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Témoignages
"On a peur de l'agression physique" : entre appréhension et sentiment d'abandon, des enseignants menacés se confient

Dominique Bernard, professeur de français à Arras, a été tué il y a deux semaines. Mais face aux risques, les enseignants ne se sentent pas tous soutenus par l'Éducation nationale.
Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un rassemblement place de la République à Paris, en hommage à Dominique Bernard et Samuel Paty, le 16 octobre 2023. (OLIVIER DONNARS / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Des bousculades, des intimidations, des menaces, parfois de mort : c’est ce que vivent certains enseignants dans leur établissement scolaire. Depuis le meurtre de Dominique Bernard, professeur de français à Arras, le ministre de l’Éducation nationale veut se montrer ferme face aux personnes qui ne respectent pas l’autorité de l’école. Pourtant, sur le terrain, la réaction de l’institution n’est pas toujours à la hauteur pour les enseignants concernés.

Une professeure, qui veut absolument rester anonyme, raconte avoir vécu un incident il y a un an, dans une classe de 3e. Elle peut enfin en parler sans pleurer mais le souvenir reste prégnant. "Lors d'une réunion parents-professeurs, l'élève et sa maman m'ont menacée. Il était posé sur la table, avançait vers moi à me montrer du doigt. C'était très agressif, se souvient-elle. Effectivement, il y avait une table qui nous séparait. C'était une bonne chose parce que sinon, je ne sais pas si cela aurait pu en venir aux mains donc effectivement, je ne me suis pas sentie en sécurité"

Sa collègue, présente, est aussi choquée. Le jeune finit par partir en parlant de représailles. Il sera ensuite exclu du collège après un conseil de discipline. Malgré tout, pour les deux enseignantes, rien n'est terminé puisque pendant des semaines, elles viendront travailler la peur au ventre.

"On avait peur de représailles éventuelles si on le recroisait dans la rue"

Une professeure de collège

à franceinfo

"On n'était vraiment pas bien toutes les deux. Je m'estime chanceuse de ne pas l'avoir recroisé et j'espère ne pas le recroiser", poursuit-elle. Le problème, c'est qu'elle s'est sentie très seule et pas du tout soutenue par sa direction. Parfois, bien sûr, la hiérarchie est plus présente et fait bloc autour de l'enseignant. Il est impossible de généraliser.

Malgré tout, franceinfo a recueilli plusieurs témoignages de victimes qui n'ont pas eu l'accompagnement qu'elles souhaitaient. C'est le cas pour ce professeur d'un collège de Seine-Saint-Denis qui a trouvé dans sa salle de classe il y a un mois, une lettre de menace de mort avec ce message : "On va venir chez toi t’égorger". Son adresse et la plaque d'immatriculation de sa voiture sont mentionnées et sa compagne est également visée. Il porte plainte immédiatement et contacte le rectorat pour être mis en sécurité quelque part. Un logement lui est octroyé mais trop près, selon lui, du collège où il travaille. Il n'ose plus sortir et raconte être baladé d'interlocuteur en interlocuteur. Après une semaine d'attente, le rectorat le reloge à l'hôtel, en attendant une solution pérenne.

Ils exercent leur droit de retrait pour se faire entendre

Son collègue Colin, représentant du syndicat SUD éducation, dénonce ce délai . "Derrière l'affichage, avec Gabriel Attal qui dit qu'on protège l'ensemble de nos enseignants menacés de mort, on se rend compte que pour ce collègue, il n'y a pas eu de protection policière parce qu'elle n'était pas possible. Il n'y a pas eu une prise en compte suffisamment rapide de la situation du point de vue du relogement, de la mise en sûreté sur le logement. Cela aurait pu être mis en place le premier soir et ça l'a été au bout de six jours". Le rectorat de Créteil assure de son côté que la prise en charge a été immédiate et qu'il accompagne toujours cet enseignant. Pourtant, selon ce représentant de SUD éducation, ce qui a fait bouger les choses, c'est le droit de retrait exercé une journée par quasiment tous les professeurs du collège. 

Cette nécessité d'action collective pour débloquer la situation, c'est aussi ce que regrette cette enseignante, d'un lycée de Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, et déléguée du syndicat Snes. Après trois intrusions en moins de dix jours, début octobre, et des menaces faisant référence à Samuel Paty, elle et ses collègues ont utilisé leur droit de retrait quatre jours pour être reçus par le rectorat. 

"On ne peut pas demander par courrier, de manière "simple", une demande d'audience, explique-t-elle. On est obligé de montrer qu'on a vraiment besoin de cette audience parce qu'il y a des choses qui ne vont pas au lycée, qu'on se sent en danger et qu'on est en insécurité". "Nous comprenons l'émotion légitime des enseignants", assure le rectorat, qui confirme bien qu'il recevra les enseignants à la rentrée des vacances.  

Concernant ce qui est prévu théoriquement en cas de menaces, pour certains représentants des enseignants, il y a un avant et un après Samuel Paty, tué le 16 octobre 2020. Des efforts sont bien accomplis par les services de l'Éducation nationale, dans la réactivité et l'accompagnement des victimes. Pourtant, dans les faits, il peut y avoir de grosses différences d'un établissement à un autre et cela dépend en partie de l'équipe de direction, s'ils sont assez nombreux pour traiter la situation. 

Par ailleurs, tous les personnels ne connaissent pas forcément très bien les procédures. Des cellules d'écoute sont par exemple à la disposition de tous. La protection fonctionnelle peut aussi être octroyée, il ne s'agit pas d'escorte policière mais plutôt d'un appui juridique. Beaucoup d'enseignants estiment que la perception du danger a changé. "Avant, quand un élève nous en voulait, il crevait les pneus de notre voiture, aujourd'hui, on a peur de l'agression physique", confie l'une d'elles. 

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