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Témoignages
Guerre en Ukraine : de nombreux Russes fuient vers l'Arménie, "un aller sans espoir de retour" pour beaucoup
Depuis le début de la guerre en Ukraine, des centaines de milliers de Russes ont fui leur pays pour se réfugier dans des États voisins comme l'Arménie. Plusieurs expliquent à franceinfo les causes de leur départ.
Cachées dans de larges sweats à capuche noirs, Ania, Valeria et Zabava sont encore sous le choc. Les trois amies russes, âgées de 19, 17 et 16 ans, sont arrivées en Arménie il y a un mois. Les Russes peuvent rester six mois sans formalités dans ce pays. Elles ont fui Vladivostok, ville portuaire de l'extrême-orient russe, où elles coordonnaient des actions anti-guerre. Mais la situation s'est envenimée lorsque Vladimir Poutine a déclaré la mobilisation partielle, le 21 septembre. "Une de nos connaissances a écrit sur notre tchat qu’il fallait faire sauter des bureaux de recrutement pour l’armée. Le jour d’après, ils l’ont convoqué à l’université et les agents du FSB, les services de sécurité, sont venus le chercher. Et il a raconté qu’on préparait ça ensemble. Sa mère l’a poussé à avouer, il nous a tout mis sur le dos", raconte Ania.
Un départ précipité
Commence dès lors une course contre la montre. Les trois amies prennent un billet d’avion pour Erevan. Mais le matin du départ, toutes subissent des perquisitions. Zabava revit encore la scène : "Je rassemble mes affaires, je cours jusqu’au premier étage, je passe par la fenêtre avec ma valise, je cours, je retrouve Ania, je m’assois avec elle dans la voiture, et on part en direction de l’aéroport. Sauf qu’entre-temps, ils étaient déjà chez Valeria. Nous avons donc décidé de changer de plan. Nous avons demandé à un copain de venir nous chercher pour nous mettre en sécurité".
Elles resteront cachées pendant plusieurs jours avant de rejoindre le Kazakhstan. "Quasiment sans faire d’arrêt, dans d’affreuses petites voitures, sans nourriture et sans eau. Cela a duré une semaine." Prises en charge par une association, Ania, Valeria et Zabava ont fini par arriver à Erevan, saines et sauves, mais sans aucune ressource. "Un aller sans espoir de retour", comme le dit cette chanson devenue l’hymne de ceux qui ont quitté la Russie.
Erevan a vu 40 000 Russes rester depuis le début de la guerre
Selon les services de l'immigration arméniens, 40 000 Russes se sont installés à Erevan depuis le début de la guerre en Ukraine. Certains, comme ces trois amies, ont fui pour des raison politiques. D'autres comme Andrei, ont quitté la Russie après la mobilisation décrétée par Moscou. "Évidemment, il était impossible d'aller combattre en Ukraine pour lui. Je n’étais pas prêt à commettre un tel péché. C’est une guerre pour rien, une guerre pour défendre les ambitions d’un empire, pour leurs villas, leurs châteaux, leurs yachts. Et en aucun cas pour libérer les Ukrainiens", assène Andrei.
Sans passeport pour voyager à l’étranger, ce jeune d'une vingtaine d'années est pour l'instant dans une impasse. "Ma situation est la suivante : je ne peux pas retourner en Russie. Sinon, c’est soit la guerre, soit la prison. Et d’ici, je ne peux aller nulle part, sauf en Russie." Aujourd’hui, la seule issue pour le jeune homme est de rester au moins trois ans en Arménie, d’apprendre la langue pour obtenir la nationalité arménienne et le précieux passeport qui va avec.
D'autres Russes se sont installés à Erevan pour simplement vivre une vie normale. Ils fréquentent les cafés branchés comme le "Tuftuf", beaucoup travaillent dans la tech, notamment à Yandex (le Google russe). Ils se déplacent à trottinette, vont à des concerts, à l’opéra. Leur famille vient de Russie pour leur rendre visite comme Ekaterina. "Je suis venue voir les enfants, les embrasser, voir s’ils avaient besoin d’aide, et m’assurer que tout va bien pour eux", explique cette habitante de Moscou.
Nikita, ancien animateur de radio à Moscou, s'estime chanceux alors que les prix de l’immobilier ont explosé à cause de cet afflux des Russes, sa famille est logée par l’entreprise de sa femme, la fabrique de cognac Ararat. "Ici, la mentalité est proche de la nôtre. Ça ne sert à rien d’aller en Europe. Ici, c’est plus simple parce que tout le monde comprend le russe et qu’on peut communiquer". Son fils de 7 ans est scolarisé dans une école privée arménienne, où l’enseignement se fait en russe. "C’est super parce qu’il apprend aussi l’arménien".
Mais derrière cette apparente insouciance, le spectre de la guerre n’est jamais bien loin. "Je pourrais rester ici, mais je m’inquiète des relations avec la Russie. Les relations se dégradent avec l’Arménie, parce que la Russie ne les aide pas face à l’agression de l’Azerbaïdjan", confie Aliona, 26 ans. À Erevan, on parle beaucoup du conflit larvé avec le voisin, et pas seulement de la guerre en Ukraine. Comme le dit un jeune russe réfugié à Erevan, en riant jaune, "on est passé d'une guerre à une autre".
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