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Témoignages
"Et cette drogue, il vous l'a donnée à votre insu ?" : avec l'affaire des viols de Mazan, les appels se multiplient sur la plateforme d’écoute sur la soumission chimique
Depuis sa mise en place le 15 octobre, près d'un mois après le début du procès incriminant Dominique Pelicot et la cinquantaine d'accusés pour viols, la plateforme d'écoute dédiée aux victimes de soumission chimique reçoit de nombreux appels. Des hommes et des femmes qui, comme Gisèle Pelicot, ont été drogués puis agressés, mais aussi des médecins qui veulent des informations pour ne plus rater un diagnostic.
Au premier étage de l'hôpital Fernand-Widal, à Paris, des spécialistes répondent jusqu'à une dizaine d'appels par jour. "Bonjour monsieur, vous avez demandé à être rappelé. Expliquez-moi..." Au téléphone : la chef du service Leila Chahouachi, pharmacienne et experte nationale en soumission chimique, passe une bonne trentaine de minutes avec chaque personne.
Au bout du fil, un homme pense avoir été drogué et violé au cours d'une soirée, il y a quelques semaines : "Et cette drogue, il vous l'a donnée à votre insu ou est-ce qu'il vous a forcé à la prendre ?", interroge la pharmacienne. Elle lui conseillera ensuite de venir sur place, pour se faire prélever des cheveux.
Traces conservées dans les cheveux comme une preuve
Ce matin-là, trois grosses mèches viennent d'être prélevées sur une victime. "Une mèche part à la recherche de drogue, un autre à la recherche de médicaments et une autre pour le GHB, connu comme la "drogue du violeur, explique l'experte. Plus vous vous rapprochez de la racine, plus vous voyagez dans le temps, centimètre par centimètre. C'est la mémoire des consommations anciennes, c'est un dossier pharmaceutique".
Et l'éventail des substances retrouvé dans ces cheveux peut être très large poursuit la pharmacienne : "Très souvent on nous dit, 'j'ai été drogué au GHB', mais il n'y a pas que le GHB... Il y a des médicaments sédatifs qui endorment, des drogues illégales, des stimulants qui vont altérer le comportement, l'hypersexualiser, faciliter le passage à l'acte, ou encore des drogues dissociatives, hallucinogènes qui vous font perdre la notion de la réalité."
Avant la création de cette ligne et ce flux d'appels, des victimes de soumission chimique avaient déjà pris la parole sur le réseau X, l'an dernier, avec le hashtag #BalanceToBar. C'est le cas de Lilly, une avocate en droit pénal de 37 ans et mère de famille.
Elle avait rendez-vous, à l'été 2023, avec un ami dans le centre de Paris, dans un bar "situé juste en face du Conseil constitutionnel", note ironiquement la jeune femme. Elle raconte avoir eu un black-out : "Le barman me dit, 'ravi de te rencontrer, je t'offre un verre', et au bout de ce verre, je sens que je suis dans une ivresse assez extrême. Un verre de bière, ça ne vous met pas par terre a priori."
"Au bout d'un verre, je me sens dans une ivresse extrême. Je me vois aller faire des propositions à des garçons..."
Lillyà franceinfo
"À un moment, on me propose de la drogue et je dis 'oui, avec plaisir', alors que ce n'est absolument pas moi. Je me réveille le lendemain matin dans une chambre d'hôpital en réanimation, on me dit 'vous êtes une droguée'. Entre 20h et le moment où on m'a retrouvé seule à convulser vers 1h du matin, je ne sais pas ce qui s'est passé", raconte Lilly. À l'époque, la jeune femme n'a pas pu bénéficier d'une cellule d'écoute, ni d'un prélèvement capillaire. Elle ne saura jamais quelle drogue on lui a mise dans sa bière, mais elle a souhaité porter plainte. Même si, sans preuve, l'avocate sait que l'enquête sera classée sans suite.
Un corps médical en alerte
Avec le procès des viols de Mazan, la plateforme reçoit également une vague d'appels du corps médical. Des médecins et des infirmières ont désormais la hantise de passer à côté d'un diagnostic, comme ça a été le cas pour Gisèle Pelicot. Alors ils contactent la cellule pour être mieux formés.
La plateforme "croule" sous les appels, décrit Leila Chaouachi : "Quand ils nous appellent ils nous disent qu'ils ont entendu parler du procès Pelicot, qu'ils sont sidérés par un cas comme celui-ci. Cette femme qui a fait le tour des médecins pour comprendre les symptômes inexpliqués, les professionnels qui ne se sentent pas armés, car eux-mêmes ont découvert ce qu'était la soumission chimique, souhaitent se former."
"Ce que l'on ressent, c'est l'urgence. Il faut monter en compétence et être en capacité d'y répondre."
Leila Chahouachi, pharmacienne et experte en soumission chimiqueà franceinfo
Un constat est partagé par la gynécologue obstétricienne Christine Louis-Vahdat, conseillère nationale, à l'Ordre des Médecins : "On a une volonté des médecins d'être mieux formés, les médecins en ville, les médecins des hôpitaux, assure-t-elle. Cela a démontré que les médecins n'avaient pas tous les outils de repérage de la soumission chimique."
Le numéro de la plateforme nationale sur la soumission chimique au 01 40 05 42 70 ou sur internet : https://lecrafs.com/declarer-une-agression/
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