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Témoignages
"Cette pression et ce rythme au quotidien devenaient insoutenables" : usés, ces soignants ont décidé de rendre leur blouse blanche
Depuis des mois, une vague de démissions touche l'hôpital. Quand certains soignants se réorientent dans d'autres métiers du soins, d'autres changent complètement de profession.
"On nous utilise un petit peu comme, excusez-moi du terme, des bouche-trous, un peu partout quand il manque du personnel." À 32 ans, Maëva, infirmière à Bordeaux, vient de faire un abandon de poste. Passée par le public et le privé, elle a craqué à cause des conditions de travail dégradées. "On nous appelle sur nos repos pour venir remplacer, relate-t-elle. Il y a eu des nuits très, très difficiles avec des patients qui étaient très, très en souffrance. Ça m'a traumatisée d'être à ce point impuissante et puis quand on me regarde dans les yeux en me disant 'Maëva, aide-moi s'il-te-plaît, fais quelque chose', que j'ai fait tout ce que j'ai pu et que pour l'instant il va falloir qu'on attende la venue du médecin le lendemain parce que l'urgentiste est complètement débordé... Oui, le matin, j'en ai pleuré."
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Maëva n'est pas la seule dans ce cas. Nombre d'infirmières, souvent jeunes, sont aujourd'hui démissionnaires. La Fédération hospitalière de France vient de lancer une enquête flash pour quantifier ce phénomène. Les résultats de cette enquête sont attendus à la fin du mois.
"Pour ma santé mentale, il faut que j'arrête"
Cette vague de démissions régulières depuis des mois concerne aussi les médecins, en particulier dans les services d'urgences. Stéphane a 35 ans et est médecin urgentiste dans les Yvelines. Il a quitté l'hôpital public il y a deux ans, et s'apprête désormais à quitter l'hôpital privé. "Lors d'une journée aux urgences, je suis le seul médecin sur 24 heures, décrit-il. Donc tous les patients qui vont se présenter dans mon service d'urgences, ça va être à moi de les gérer."
"Une journée en moyenne, c'est 70 patients. Il faut trier, avec la peur en permanence de passer à côté d'une urgence vitale, la trouille au quotidien de faire une erreur médicale."
Stéphane, médecin urgentisteà franceinfo
"Pour moi et pour ma santé mentale, je pense qu'il faut que j'arrête, lâche l'urgentiste. Je m'en veux, j'ai fait pour tout vous dire une petite déprime, une phase de remise en question, de boule au ventre avant d'aller au travail tellement cette pression et ce rythme au quotidien devenaient insoutenables."
Le Covid, un "nuage de criquets" qui s'est abattu
Sophie, médecin urgentiste elle aussi, a choisi de faire une pause : six mois de disponibilité. Selon elle, les conditions de travail se sont aggravées ces deux dernières années. "Le Covid, c'est comme si c'était un nuage de criquets qui s'était abattu sur une ville, sur un pays qui était déjà dans des conditions précaires de survie, raconte la soignante. Donc là, il n'y a plus rien. Les conditions de travail au quotidien se sont dégradées, il n'y a plus la possibilité de prendre correctement en charge les patients, donc j'ai décidé de faire une pause."
"J'ai vraiment eu l'impression de retirer ma main du feu dans ce contexte, ça a été un réflexe. Je ne m'attendais pas, à 40 ans, à me dire 'là, je suis au bout de ce que je peux donner.'"
Sophie, médecin urgentisteà franceinfo
Ils resteront dans la médecine mais pour un exercice très différent : Stéphane songe à se tourner vers la médecine esthétique et Sophie vers la médecine du sport.
Changer de métier "sans regrets"
D'autres changent complètement de métier. Virginie était infirmière à Lille. Elle vient de décrocher un emploi dans une association qui vient en aide aux femmes victimes de violences. "Sincèrement, aujourd'hui je suis contente parce que j'ai le temps, se réjouit-elle. J'ai le temps de les écouter, de travailler sur elles, et ça n'a pas de prix." Virginie reconnaît qu'elle "gagne beaucoup moins, mais j'ai gagné en qualité de vie, en qualité de mon travail... Pas de regrets."
Ces reconversions d'infirmiers, Anne-Sophie Minkiewicz en a fait son métier. Elle-même ancienne infirmière, elle propose via le Compte personnel de formation (CPF) un bilan de compétences et un accompagnement des infirmières qui veulent changer de vie. Aujourd'hui, elle croule sous les demandes.
"J'ai commencé il y a un an et demi effectivement toute seule pendant six mois, et très très vite j'ai dû recruter des coachs pour renforcer l'équipe puisqu'aujourd'hui on est 12, et on a accompagné déjà plus de 250 infirmières."
Anne-Sophie Minkiewicz, fondatrice de Infirmière Reconversionà franceinfo
Elle accompagne même parfois des étudiantes infirmières dégoûtées du métier dès leurs stages à l'hôpital. Environ "80% des infirmières vont rester dans le 'prendre soin', explique l'ancienne infirmière. Elles vont continuer à prendre soin des autres différemment à travers d'autres métiers du paramédical, les médecines alternatives, complémentaires, le bien-être, l'accompagnement humain, le coaching etc. Donc ça c'est quand même le gros des troupes." Les 20% restant changent radicalement de métier, avec ou sans reprise d'études. "On a par exemple accompagné des infirmières aujourd'hui qui sont vitraillistes, charcutières, professeures de langues, assistantes maternelles, qui sont dans des ateliers de couture... Plein de secteurs très différents", raconte Anne-Sophie Minkiewicz.
Des postes à pourvoir
Tous ces soignants qui démissionnent aujourd'hui manquent à l'hôpital. Les départs ne sont pas compensés par les embauches. L'Assistance-publique Hôpitaux de Marseille, de Paris et les Hospices civils de Lyon cherchent à eux seuls à pourvoir environ 1 500 postes de soignants. Conséquence : faute de personnels, des milliers de lits sont fermés. Avant sa réélection, Emmanuel Macron avait promis un plan de recrutement d'infirmiers et d'aides-soignants pour ce nouveau quinquennat. Tâche colossale qui attend le futur ministre de la Santé.
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