Témoignages
"Il y a une porosité entre le narcotrafic et le milieu du rap" : les liaisons dangereuses du monde du hip-hop avec le banditisme

Après la mort d’un proche du rappeur SCH dans un règlement de comptes il y a trois semaines, le choix de franceinfo a recueilli plusieurs témoignages sur les liens entre rappeurs et trafiquants de drogue qui investissent et blanchissent de l’argent dans la production de disques.
Article rédigé par Valentin Dunate
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le rappeur marseillais SCH lors d'une séance photo, à Paris, en 2021. (JOEL SAGET / AFP)

Lundi 26 août, vers 6h du matin, deux proches du rappeur SCH se trouvent dans un van et sont pris pour cible par quatre personnes à bord d'un Range Rover noir. Le passager est tué, atteint de deux balles dans le thorax, le conducteur, lui, est grièvement blessé. 

Une trentaine de douilles de gros calibre sont retrouvées à quelques centaines de mètres d'une discothèque où se produisait ce rappeur marseillais. SCH c'est l'une des stars du rap en France. Selon nos informations, l'une des hypothèses des enquêteurs est qu'il était la cible de cette fusillade.

Ce fait divers n'est toutefois pas isolé. Plusieurs rappeurs ou proche de rappeurs ont été victimes de tentative d'homicides ou d'homicides ces dernières années. C'est le cas par exemple du manager de Maes, un rappeur de Seine-Saint-Denis, tué d'une balle dans le cœur le 16 décembre 2022.

Dans les deux cas, l'enquête est en cours et le lien entre le grand banditisme et ces rappeurs n'est pas établi, ce que rappelle Diane de Condé, l'avocate de Maes. "Il est facile de faire le lien, mais si ça se trouve cet artiste n'a rien à avoir avec tout ça. On le saura, car les enquêtes vont avoir lieu et au bout du compte on aura le fin mot de l'histoire. Mais c'est tellement récent... C'est assez nouveau ces espèces de liens qui sont faits".

Financement d'album et blanchiment d'argent

C'est nouveau, et personne ne veut prendre le risque de s'exprimer officiellement à ce sujet et expliquer clairement pourquoi on retrouve des rappeurs ou leurs proches dans certaines affaires.
C'est hors micro que l'on obtient donc quelques réponses.

Voici par exemple ce que confie un enquêteur de la police judiciaire de manière anonyme : "On remarque depuis quelques mois qu'il y a une vraie porosité entre le narcotrafic et le milieu du rap. Ça a pris de l’ampleur. C’est une manière pour les narcotrafiquants de blanchir de l’argent. Ils financent et produisent le premier album de rappeurs et une fois connus, ils sont redevables."

"Nous avons aussi remarqué que dans l’organisation des concerts : la logistique, la sécurité, sont de plus en plus tenues par des membres du narcotrafic."

Un enquêteur de la PJ

à franceinfo

Ces informations ont été confirmées à franceinfo par plusieurs sources, notamment des personnes impliquées dans le trafic de drogue comme cet homme qui souhaite lui aussi préserver son anonymat.
"C'est très fréquent dans les quartiers. Cela fait des années, au moins dix ans que les gars qui font un peu d'argent investissent dans des jeunes rappeurs. Ça peut être un très bon investissement le rap. 
La différence c'est que, maintenant, les sommes sont beaucoup plus importantes, le rap génère énormément d'argent et forcément quand ça se passe mal, ça crée des problèmes."

Sujet tabou

C'est notamment ce qui explique que les rappeurs font très attention à leur sécurité. Preuve en est le documentaire que le rappeur Maes a diffusé pour promouvoir son dernier album. Le rappeur parle des moyens qu'il doit mettre en œuvre pour sa sécurité.

On le voit dans une grosse berline suivie d'autres voitures et plusieurs agents de sécurité autour de lui. Ce rappeur dit clairement se sentir menacé. Il en parle, ce qui est par ailleurs très rare dans le milieu.

Producteurs, rappeurs, managers, journalistes spécialisés dans le rap, franceinfo a contacté de multiples interlocuteurs mais personne n'a voulu parler de ce sujet. C'est à Dijon, au premier festival d'ampleur uniquement dédié au rap organisé le week-end du 14 septembre et qui a rassemblé plus de 50 000 personnes qu'un homme s'exprime.

Il s'agit de Vivien Bècle, cofondateur du Golden Coast Festival. 

"Il y a des soucis comme dans tous les styles musicaux. Si tu regardes dans les années 70 ou 80, dans le metal ou le rock'n'roll, il y avait des problèmes tout le temps et qui étaient peut-être encore plus violents qu'aujourd'hui, sauf qu'aujourd'hui tout prend une ampleur assez dingue."

Vivien Bècle, cofondateur du Golden Coast Festival. 

à franceinfo

"Oui, il y en a qui font des écarts de conduite, voir plus que ça", poursuit-il, "Aujourd'hui dans le rap tu peux être inconnu un jour, ultra-connu le lendemain. Ce truc-là fait péter des câbles à des gens et certains artistes ne maîtrisent pas forcément ce qui leur arrive, ils sont jeunes aussi, un peu comme dans le foot. Les histoires de mafia, ça nous dépasse, c'est un monde parallèle. Je te prends l'exemple de l'affaire Paul Pogba en football, il a de l'argent, il a des frangins, il y a des gars derrière... On est qui pour juger ? On n'a pas tous les éléments." SCH s'est d'ailleurs finalement exprimé pour la première fois sur le sujet ces derniers jours en demandant "de ne pas relayer de fausses informations".

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