"Travailler moins pour vivre mieux" : qui sont ces jeunes qui prônent le "détravail" ?
Ils veulent avoir du temps pour eux, ne pas subir la pression dont ont souffert leurs parents, agir pour l'environnement... Rencontre avec cette nouvelle génération qui place la qualité de vie au dessus du salaire.
On manque de bras dans la restauration, les stations de skis ne trouvent pas de saisonnier et les panneaux "on recrute" s'affichent sur les devantures de magasins. Et si c'était le signe que le rapport des jeunes au travail a changé ? C'est en tous cas ce que montre l'expérience du Collectif Travailler Moins (CTM), à Nantes. Depuis quatre ans, ses membres organisent des apéros "détravail". Ils sont au moins une dizaine à se réunir autour de quelques bières pour tenter de répondre à cette question : "Comment et pourquoi moins travailler?"
Prendre sa retraite à 30 ans
Le cofondateur du CMT, Matthieu Fleurance, se présente ainsi : "J'ai 30 ans. J'étais conseiller d'orientation et j'ai pris ma retraite il y a deux ans et demi. Cela me permet de faire ce que je veux de mon temps, de ne pas subir le monde du travail et ça c'est incroyable." Oui, vous avez bien lu, ce Nantais est à la retraite à 30 ans. Et pourtant, il n'est pas rentier. Matthieu Fleurance, co-auteur du livre Va t'faire vivre, vient même d'un milieu plutôt populaire. Bac +5 en poche, il commence à travailler mais il ne trouve pas de sens dans ce qu'il fait. Alors il décide d'arrêter.
Tous au sein de ce collectif ne sont pas aussi extrêmes. "Détravailler" ça ne veut pas dire ne pas travailler mais réfléchir à la place du travail dans sa vie, comme le fait Miriam. Cette jeune femme de 29 ans a des exigences bien précises au sujet de son rythme de vie : "Là, par exemple, j'ai une offre d'emploi. En plus, on est venu me chercher, on était intéressé par mon profil, donc ça fait plaisir. Je me suis permise d'expliquer que j'avais plutôt envie de tendre vers un 80% et ils m'ont dit 'ça ne sera pas possible'. J'ai réfléchis et j'ai dit 'moi tout me plaît mais c'est 80% ou rien'". Une offre d'emploi que Miriam a donc refusée alors que le poste lui correspondait.
Ne pas reproduire le modèle des parents
Comment expliquer que ces jeunes refusent ce que tant d'autres peinent à obtenir ? "Travailler moins, c'est vivre mieux", affirment tous les jeunes convaincus par le "détravail" que nous avons interrogés. Romane, 24 ans, vient d'ouvrir son cabinet de podologue à Ploemeur (Morbihan), en Bretagne. Elle a décidé qu'elle commencerait tard le matin et se donne des après-midi libres dans la semaine "pour garder une qualité de vie personnelle".
"C'est à dire pouvoir faire du sport, pouvoir me préparer à manger tranquillement le soir sans être en speed, pouvoir me libérer du temps pour mes amis, pour ma famille. Ne pas culpabiliser de me dire 'mince, j'aurais peut-être dû accepter plus de patients'".
Ce que dit également Romane, comme beaucoup d'autres jeunes "détravailleurs", c'est qu'elle ne veut pas reproduire le modèle des anciennes générations : "Mes parents faisaient toujours du six jours sur sept à fond. Parfois, ils culpabilisaient même un peu de ne pas être forcément présents pour notre éducation."
Je me suis dit 'Moi je veux quand même pouvoir profiter et avoir une qualité de vie à côté, quitte à gagner moins.'"
Romane, 24 ans, podologueà franceinfo
Mais décider de moins travailler, tout le monde ne peut évidemment pas se le permettre. C'est un privilège et Matthieu, Miriam ou Romane en ont conscience. Ces "détravailleurs" sont tous diplômés, ils pourront choisir de travailler davantage en cas de nécessité. La plupart des adeptes du "détravail" que nous avons rencontrés n'ont pas d'enfant. Et pour ce qui est de leurs finances, ils s'en sortent bien parce qu'ils réduisent leurs besoins. Ils sont dans une logique de décroissance.
Une tendance de fond pour les DRH
La protection de l'environnement est une des motivations principales de ces "détravailleurs", explique Matthieu Fleurance, le retraité trentenaire : "On se rend compte qu'en fait le travail et l'écologie c'est très lié, que notre situation qui est plutôt catastrophique d'un point de vue écologique est très liée à notre suractivité humaine."
"Il faut qu'on se calme et qu'on prenne le temps d'apprendre à vivre différemment. Si on ne prend pas le temps, on est morts."
Matthieu Fleuranceà franceinfo
Comment le monde du travail réagit-il à cette remise en cause de la notion de productivité ? Cette tendance au travailler moins pour vivre mieux est-elle aussi observée par les recruteurs ?
Pour Benoît Serre, vice-président de l'Association Nationale des DRH, cela ne fait aucun doute, la gestion du temps de travail est devenue une exigence de base chez les jeunes salariés. Avec une question qui revient très souvent pendant les entretiens d'embauche : "Est-ce que vous avez assez confiance en moi pour me laisser m'organiser, pour produire ce que vous voulez que je produise sans pour autant dégrader mes équilibres de vie personnelle ? Ça, c'est extrêmement nouveau."
"Je pense surtout que c'est une génération qui n'est plus du tout prête à sacrifier sa qualité de vie, ses conditions de vie, sa liberté de vie en quelque sorte."
Benoît Serre (Aassociation Nationale des DRH)à franceinfo
Selon ce spécialiste, le Covid-19 a accéléré ce qui était une tendance de fond. Quand une entreprise propose un poste, explique-t-il, elle doit être capable de répondre très concrètement à toutes ces questions d'organisation du temps de travail et aussi prouver que l'emploi a du sens, qu'il n'apporte pas qu'un salaire.
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