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"Vous m'avez sauvé la vie" : comment l'application LYYNK, dédiée à la santé mentale des adolescents, tente de recréer du lien entre enfants et parents

Lancée il y a quelques semaines, l'application LYYNK, dédiée à la santé mentale des adolescents, compte plus de 200 000 téléchargements.
Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
L'application LYYNK a été lancée mi-septembre 2024, photo d'illustration. (JEAN FRANCOIS OTTONELLO / MAXPPP)

"C'est l'application que j'aurais aimé avoir il y a quelques années." Harcèlement scolaire, agressions, dépression, troubles alimentaires... Après plusieurs années de détresse, Miel Abitbol, 17 ans, a constaté le manque d'outils dédiés à la santé mentale des adolescents.

L'influenceuse, forte de plus d'1,5 million d'abonnés, a lancé le 12 septembre dernier la plateforme LYYNK, présentée comme "un espace sûr, bienveillant et interactif." Enfants et parents y trouvent des fonctionnalités pour les aider à surmonter ces difficultés : un calendrier émotionnel, un journal intime, un kit de secours et différentes vidéos de prévention.

Alors que le Premier ministre Michel Barnier a érigé la santé mentale en "grande cause nationale" pour 2025 et que les services d'urgences accueillent de plus en plus d'enfants pour des gestes et idées suicidaires, Miel Abitbol a souhaité utiliser son influence pour sensibiliser à la question. Un projet auquel elle a associé son père, Guirchaume, et sa psychiatre, le docteur Claire Morin.

Grâce à plusieurs fonctionnalités, l'utilisateur peut évaluer sa santé mentale. (LYYNK / CAPTURES D'ECRAN / DR)

En quelques semaines seulement, l'application a été téléchargée plus de 200 000 fois, au point de détrôner Pronote et ChatGPT, ce qui constitue l'un des plus beaux démarrages de la French Tech ces derniers temps. Via un forum, les fondateurs reçoivent de nombreux témoignages de jeunes utilisateurs que franceinfo a pu consulter. "Bravo pour tout. Grâce à votre application, j'ai appelé le 112 lors d'une tentative de suicide. Vous m'avez sauvé la vie", peut-on y lire. Ou encore : "Merci beaucoup, c'est rare de se sentir comprise par quelqu'un." Une autre utilisatrice confie : "Ça me permet d'aller mieux et je suis sûre que ça sauve beaucoup de personnes." Plusieurs messages saluent un soutien considérable : "Vous me remontez le moral et m'aidez à avancer."

"Mes parents ont tout appris sur un lit d'hôpital"

LYYNK – de l'anglais "lien" – place au cœur de ses priorités la communication entre l'adolescent et un adulte de confiance. "Il y a une période où je ne parlais pas de mes problèmes, raconte Miel. Mes parents ont tout appris sur un lit d'hôpital parce que j'ai fini aux urgences."  L'objectif que la jeune femme s'est fixé, c'est justement d'éviter à d'autres jeunes d'en arriver là : "Qu'ils arrivent à communiquer avant de basculer dans des problèmes plus graves, des troubles, etc."

"Quand on est jeune, garder tout pour nous c'est super compliqué, on n'a pas les épaules pour supporter toute la pression, tout le sentiment de mal-être. C'est important d'extérioriser au fur et à mesure."

Miel, co-fondatrice de LYYNK

à franceinfo

Au-delà de son expérience personnelle, Miel s’est aussi nourrie des nombreux échanges avec ses abonnés sur les réseaux sociaux : "Je reçois, chaque jour, des centaines de messages de jeunes qui ne vont pas bien, qui m’expriment leur mal-être et qui n'ont personne à qui parler ou sur qui se reposer. Le but, c'est vraiment de faire en sorte qu'ils aient un appui. Je comprends ce qu'ils ressentent, j'arrive à me mettre à leur place et je vois les choses qui m'auraient aidée quand j'étais plus jeune."

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La jeune femme l'assure, communiquer avec ses parents, s'ouvrir et lever le tabou sur ses angoisses aurait pu l'aider. Mais elle s'en sentait alors incapable : "On a peur de ne pas se sentir compris, d'être jugé, que nos problèmes soient minimisés, témoigne la jeune femme. On a peur d'un tas de choses et c'est pour ça que c'est important que le jeune se sente assez en confiance avec un adulte."

"Une application, ça permet d'être plus libre pour s'exprimer"

Le téléphone portable est apparu comme une évidence pour Miel, présente sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années : "C’est notre truc en tant que jeunes, on est tous sur notre téléphone, on passe beaucoup de temps dessus. Une application, ça permet d'être plus libre pour s'exprimer. C'est plus simple de dire les choses via un téléphone que dans la vraie vie. En face-à-face, c'est peut-être la meilleure chose, mais ce n'est vraiment pas simple."

"L'application, c'est une 'safe place' pour les jeunes. Elle est à eux et elle est différente pour tous, unique pour chaque personne."

Miel, co-fondatrice de LYYNK

à franceinfo

Pour développer la plateforme, Miel a pu compter sur son père Guirchaume, chef d'entreprise dans la tech depuis une vingtaine d'années. Un soutien technique et professionnel, mais avant tout humain pour aider sa fille à traverser ces moments difficiles : "En tant que parent, on est assez démuni. Il n'y a pas vraiment de mode d'emploi. Donc, on essaye d'agir avec notre cœur. Quand on est confronté à ce type de situation, on n’a pas d'autre solution que d'apprendre, de se renseigner. Moi, je suis allé voir des psychiatres pour comprendre comment fonctionnait Miel, comment ça fonctionnait dans sa tête. Si on ne comprend pas la personne qu'on a en face de soi, c'est très difficile de lui proposer un accompagnement."

Autour de lui, il constate que d'autres parents ont partagé son sentiment de solitude : "Il y a énormément de pudeur sur ces sujets. Mais dès qu'on commence à discuter, à parler des difficultés qu'on peut avoir avec nos jeunes, d'un coup, tout le monde vous dit : 'Moi aussi, ma fille ne me parle pas, mon fils ne me parle pas, il s'enferme dans sa chambre. Je m'inquiète pour sa santé mentale.'"

"C'est un sujet de santé publique"

C'est aussi pour ces parents désemparés, confrontés à des adolescents mutiques, que LYYNK a été pensée : "L'idée, c'est d'essayer de développer un lien quand l'enfant va bien. De manière à ce qu'il puisse s'appuyer sur ses parents ou sur son entourage dès lors qu'il rencontre une situation compliquée." À destination des parents ou des adultes de confiance, de nombreuses vidéos de sensibilisation sont intégrées à l'application. Des outils pour décoder certaines situations, savoir comment aborder certains sujets, comment prendre en charge le mal-être de l'adolescent.

Le kit de secours rappelle les numéros à joindre en cas d'urgence. (CAPTURE D'ECRAN / LYYNK / DR)

Le tabou de la santé mentale chez les jeunes commence à s'estomper, estime Guirchaume : "C'est devenu un vrai sujet de société, un sujet de santé publique." L'application participe à lever les dernières barrières entre parents et enfants : "C'est un moyen de libérer la parole, d'engager la conversation." L'idée n'est pas de remplacer le lien physique, mais au contraire d'aider à le recréer dans des moments difficiles.

Guirchaume insiste : l'application est un outil de prévention, elle n'assure pas une prise en charge médicale pour ceux qui en auraient besoin. Toutefois, et c'était essentiel pour le père de Miel, elle a été élaborée en partenariat avec une psychiatre : "Pour moi, c'était quelque chose d'absolument indispensable pour rendre un outil qui soit efficace et surtout qui ne représente aucun danger pour les jeunes."

Un outil de prévention

Cette psychiatre, c'est le docteur Claire Morin. Elle suit Miel dans son parcours thérapeutique depuis 2021. Lorsque la fille et son père l'ont sollicitée, elle a immédiatement saisi l'opportunité : "C'est quelque chose qui manquait. On a une digitalisation de beaucoup de choses et notamment des soins. Pourquoi pas une application avec laquelle on serait connecté quotidiennement pour évaluer son humeur ? C'est un outil vraiment pertinent puisque les jeunes sont de plus en plus tôt sur les réseaux. Il ne faut pas toujours y voir du négatif, mais se demander ce qu'on peut en tirer de positif."

"C'est une manière de leur donner accès facilement à du contenu adapté."

Claire Morin, psychiatre

à franceinfo

Le docteur Claire Morin souligne l'importance de s'adapter aux jeunes pour les sensibiliser : "Ça fait longtemps qu'on a compris que le préventif vaut mieux que le curatif. Plus on va apporter d'informations en amont, plus les gens vont prendre conscience de l'importance d'un sujet, quel qu'il soit. Là, en l'occurrence, autour de la santé mentale c'est ce qui va leur permettre d'éviter d'en arriver au curatif."

Grâce à sa contribution, des fonctionnalités ciblées ont été créées sur LYYNK : "Je me suis assurée que ce qu'on proposait paraissait cohérent par rapport aux bonnes pratiques. Par exemple, le kit de secours est un outil utilisé dans les soins psychiatriques pour aider les adolescents, quand ils sont hospitalisés, à gérer leurs situations de crise." En quelques semaines seulement, Miel, Guirchaume Abitbol et Claire Morin ont reçu de nombreux retours de jeunes, de parents, mais aussi d'enseignants et de professionnels de santé, saluant leur initiative.

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