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Témoignage
"Ont-ils pris conscience de la gravité de leurs actes ?" : les attentes d'une collègue de Samuel Paty à l'ouverture du procès de six élèves
C'est le premier procès dans l'affaire de l'assassinat de Samuel Paty, ce professeur d'histoire-géographie décapité devant son collège, à Conflans-Sainte-Honorine en octobre 2020. Six adolescents sont jugés à partir de lundi 27 novembre devant le tribunal pour enfants de Paris (les majeurs impliqués seront jugés fin 2024) : une élève de 13 ans pour avoir menti sur le contenu du cours où des caricatures ont été montrées, et cinq autres pour avoir aidé le terroriste, notamment en lui désignant Samuel Paty à la sortie du collège.
À la veille de ce procès, franceinfo a rencontré l'une des anciennes collègues de Samuel Paty. Cécile* souhaite assister au procès, mais comme l'audience est à huis clos, la seule possibilité pour suivre les débats est de se constituer partie civile. Elle en fait la demande, comme 12 de ses collègues. Ce sera décidé par le tribunal à l'ouverture de l'audience.
Comprendre "comment on peut être amené à faire quelque chose d'aussi horrible"
Cette professeure de français, en poste depuis 12 ans au collège du Bois d'Aulne, veut comprendre ce qui s'est passé dans la tête de ses élèves : "Qu'est-ce qui a fait qu'eux sont restés devant le collège, ont accepté de l'argent d'un inconnu pour montrer un professeur qu'ils connaissaient ? Comment on peut être amené à faire quelque chose d'aussi horrible ?" Cécile espère aussi constater, lors du procès, une prise de conscience de ces adolescents : "Comment ont-ils évolué depuis les faits, est-ce qu'ils ont pris conscience de la gravité de leurs actes ? Il y a de la colère, mais pas de volonté de vengeance. On sait très bien que ce sont des adolescents, qu'il y a plein de raisons qui expliquent pourquoi ils ont fait ça, mais qui ne doivent pas excuser."
"On a toujours un peu de tendresse pour nos élèves, même les pires, les plus difficiles. Il n'y a pas de volonté de vengeance, mais la volonté que la justice fasse son travail."
Cécile, ancienne collègue de Samuel Patyà franceinfo
En discutant avec elle, on sent bien une relation forte avec ses élèves. Ce qui explique qu'après l'attentat, cette enseignante s'est sentie trahie : "Trahison parce que nos élèves se sont retournés contre leur professeur, et que cela aurait pu être nous. Et parce que certains ont été accueillis dans nos classes après l'attentat. On s'est montrés très forts, il fallait qu'on soit solides pour nos élèves pendant toute cette période. On a accueilli leur parole, on les a écoutés, on a pu parfois nous-mêmes se montrer vulnérables. Et face à nous, on avait des élèves qui avaient participé à l'attentat et qui ne disaient rien, qui ne montraient rien, à personne, pendant des semaines... Certains étaient interrogés par la police pendant ces semaines, et on a quelques élèves qui ne sont jamais revenus. Et c'est nous, parfois, qui avons dû l'apprendre aux autres élèves. Vous pouvez imaginer combien cela a été difficile, cela a vraiment été très violent pour nous."
"Une méfiance s'est installée"
Trois ans après, l'assassinat de Samuel Paty a bien évidemment laissé des traces : certains enseignants sont partis de ce collège, d'autres ont démissionné, changé de métier. Ceux qui, comme Cécile, sont restés tentent de se reconstruire peu à peu, mais cela reste difficile : "Bien sûr, le lien, la relation avec les élèves, ont été atteints par cet attentat. Lorsqu'on a appris que des élèves y avaient participé, une espèce de défiance, de méfiance, s'est installée, reconnaît-elle. On essaie de reconstruire depuis trois ans, mais cela reste difficile. Il y a toujours une petite part de nous qui est sur la réserve et qui se dit que ce qui s'est passé pour Samuel pourrait nous arriver à nous aussi."
Dans la manière d'enseigner, cela a changé des choses aussi : "Je suis plus sensible sur certains sujets : la laïcité, les questions qui peuvent susciter des réactions un peu excessives des élèves comme les questions de discrimination, de sexisme... Mais ce n'est pas pour autant que je les évite.
"Je sens que je suis sur mes gardes, comme s'il y avait une partie de moi qui me disait : attention danger."
Cécile, ancienne collègue de Samuel Patyà franceinfo
"On a peur, poursuit-elle, mais si on évite ces sujets cela signifie que le terrorisme a gagné. Et on ne veut surtout pas avoir cette impression. Ce n'est pas facile pour nous, dans cet établissement, de continuer à le faire, mais on sait que c'est important."
Le tribunal doit décider lundi matin si la demande de ces professeurs de se constituer partie civile est acceptée. Le procès doit durer deux semaines.
*Le prénom a été modifié
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