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Témoignages
"Trop de sacrifices et du temps de vie" : le blues des médecins généralistes, de plus en plus nombreux à délaisser la profession
Alors qu'on manque cruellement de médecins généralistes, certains choisissent d'abandonner. Ils sont des milliers, chaque année, à fermer leur cabinet pour changer de métier. En cause, les nombreuses difficultés rencontrées : trop de patients, trop de paperasse, trop de pression... Le phénomène touche toutes les tranches d'âge et notamment les jeunes médecins.
Julie a eu une carrière "express" de médecin généraliste : un an à remplacer ses collègues, un an à la tête de son cabinet dans une ville moyenne. Et puis la trentenaire a craqué : elle n'avait pas assez de temps, des patients à la chaîne, trop de paperasse à gérer, et pas assez de moyens, de spécialistes et de lits à l'hôpital pour prendre en charge ses malades : "J'ai envisagé pendant plusieurs semaines d'arrêter complètement la médecine. Je pense que j'aurais pu partir dans la pâtisserie ou dans autre chose, dans un travail peut-être plus manuel."
"Respecter mes valeurs et ne pas maltraiter des patients"
Cette jeune médecin a fini par mettre la clé sous la porte mais elle n'abandonne pas la médecine, puisque Julie travaille aujourd'hui comme salariée, en hospitalisation à domicile. Un virage qui n'a pas été facile à prendre : "J'ai mis fin à cet exercice pour respecter mes valeurs et ne pas maltraiter des patients. J'ai choisi une spécialité, en tout cas un service hospitalier, où on prend encore soin des gens, on prend du temps avec les patients et on apporte un vrai plus à ces gens-là. Je voulais me laisser quand même la chance d'essayer une autre pratique avant de dire stop à la médecine."
Dire stop à la médecine parce que l'exercice est devenu trop difficile, c'est un phénomène assez récent qui touche surtout les médecins généralistes. C'est ce qu'observe le docteur Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, est chargé d'analyser la démographie médicale. "C'est une donnée relativement nouvelle mais qui prend toute son importance compte tenu de la pénurie de l'offre médicale. Il y a effectivement un problème, ou il y a une pression sur la 'productivité' du médecin traitant, qui est antagoniste avec la qualité des soins et les souhaits profonds des médecins, constate-t-il. Ils veulent allouer davantage de temps sur des patients devenus plus complexes puisque la population vieillie inexorablement dans le même temps." En 2023, 5 400 médecins ont arrêté d'exercer. Plus de la moitié de ces décrocheurs étaient généralistes.
"Si c'était à refaire, je ne le referai pas"
La grande majorité de ces médecins qui décrochent restent dans le domaine du soin. Anne-Sophie Minkiewicz est une ex-infirmière reconvertie dans le coaching. Elle a monté une société, "Med reconversion", pour aider ces soignants à changer de métier. En un an, elle a déjà épaulé une centaine de médecins : "Les médecins restent dans 80% des cas dans le 'care', donc dans le prendre soin. Oui, on a quelques médecins qui font des trucs radicalement différents mais ce n'est pas la majorité. La grande majorité se questionne et se dit : 'Comment je peux continuer à prendre soin des autres ?' Ce sont des médecins qui parfois vont décider de faire une pause. D'autres vont passer en temps partiel et faire une activité de graphisme, dessinateur, d'autres montent une école de surf. Il y en a qui vont partir dans le journalisme médical, d'autres qui vont aller enseigner..."
Les médecins décrocheurs se tournent aussi vers la formation, ou vers d'autres spécialités médicales, comme la médecine esthétique bien plus lucrative. Ils délaissent de plus en plus la médecine générale.
Le conseil de l'ordre des médecins a estimé, en 2019, que les étudiants en médecine étaient entre 5 et 10% à abandonner leurs études de médecine en cours de route, plus que dans n'importe quel autre cursus. Si on écoute François Vilain, du syndicat d'internes ISNAR IMG, le phénomène est assez répandu : "Tous les internes et toutes les internes connaissent des gens autour d'eux qui ont quitté leurs études de médecine. On s'est fait la réflexion autour d'une table avec des amis. On s'est posé la question de si c'était à refaire. On était une dizaine et tout le monde disait : 'Si c'était à refaire je ne le referai pas c'est trop de sacrifices.' Trop de sacrifices et du temps de vie."
"La loi normalement, c'est maximum 48 heures par semaine. La plupart des internes sont au dessus de 50 heures de travail. Le métier est très dur et les conditions dans lesquelles il est réalisé sont très dégradées."
François Vilain, du syndicat d'internes ISNAR IMGfranceinfo
Et s'ils n'abandonnent pas en cours d'études, au moment de choisir leur spécialité, les internes délaissent la médecine générale qui représente pourtant près de la moitié des places en fin de cursus. En 2023, sur les 500 premiers au concours, il n'y en a eu que 20 qui ont choisi d'être médecin généraliste.
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