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Reportage
"Une bonne action pour réparer la mauvaise, ça fait cogiter" : qu'est-ce que le "service de réparation pénale" destiné aux délinquants mineurs ?
"Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies. Tu défies l'autorité, on t'apprend à la respecter." La formule choc du Premier ministre Gabriel Attal avait marqué l'audience lors de son discours de politique générale du 30 janvier. Il annonçait alors la création de "travaux d'intérêts éducatifs" pour les jeunes adolescents délinquants âgés de 13 à 16 ans, sur le modèle des travaux d'intérêt général, qui ne s'appliquent qu'aux plus de 16 ans.
Deux mois plus tard, rien n'est encore mis en place, mais, en fait, la formule existe déjà depuis 30 ans. Il s'agit du service de réparation pénale. L'an passé, la justice en a prononcé 18 000. Plutôt que le placement en centre éducatif fermé, les jeunes doivent suivre un stage pour, dans un délai de six mois, "réparer" les délits qu'ils ont commis : des violences, des vols, des dégradations, des agressions sexuelles ou encore du harcèlement scolaire. Plutôt que le placement en centre éducatif fermé, plutôt qu’une amende, le magistrat a choisi pour ces jeunes primo-délinquants une solution davantage éducative qui implique une "seconde chance". Parfois la réparation pénale vient en complément d’une peine principale.
Travailler sur la réflexion, mais aussi sur l'estime de soi
De l’extérieur, il s’agit de bureaux modernes et assez ordinaires à quelques encablures de la citadelle Vauban de Lille. L’association La Sauvegarde du Nord est habilitée, au même titre que la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), à y organiser des stages de réparation pénale. Les jeunes, âgés de 13 à 18 ans, sont envoyés là suite à la décision d'un juge des enfants ou d'un procureur. Pour Mohamed, 17 ans, ce sera un stage dans un entrepôt de la Croix-Rouge. Auparavant, il a mené une réflexion introspective avec un éducateur, bienveillant mais ferme, qui reste dans un cadre pénal. "On a beaucoup parlé et discuté, ça m'a aidé à réfléchir, confie Mohamed. Moi, je suis ici pour détention de stupéfiant et port d'arme blanche." Il reconnaît que le trafic, "c'est de l'argent facile", et il a réalisé toutes les contreparties qui pouvaient affecter son avenir : "Il y a de la violence, ce n'est pas bon pour la santé, ça m'aurait fermé des portes pour le travail, décrit-il. Et en cas de récidive, "c'est la prison", bref "ça fait cogiter."
Embarqués dans une mission pour la Croix-Rouge, Mohamed et les autres jeunes se retrouvent très vite à ouvrir des cartons de nourriture, à trier des vêtements et à participer aux distributions. "La mesure, elle aide aussi, c'est une bonne action, commente Mohamed, disons que ça rattrape la mauvaise !" Il s'agit aussi là pour le jeune homme de "redorer son image". La chargée de mission, Margaux Fernez, accueille les jeunes sans leur demander ce qu'ils ont commis. "On leur explique qu'ils font partie d'un tout, peu importe leur statut, décrit-elle. Ils vont aider les plus vulnérables. Et à la fin de la journée, ils se rendent compte que ça a été utile et qu'eux aussi ont eu une part là-dedans. C’est intéressant de voir comment certains retrouvent ainsi de l’estime d’eux-mêmes."
Parler des conséquences et ressentir le remord
Les stages proposés sont en fonction des délits commis. Un refus d'obtempérer, un rodéo urbain ou une conduite sans permis conduiront à un stage avec le commissaire Jacky Maréchal. Le policier à la retraite y raconte les drames qu'il a vus au cours de sa carrière, montre des films chocs sur les dangers de la route, et échange longuement avec les jeunes. "Quand on est jeune, on recherche des sensations fortes, raconte-t-il. En réparation pénale, c'est l'occasion pour eux d'une prise de conscience, avec des conséquences corporelles dans un accident bien sûr, mais aussi des sommes considérables à payer pendant au minimum 30 ans pour indemniser les victimes. Et puis aussi, les notions de remords, de savoir que celui que j'ai mis à l'hôpital ou au cimetière n'éprouvera plus jamais les plaisirs que moi je vais avoir."
En parallèle des réparations indirectes, le jeune délinquant peut parfois aussi réparer directement son délit. Par exemple, après des tags, le jeune accompagne les employés municipaux pour nettoyer les murs. Après un vol de scooter, il ou elle rencontre le propriétaire fâché et s'excuse auprès de lui. Un autre exemple a concerné deux adolescents lillois qui ont agressé une personne handicapée mentale dans le métro, sous prétexte qu'elle parlait toute seule. Nathanaël Ramphft, éducateur spécialisé raconte la suite : bousculade, coups. Ils ont été retrouvés grâce à l'enquête et aux caméras, et pour faire prendre conscience aux jeunes de leurs actes, une médiation de rencontre a été organisée. "Elle va durer entre une heure et une heure et demie", précise l'éducateur, avec l'idée qu'ensuite, s'ils venaient à se recroiser dehors, "ils puissent se serrer la main en ayant appris à se connaître l'un l'autre".
"Si on m'avait envoyée en prison, je n'aurais pas compris"
Les victimes physiques sont contactées à chaque fois pour tenter des réparations directes mais beaucoup refusent. Ça a été le cas pour Lina, 17 ans, qui au cours d'une violente bagarre a blessé une jeune fille de son âge, qui l'avait insultée sur les réseaux sociaux, et qui n'a pas voulu la revoir. Lina risquait la prison. À la place, elle a dû participer à plusieurs actions caritatives avec différentes associations, passer son diplôme de premiers secours, rencontrer des victimes de violences, et assister à des comparutions immédiates au tribunal judiciaire de Lille. Lina sait la chance qu’elle a eue. Elle sait aussi que cette mesure de réparation pénale va permettre que rien ne soit inscrit à son casier judiciaire.
"Cette réparation c’est une expérience qui m’a permis de me poser un peu pour réfléchir. J’ai évolué et je dirais même que j’ai grandi."
Lina, 17 ansà franceinfo
"Je pense que si on m’avait envoyée en prison, ça n’aurait pas été du tout la même chose, je serais restée en colère contre la fille que j’ai tapée et j’aurais été en colère contre la justice aussi, parce que je n’aurais pas compris où était vraiment mon erreur, mon tort dans cette histoire, explique Lina. J’ai dû me remettre en question. On m’a accompagnée pour ça et j’avoue, j’étais même contente de venir à ces différents rendez-vous. Maintenant, quand j’y repense, je me demande comment j’ai pu faire ce que j’ai fait, frapper ainsi. Je suis vaccinée, je ne recommencerai pas", promet la jeune fille.
La réparation pénale permet-elle vraiment de lutter contre la récidive ? Difficile d’objectiver le phénomène car il n'existe aucune statistique. Les responsables de l'association la Sauvegarde du Nord, eux, le pensent sans être pour autant naïfs. "On voit parfois revenir certains jeunes et on se heurte quotidiennement à des limites dans la mise en œuvre de nos projets de réparation", concède Valentine Neusy-Brunnin, cheffe du service "Réparation pénale".
"Certains jeunes n’arrivent jamais à reconnaître les faits qu’ils ont commis, car assumer n’est pas quelque chose de simple, surtout à l’adolescence."
Valentine Neusy-Brunnin, de l'association La Sauvegarde du Nordà franceinfo
"Parfois on n’arrive pas à avoir le soutien de leurs parents sensés pourtant, en tant que responsables légaux, nous soutenir et accompagner leur ado dans la réparation. Malheureusement, ça n’est pas toujours le cas", regrette la responsable qui parfois ne valide pas le stage au bout des six mois impartis, et doit donc renvoyer certains jeunes devant le juge.
Mais les éducateurs notent que les succès sont tout de même bien plus nombreux. Ils souhaiteraient que cette mesure soit davantage proposée, et surtout à des jeunes de 14-15 ans plutôt qu'aux 17-18 ans. Les jeunes presque majeurs n'en sont parfois déjà plus à leur premier délit, et il est trop tard pour qu'une réparation pénale crée chez eux un déclic.
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