !

Dès l'ouverture, à Brest, il y avait déjà beaucoup de monde. Certains quasiment prêts à partir, avec des sacs sur le dos et de grosses chaussures de randonnée accrochées dessus. Avec leur CV en main, chacun est passé tour à tour face aux recruteurs... pour tous types de métiers : "Moi, je suis là pour faire électricien", "logistique", "tout ce qui est en biologie ou en biotechnologie", "de la glaciochimie", "cuisinier", pouvait-on entendre dans la file d'attente.  A la clé, des séjours de six mois à un an, en Antarctique et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Des centaines de candidats au rendez-vous

Le principe du job-dating, c'est un échange bref avec un professionnel, "maximum 5 minutes" en l'occurrence. En même temps, il faut pouvoir rencontrer tout le monde et l'évènement a connu un large succès : "On ne s'attendait pas à autant de candidats. On a ouvert 10 minutes plus tôt et on avait déjà 150 personnes !", s'exclame une organisatrice.

Le job-dating de l'Institut polaire français a attiré de nombreux curieux à Brest. (VALENTIN HOUINATO / RADIO FRANCE)

Et à chacun sa motivation. "Tout le monde a sa chance, donc sur un malentendu, ça peut passer !" sourit Willine, la dernière candidate de la queue, "Je prends n'importe quel métier, pourvu que je parte là-bas" lance de son côté Evan. Il ajoute, avec des étoiles dans les yeux : "J'ai une envie d'aventure, pour suivre le parcours de mon père qui est parti en 1999. Il m'a raconté des histoires, des anecdotes, montré des photos. Maintenant, j'en rêve tout le temps". Et le jeune homme est prêt : "J'aime bien me retrouver dans des endroits où l'homme n'a pas encore vraiment eu le temps de vivre. On découvre comme une autre planète."

Faire du pain en Antarctique 

Sur les murs sont affichées de splendides photos, notamment de couchers de soleil. Il y a une motoneige aussi, mais interdiction de monter dessus. Les candidats déambulent parmi de grandes répliques d'animaux : des manchots et des éléphants de mer.

Ce job-dating, c’est aussi l’occasion pour les futurs candidats de discuter avec celles et ceux qui ont déjà vu l’Antarctique. Nathan a fait le voyage : "J'étais boulanger pâtissier sur la base Dumont-d’Urville. Je suis devenu boulanger exprès pour pouvoir partir là bas". Et côté travail, Nathan n'a pas été si dépaysé : "Ça ressemble un peu à ce qui se passe en France. Tous les matins, on va se lever, faire le pain, les pâtisseries, les viennoiseries. La mission que j'ai choisie, c'était un hivernage qui a duré un peu plus d'un an." Même prénom et même base, mais métier différent pour un autre Nathan, 27 ans : "Je suis parti en hivernage pour la mission TA71. J'avais le rôle de mécanicien engins." 

"Dans le paysage, il y a des couleurs et des contrastes que l'on ne peut pas avoir ici. C'est fabuleux !"

Nathan, mécanicien parti en Antarctique

à franceinfo

La mission de Nathan s'est déroulée en 2020, mais il n'a rien oublié du paysage "On se dit qu'il va y avoir de la banquise, des icebergs. Mais en fait, on découvre des cailloux, de la terre, de la pierre, et la lumière se reflète sur tout ça. Il y a un contraste entre le foncé et le clair, que ce soit le matin au lever du soleil, ou le soir quand il se couche", se souvient méticuleusement le mécanicien. L'autre Nathan, le boulanger, complète le tableau avec la flore avec la faune : "On a les manchots... Et puis il y a toute une vie : des phoques, des éléphants de mer, qui viennent au niveau de la base. C'est vraiment vivant !"

L'"Astrolabe", le navire polaire des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), en  2018. (SERGE BEGON / IPEV)

Pour les scientifiques français, ornithologues, sismologues ou encore glaciologues, les mois passés là-bas servent entre autres à recenser les animaux, prélever du sang ou des plumes ou surveiller l'évolution et le mouvement des glaces par exemple. 

Et quand, pour les jours de repos, il fait −80°C, il faut, aussi, savoir s'occuper : "Il y a la bibliothèque et un écran projecteur, donc on peut faire des petites séances cinéma. On a des canapés, un billard et puis on va se promener sur les îles à côté quand la banquise est suffisante et qu'elle a été vérifiée."

Plusieurs étapes de sélection

Pas question, évidemment, de partir du jour au lendemain. Le recrutement se déroule sur plusieurs phases. Elles sont obligatoires, pour s'assurer d'envoyer des candidats capables de supporter la vie en autarcie. Anne Savary est en charge du recrutement à l'IPEV : "C'est un petit peu difficile de recruter parce que c'est un engagement différent : on ne rentre pas à la maison tous les soirs. Une fois qu'on est pris, on sait que l'on va partir pendant un an."

Par ailleurs, des extraits de journaux intimes de personnels sont affichés, pour se rendre mieux compte du quotidien sur place, souvent loin de la carte postale : "25 novembre : Marc vient d'apprendre la mort d'un ami. Il nous a demandé un instant. Il est sorti, et quand il est revenu, des larmes étaient encore gelées sur ses joues." "Très malade. Ce bateau est un enfer pour l'estomac. Tout bouge, c'est même pire quand je ferme les yeux. La croisière ne m'amuse plus du tout.", lisent les candidats.

"Le thermomètre affiche -32 ce matin. Il n'y a plus rien autour que nous que le blanc."

extrait d'un journal intime d'un scientifique présent en Antarctique

Aude Sonneville gère la communication de l'Institut : "On continue à rêver l'Antarctique, c'est une terre d'exploration. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a un environnement très difficile : les températures, les vents très importants". Sans oublier l'aventure humaine : " Vous êtes avec un groupe que vous n'avez pas choisi, des gens qui ne sont pas vos amis, et vous allez être enfermés pendant 12 à 14 mois sur ce terrain polaire dans des conditions extrêmes", rappelle-t-elle.

L'"Astrolabe", navire polaire des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), à l'approche de la base Dumont-d'Urville, en 2018. (LUCIE MAIGNAN / IPEV)

La sélection se fait via différentes épreuves, explique Anne Savary : "On va recevoir les gens en entretien, étudier les CV. Il y aura aussi des tests écrits techniques, pour certains métiers. Ensuite, nous enverrons des gens en visite médicale, pour s'assurer qu'ils sont en bonne santé et qu'ils sont aptes au niveau psychologique pour partir en hivernage". En hivernage à 20 ou 30 personnes, dans l'une des deux bases françaises en Antarctique, situées à plus de 1 000 kilomètres l'une de l'autre. Les candidats choisis n'auront plus qu'à attendre un possible départ en octobre 2024.

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