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Témoignages
"800 euros en plus pour une terrasse et une cuisine refaite à neuf" : des locataires démunis face au fléau des compléments de loyer
Bordeaux est l'une des villes de France les plus concernées par le complément de loyer, ce supplément que le propriétaire est en droit d’appliquer quand il estime que son bien présente une caractéristique exceptionnelle. Une localisation, une vue... Un confort qui justifie de le louer plus cher, au-dessus du loyer maximum autorisé par l’encadrement, au-dessus du loyer "majoré" comme on dit dans le jargon immobilier. La loi oblige le propriétaire à préciser la nature et le montant de ce complément dans l’annonce et surtout sur le bail.
Des compléments pour du double vitrage ou une baignoire
Le problème, c’est que des propriétaires utilisent le complément pour tenter de gonfler des loyers déjà encadrés, comme l'ont constaté ces derniers mois Marina et Aude, deux Bordelaises qui ont alerté franceinfo. Ces deux amies, longtemps en recherche d’appartement, se sont mises à traquer les compléments de loyers qui leur paraissent abusifs ou farfelus. Certains dépassant de 30% le loyer de base, raconte Marina : "Vous avez par exemple un 90 mètres carrés à 1 770 euros et dans l'annonce, vous avez un complément de loyer de 500 euros. Donc je suis allé en agence, J'ai demandé qu'est ce qui justifiait ce complément-là. Et on m'a dit 'Ecoutez, c'est une vue imprenable sur la Garonne et on voit un peu la Cité du vin'. Le plus que j'ai vu, c'est dans les 800 euros [en plus] pour une terrasse et une cuisine refaite à neuf".
"On peut avoir un appart qui n'est pas isolé, mais il a le cachet de l'ancien... Complètement de loyer. Depuis l'encadrement des loyers, c'est comme si ce complément permettait de faire péter la baraque et de surcompenser."
Aude, habitante de Bordeauxà franceinfo
Aude a transmis à franceinfo une longue liste d’annonces privées ou d’agences où les compléments de loyers posent effectivement question. À Bordeaux, dit-elle, le complément est devenu la combine des propriétaires pour tirer les loyers vers le haut : "On commence à voir des compléments de loyer pour tout et n'importe quoi. La déco qui est refaite, la tapisserie par exemple, de la géothermie ou des fenêtres double vitrage, un balcon ou une baignoire".
À Paris, des loyers majorés de 30%
Bordeaux n’est pas un cas isolé. Depuis l’été 2022, dans toutes les villes où les loyers sont encadrés, des compléments de loyers non justifiés fleurissent. Et la championne, c’est évidemment Paris et ce n’est pas Sophie Morvan qui dira le contraire. Dans la capitale, explique cette juriste qui assure les permanences de l’Agence départementale d’information sur le logement (ADIL), l'argument le plus fréquent pour justifier d'un loyer majoré est "la présence d'une cuisine équipée". Or, cela ne peut pas être considéré comme une caractéristique exceptionnelle, rappelle-t-elle. De même "un balcon filant" ou "la présence d'une cave" ne justifient pas un complément.
"Un cas assez rigolo que j'ai vu il y a quelques mois, raconte Sophie Morvan, c'était le fait de louer à Paris un logement qui se situe non loin des commerces et du métro et pour la modique somme, quand même, d'un complément qui équivalait à 550 euros, qui correspondait à presque plus de 30 % du montant du loyer hors charges initiales."
Peu de locataires dénoncent les fraudes
Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP), près de 10% des 100 000 logements reloués annuellement dans la capitale seraient hors des clous de l’encadrement des loyers à cause de ces compléments glissés dans le contrat de bail. Une estimation impossible à vérifier, reconnaît l'OLAP à franceinfo.
j’ai réussi à faire baisser mon loyer de 800 à 580 balles en contestant un complément de loyer pour mon appart dans le centre de paris. Renseignez vous sur vos droits et faites-les valoir! Y à l’ADIL là pour vous, https://t.co/0PLzkAc26k, et des instances à saisir si besoin
— Arno Pedram (@arnopedram) November 9, 2021
Même s’ils ont signé leur bail, les locataires peuvent dénoncer un complément de loyer abusif et obtenir un remboursement. Ils ont trois mois après la signature pour saisir la Commission départementale de conciliation. Mais la réalité est qu’ils sont très peu à le faire. Dans un marché locatif parisien sous tension, un locataire est tenté d’accepter un complément illégal, ces 50 euros pour une cuisine rénovée, ces 100 euros pour une cour tranquille... Sous peine de voir le logement lui passer sous le nez.
Se retourner contre son propriétaire, c’est aussi le risque de perdre son logement. "Je peux très bien prendre cet appart' et dénoncer le complément de loyer, mais ça va prendre combien de temps ?, s'interroge Aude. Et déjà, il faut une énergie de fou pour trouver un appart'. Moi, j'en suis cette semaine à trois annulations de rendez-vous, des appart' qui ne sont pas encore sur le marché, mais déjà loué, des appartements insalubres. Donc si derrière il faut dénoncer, être en bisbille avec son propriétaire, on ne va pas y arriver".
"Je ne dirais pas que c'est légitime, mais c'est compréhensible"
Jean Pinsolle, le président de la Chambre des Propriétaires du Grand Paris, reconnaît que des propriétaires indélicats abusent du complément de loyer. Ce dernier est, ajoute-t-il, mal défini par la loi, très subjectif et sans vrai barème. Mais il rappelle également que les propriétaires sont eux aussi sous pression : "Les travaux de rénovation énergétique, les contraintes qui pèsent, l'augmentation des taxes foncières... [Quand] ce que vous retirez de la location d'un appartement ou de plusieurs appartements ou d'un immeuble se réduit, comment vous faites pour entretenir votre immeuble ? C'est ça la question. Le complément de loyer, c'est la bouteille à l'encre. Donc, effectivement, on essaye d'avoir un peu plus de rendement et je ne dirais pas que c'est légitime, mais c'est compréhensible."
Selon une toute récente étude de l’association Clameur, le rendement locatif continue de baisser. Il est actuellement de 5% pour les propriétaires. L'abus des compléments de loyer est-il en train de dévoyer le système censé protéger les locataires ? Il tire en tout cas les prix vers le haut. De l’intérêt de bien lire son bail ou de le faire lire par des professionnels comme les juristes de l’ADIL, avant de signer le bail d'un appartement avec vue (ou non).
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